samedi 19 octobre 2013

Lectures de vacances # 6 - Correspondances de Valence Rouzaud

   Je commence enfin à rédiger un billet qui attend depuis longtemps, trop longtemps, car je l'ai lu durant l'été, ce très beau livre de Valence Rouzaud. Mais il fait partie de ces ouvrages dont, finalement, on a du mal à parler car la lecture fut un moment trop personnel. L'auteur ici nous parle de littérature... et il est plus difficile de parler "littérature" que de parler de livres passe-partout qu'on lit aussi vite qu'on les oublie. Vous l'avez compris, cet ouvrage n'entre pas dans cette dernière catégorie.
   En voici l'ouverture : "Tourné vers demain, le poète s'il ne veut pas se perdre préfère encore la canne blanche au Bottin mondain." Le ton est donné. Après une préface de Louis Delorme, cinquante-huit lettres viennent nous rappeler que le mot poésie peut encore avoir un sens. Loin des salons, Valence Rouzaud aiguise son regard et sa plume qu'il a plongée dans son "usine à rêves au fond des bois".
   Il surplombe ce recueil, le rêve, avec ses images folles et ses soubresauts fantasques : "De mon imaginaire j'ai fait mon bureau, où à coup sûr s'écrivent mes rêves." Et avec les rêves, l'enfance, période où les compromis avec le réel ne sont pas encore fatals : "Je préfère m'évader en retrouvant l'enfance, cette mécanique à part, alliage d'une réalité de poche et d'un merveilleux nuage."
   Les compromis avec les cercles littéraires, il n'en veut pas Valence, car il a bien compris que la poésie est ailleurs. Asphodèle, dans le beau billet qu'elle a rédigé à propos de ce livre, le compare à Léo Ferré. J'ai également pensé à lui en lisant ce recueil. Mais il me semble que la démarche est ici plus radicale, peut-être plus franche... et plus risquée... 
   J'ai souvent été émue en lisant ces lettres, comme on peut l'être à l'adolescence, en découvrant un auteur qui trouve les mots pour exprimer ce que l'on ressent sans trop le savoir. Nous savons pourtant très bien ce qu'exprime Valence, nous ne le savons même que trop bien. Et lorsque nous lisons un ouvrage comme celui-ci, on se souvient. On se souvient soudain quel pouvoir peut avoir la lecture d'un "classique". On se souvient de la claque ressentie à la lecture de tel ouvrage du XIXe qui nous hante encore au plus profond de nos nuits, à coups d'ailes d'albatros. On se souvient que la lecture peut être aussi grisante que la conduite "sans ceinture", à fond la caisse. On se souvient du poids des compromis, et l'on se prend à rêver aussi.
   Il existe, dans les programmes de littérature du secondaire, une catégorie "littérature engagée" qui me laisse souvent dubitative. L'engagement supporte peu les étiquettes, encore moins les manuels scolaires... voilà pourtant un ouvrage qui pourrait y trouver une place bien méritée ! Je lirai, cette année, l'une de ces lettres en classe. Cette magnifique lettre où l'auteur, s'adressant à son fils, lui rappelle "qu'oser une écriture de haut vol brassant la réalité physique jusqu'au champ de l'invisible, la chose n'est pas aisée - qui connaît le travail sur les mots a connu la chaise du marin, lorsqu'on est armé que d'un CAP de chaudronnier."

PS : merci aux éditions Thierry Sajat pour l'envoi de ce livre et merci à l'auteur pour sa dédicace.
  
Les avis de Mélusine et d' Asphodèle

jeudi 3 octobre 2013

Lectures de vacances # 5 - Les liens du sang de Thomas H. Cook


    C’est le quatrième roman de Thomas H. Cook que je lis cet été et après l’avoir refermé je me suis dis que oui, vraiment, cet auteur non seulement a un solide sens de l’intrigue policière, mais qu’en plus il a la construction narrative dans le sang.

Car dans chacun de ses livres, il joue sur une construction du récit, souvent alternée mais à chaque fois différente, qui nous tient en haleine. Ici, le roman se tisse sur deux temps narratifs qui se croisent et nous mènent, nous le sentons dès le début, à une tragédie finale. Le premier est celui d’un homme qui s’adresse à lui-même dans un monologue qui nous retrace son entrevue avec un policier. Viennent s’intercaler avec ces morceaux d’entrevues 24 chapitres qui pourraient se calquer sur les 24 heures d’une garde à vue. Dans ces 24h, le récit d’une vie et des raisons qui ont mené à la situation finale que je vais bien me garder de vous dévoiler.

Cet homme qui déroule sa vie s’appelle David Sears. Avocat sans ambition dans une petite ville, il est marié et père d’une adolescente, Patty. Sa vie tranquille repose sur des fondations instables car il a été élevé, avec sa sœur Diana, par un père schizophrène et paranoïaque, ce qui, forcément, n’aide pas à acquérir une vision du monde sereine…

Diana, elle, a épousé Mark, un brillant généticien auquel elle a donné un fils, Jason. Ce dernier, handicapé, se noie dans d’étranges conditions. Cette noyade dite accidentelle va faire basculer la vie de l’ensemble de la famille.

Si je n’ai pas aimé ce roman autant que Le lieu dit Noir-Etang ou Les leçons du Mal, j’ai plongé encore une fois dans le monde romanesque de Thomas H. Cook avec grand plaisir. J’ai déjà évoqué la construction narrative, qui, une fois de plus, m’a séduite, mais je peux ajouter ici deux éléments. Tout d’abord, on retrouve une fois de plus l’importance du passé qui porte sur le présent (l’auteur est un ancien professeur d’Histoire…). Le livre pose la question de la « tare » génétique, question renforcée par la profession du beau-frère de David, généticien. Le poids de l’histoire familiale est ici maximum. Ensuite, j’ai aimé le rôle donné ici aux livres qui, pour une fois, ont le mauvais rôle. En effet, le « Vieux », fou à lier, élève ses enfants au milieu des livres. Il les oblige à apprendre des passages entiers. Ils connaissent des citations par cœur, si bien que chaque situation fait ressurgir des phrases des limbes de leur mémoire. Or, ce poids du texte s’avère plus aliénant que libérateur, comme si les mots du père avaient enchaîné les enfants à un texte dont ils ne peuvent plus s’échapper. Une belle méditation sur l’usage du savoir et, une fois de plus, un ouvrage de cet auteur à découvrir…