mardi 27 mai 2014

Sagan 1954 d'Anne Berest

1954 : l'abbé Pierre lance son appel sur les ondes. L'hiver, exceptionnellement froid, a jeté dehors les sans-abris. On meurt sur les pavés. Une année où l'urgence sociale fut donc dramatique. La même année, Elvis Presley grave un premier disque, Simone de Beauvoir remporte le prix Goncourt pour Les Mandarins et une toute jeune fille sort un livre, Bonjour tristesse, qui va changer sa vie. C'est au début de cette même année 54 que l'éditeur René Julliard décide de publier le premier roman de Françoise Quoirez. Une légende va naître, légende dans laquelle on voit tournoyer un glaçon dans un verre de whisky, la roulette du casino, et une voiture qui prend un mauvais virage.
Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. 
(Incipit de Bonjour tristesse).
Françoise Sagan
2014 : le Front national arrive en tête des élections européennes avec 25 % des voix. Ce parti arrive en tête devant l'UMP et le parti socialiste. La France est toujours glacée, mais pas pour les même raisons. Durant cette même année, Anne Berest, romancière, se plonge à corps perdu dans la vie de Françoise "pas encore Sagan". Elle vient de se séparer du père de son enfant et l'écriture lui permet de ne pas trop penser à une situation personnelle qu'elle vit très mal. 
C'est avec cette scène, du petit matin et de Cocteau, que j'aimerais ouvrir le livre sur Françoise Sagan que je vais écrire dans les mois qui viennent. Le journal de l'année 1954 qui raconterait la parution de Bonjour tristesse.
C'est peu, quelques mois. Mais je traverse une des périodes les plus douloureuses de ma vie. Depuis cet été, je suis séparée du père de ma fille. La souffrance m'alourdit et je me sens comme une valise sans poignée. Anéantir mon chagrin dans le travail, penser à Sagan nuit et jour. Jour et nuit être avec elle. (p. 13)

Anne Berest
Très vite, les deux vies s'entrecroisent, s'entremêlent et se nourrissent l'une de l'autre. Deux moments de rupture entrent en résonance. Le livre s'ouvre alors que le "charmant petit monstre" n'est pas encore né. Françoise ne sait pas encore combien son existence va être bouleversée par le succès foudroyant prêt à fondre sur ses dix-huit ans. Anne, elle, se tient sur le fil. La rupture a déjà été consommée, et écrire sur une jeune femme qui s'apprête à vivre un épisode saisissant s'avère un moyen de construire tout en contemplant les ruines de la défaite... ce qu'elle fait tout en douceur et en discrétion. 
On sent une fréquentation assidue de l’œuvre de la romancière, et une retenue face aux effets faciles. Au lieu de nous plonger dans les méandres des vapeurs alcoolisées associées à Sagan, elle nous invite à regarder au bord du vide, à contempler cet instant où tout peut basculer, où tout va sans doute basculer, mais sans que l'on sache de quel côté. 
Ce livre n'est donc pas un roman, ni une biographie, et encore moins une autobiographie. Œuvre multiforme, elle suit les méandres de l'écriture, explore les failles. Elle utilise deux fils de vie qui s'entrecroisent et tissent un texte composite. L'entrelacement des deux chemins de vie ne gêne absolument pas la lecture. Au contraire, l'ensemble est fluide et j'ai aimé naviguer dans ce paysage varié où je rencontrais des bribes de journal, puis quelques photographies, des instants de vie aussi... impression délicieuse d'ouvrir une malle aux souvenirs d'où s'échappent des photos oubliées, et que l'on a pas envie de refermer.

Merci à Babelio et aux éditions Stock

vendredi 23 mai 2014

Les Nuits de San Francisco de Caryl Férey



Je connaissais jusqu’à présent Caryl Férey seulement pour ses polars, souvent très noirs. Lorsque je suis tombée en librairie sur son dernier opus placé au milieu des romans, je n’ai pas manqué d’être intriguée. Étant une aficionada du monsieur, j’ai empoché le livre en question et ce fut une excellente surprise.
Il est publié dans une collection où ont déjà œuvré Kessel, Sinoué et Valdés (seulement trois livres au compteur pour le moment). L'auteur se doit d’écrire sur les "Nuits d’un lieu". Vous devez savoir que Caryl Férey aime voyager, pas étonnant donc qu’il se soit prêté au jeu… 
Il nous emmène ici aux États-Unis, mais pas directement à San Francisco (voir le titre pour ceux qui ne suivent pas…) car tout commence dans une réserve indienne, où végète Sam, bien piètre descendant d’une tribu de sioux Oglaglas. Comme nombre de ses comparses, il tâte de la bouteille et s’ennuie ferme. Le chaman a bien essayé de le remettre sur la voie des bisons mais nada, la voix des ancêtres est restée muette dans la cervelle embrumée de Sam. Ce dernier décide alors un jour de partir. Son chemin le mènera bien loin de la réserve et, vous vous en doutez, à San Francisco où il va rencontrer une fille handicapée et tout autant cabossée par la vie que lui. C’est le résultat de cette rencontre improbable que nous raconte le romancier avec un réel talent de conteur.
120 pages d’un récit qui se lit comme une nouvelle, d’une traite, en une nuit peut-être, avec un vrai plaisir de lecture !

 Extrait 

« Une autre vie ! » braillait Sam dans ses rebuffades éthyliques.
Car la terre des ancêtres était maudite. Il suffisait d’y grandir. Terres incultes, chômage endémique, l’alcool interdit mais tout le monde bourré du matin au soir ; une réserve comme disaient les Wasichu. Sam avait vu son père se détruire sous ses yeux et n’avait rien fait pour l’en empêcher. Leurs ancêtres n’étaient pas de ceux qui avaient écrasé l’armée de Custer à Little Big Horn : non, Sam et son père étaient de ceux que ce même 7e de cavalerie reconstitué avait massacrés dix ans plus tard, à Wounded Knee, des centaines de Sioux oglgla passé à la mitrailleuse au cœur de l’hiver, en majorité des femmes, des enfants et des vieillards qu’on avait achevés au sabre, pour se venger de l’humiliation. »

mercredi 21 mai 2014

Les Fausses confidences de Marivaux au TNB


TNB à Rennes
J'ai eu la chance d'assister, samedi dernier, à une représentation de la pièce de Marivaux, Les Fausses Confidences, mise en scène par Luc Bondy. Avec : Isabelle Huppert dans le rôle d'Araminte, Louis Garrel dans le rôle de Dorante. Mention spéciale pour Jean-Damien Barbin qui jouait Arlequin et Bulle Ogier parfaite en Madame Argante.

P. Garrel et Bulle Ogier
L'intrigue 
Dorante, un jeune homme pauvre mais beau (vous remarquerez que je choix de Louis Garrel était plutôt adapté...), aime Araminte, femme riche qui n'a jamais vu son amoureux transi. Le fossé social qui sépare nos deux personnages devrait interdire toute rencontre mais c'est sans compter sur Dubois, ancien valet futé de Dorante. Car Dubois, plein de ressources, sous le couvert de" confidences" savamment distillées, va exciter tout d'abord la curiosité d'Araminte. Piquée d'intérêt face à cet amour qu'on lui porte, la belle va vite se construire des scénarios romanesques. Face à cet engouement naissant, Madame Argante vient rappeler, pour le plus grand bonheur des spectateurs, que les fâcheux existent encore. L'argent face aux intermittences du cœur... thème au centre de ce petit bijou, n'est pas sans questionner l'actualité.

J'ai moyennement goûté
L'aspect survolté de cette lecture du texte. J'ai trouvé de parfois les personnages étaient "surjoués" au point de friser le ridicule. Le marivaudage est pour moi plus discret et plus fin. Cela donne un aspect franchement comique à la pièce, ce qui n'est pas désagréable mais Araminte est parfois au bord de l'hystérie, alors que je l'imagine plus mélancolique et plus réservée. Isabelle Huppert expliquait, dans une interview donnée au journal Ouest-France, qu'elle s'amusait à varier les interprétations d'un soir à l'autre, passant de la franche gaîté à un aspect plus mélancolique justement du personnage. Il faudrait donc que je retourne voir la pièce une deuxième fois...

J'ai aimé
- La mise en scène de Luc Bondy qui tout en étant moderne, sait évoquer sans marteler. La présence des chaussures au fond de la scène, disposées en rond, m'a interrogée... jusqu'à ce que je pense ce matin à l'expression "trouver chaussure à son pied" et que je revois la pauvre Marton (Manon Combe) à la fin de la pièce en train d'essayer vainement de nombreuses chaussures, et qui arrivait à la fin munie de chaussures plates à lacets, alors qu'elle portait, amoureuse et bientôt mariée au début de la pièce de belles chaussures noires à talons aiguilles. 

Dorante et Dubois (Yves Jacques)

Les panneaux coulissants qui paraissent glisser sur la scène et composent une maison à la fois trouée, labyrinthique et en perpétuel changement me semblent incarner parfaitement les intermittences du cœur et de ce monde intérieur si souvent fluctuant. Les panneaux s'éloignent, se rejoignent, dans un ballet amoureux qui évoque le marivaudage.

Araminte et Dubois
 - Le jeu des acteurs ! J'ai adoré la composition de Bulle Ogier. Le plaisir de jouer des acteurs était palpable : on sentait à la fois le travail mais aussi le bonheur de jouer encore une fois pour ces acteurs pour la plupart très expérimentés. Ce plaisir, en ce qui me concerne, a été communicatif.

- Quel plaisir d'entendre la voix d'Isabelle Huppert en direct ! De retrouver certaines de ces mimiques vues tant de fois sur un écran et ici présentes sans aucun "filtre". Un vrai bonheur pour moi car je voue une grande admiration à cette actrice pour ces choix et sa manière d'aborder son travail. 

Isabelle Huppert
- J'ai également apprécié cette place accordée à la fin du spectacle à la lecture de la belle lettre de Jacques Ralite en faveur de la culture, adressée au Président de la République. Vous pouvez la lire entièrement ici.
Extrait :
"(...) Le travail est tellement livré au management et à la performance que les personnels se voient ôter leurs capacités de respiration et de symbolisation. On a l’impression que beaucoup d’hommes et de femmes des métiers artistiques sont traités comme s’ils étaient en trop dans la société.

On nous répond, c’est la crise. La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. (...)"

Pour conclure : une excellente soirée ! 


http://lecture-spectacle.blogspot.fr/2013/12/challenge-theatre-2014.html

Les photographies proposées pour illustrer ce billet ont été prises par Pascal Victor, et sont visibles sur le site du théâtre de l'Odéon.

samedi 17 mai 2014

Le mystérieux Mr Kidder de Joyce Carol Oates


Voilà un roman dans le plus pur style de la grande romancière américaine ! La trame narrative se tisse sur celle d’un conte et la romancière développe ici un sens de l’intrigue à faire pâlir d’envie bien des écrivains…
L’histoire de déroule à Bayhead Harbor, dans le New Jersey. Katya Spivak, une jeune fille de seize ans rencontre un vieux monsieur de soixante-huit ans. Alors qu’elle regarde avec envie une vitrine de lingerie fine, Marcus Kidder vient lui souffler aux oreilles « Et que choisiriez-vous, s’il vous était accordé un souhait ? ». Tout cela commence donc comme un conte de fées… mais, vous vous en doutez bien, tout cela va être bien plus retord qu’un conte ! Car la jeune fille ne croit pas aux contes de fées. Katya a été élevée à la dure, ce qui a engendré chez elle un mélange de naïveté extrême associé à un cynisme parfois violent.
Sa rencontre avec le vieux monsieur sera donc placée sous le signe du balancier. Elle ne sait pas quoi en penser, et le lecteur non plus. Car ces deux là vont se revoir dans la riche demeure de l’étrange Mr Kidder qui s’avère être peintre et écrivain pour enfants. Le sexagénaire et la nymphette vont nouer une relation étrange et ambivalente.
Mais quelle peut bien être cette relation ? Que cache Mr Kidder derrière ses manières policées qui semblent venir d’un autre siècle ? A quoi ressemblent les tableaux bizarres qui se trouvent dans son atelier ? Que peut bien vouloir suggérer la générosité de ce vieil homme envers Katya ? Vous n’en saurez rien de plus chez Margotte… il vous faudra le lire ! Et vraiment, je vous le conseille car c’est un bon cru de l’écrivaine qui excelle dans les ambiances qui surfent sur le vénéneux et l’étrange. Voilà un de ces opus où elle nous fait osciller en permanence au bord du malaise, sans que l’on n'y sombre jamais vraiment. Du grand art !

Extrait

L’atelier était tel que Katya se le rappelait : les fenêtres à croisillons, les étagères chargées de livres, le canapé et les fauteuils aux couleurs vives. Sur les murs, les portraits de Mr Kidder ; dans les vases, scintillantes et miroitantes comme des étincelles, les fleurs fossiles de Mr Kidder.  De nuit, à la lumière des lampes, la pièce paraissait plus grande, plus mystérieuse ; le chevalet de l’artiste et ses instruments étaient dans l’ombre, au fond de la pièce. Il y avait l’odeur de peinture et de térébenthine qui pinçait les narines de Katya.
Une pièce privée ; personne n’y pénétrait. Mrs Bee était probablement allée se coucher.
   « Chère Katya ! Vous sembliez si bouleversée au téléphone. Une urgence familiale… de quoi s’agit-il ? »

http://leslivresdegeorgesandetmoi.wordpress.com/2010/02/17/et-un-challenge-un/

dimanche 11 mai 2014

Julius aux alouettes de Fabienne Juhel


Il existe des découvertes littéraires qui déclenchent de durables « passions littéraires ». Ainsi, après avoir dévoré À l’angle du renard (quatrième ouvrage de Fabienne Juhel) j’ai lu avec un enthousiasme toujours renouvelé l’ensemble de son œuvre (me reste seulement à découvrir – il sommeille dans ma PAL – Damned, un épisode des enquêtes de Léo Tanguy que je classe un peu à part). Alors, vous pensez bien que lorsque ce dernier roman a été dans les bacs de nos chers libraires, je me suis précipitée… et je n’ai pas été déçue du tout ! Un matin de grande marée d’équinoxe, un « étrange étranger » arrive par voie de mer dans une station balnéaire du littoral breton. Surgi de nulle part, son voyage s’est fait sur une embarcation mystérieuse :

« Aucune armateur connu de vos contrées ne fabrique cette coque qui m’amène jusqu’à vos rivages et dont il ne reste rien, ou presque, à l’heure où je m’achemine jusqu’à vous. »
   L’étranger s’appelle Julius et le roman s’ouvre sur son enterrement. En sept stations qui mènent à la nécropole, le lecteur découvre à côté de l’abbé Trémeur qui « porte la croix » une famille qui accompagne le mort jusqu’à son lieu de repos. Il y a Léonie, la grand-mère, Lola la fille simplette, Brian le fils, et les parents, Alban et Marie. Tous ont aimé Julius et chacun va nous conter sa relation avec celui qui s’est baptisé « L’Élu », de la rencontre à la mort.
   Au travers des différents points de vue qui, alternés, tissent un fil narratif aux couleurs multiples, le voile se lève sur cet homme à la peau d’ébène au « patronyme surgi d’un livre d’histoire ». Homme noir à la taille fine et aux traits féminins, il semble voué à renvoyer à chaque personne qui le rencontre l’image que l’autre veut découvrir enfin. Sa voix présente des inflexions douces, il paraît pouvoir être homme ou femme, frère ou sœur, capable de se couler dans le désir de l’autre qui, sans le savoir, contemple un mystère qui restera entier.
  Une fois de plus, Fabienne Juhel nous captive en nous emmenant dans un monde aux frontières de l’onirique et du magique. Dans une langue poétique imprégnée de l’enfance et des contes, elle emporte le lecteur dans un fantastique aux accents baroques, où la violence extrême peut côtoyer la naïveté et la douceur. Les intersignes se mêlent aux rituels chrétiens et ouvrent les chemins de traverse d’une réalité qui n’est jamais aussi figée qu’elle en a l’air. J’avoue aussi aimer retrouver dans les ouvrages de cette romancière, l’ancrage dans une terre qu’elle décrit à merveille, de l’intérieur… j’y retrouve le goût du vent et du silence, les plages vides que j’aime et l’odeur des genêts jaune vifs, j'y retrouve la présence des pierres levées au milieu de la lande oubliée des touristes, j'y retrouve la présence d'un lieu qui se découvre "hors saison".
  Je retrouve enfin chez cette romancière le réalisme magique présent dans les œuvres de Sylvie Germain ou de Carole Martinez.  Voilà trois écrivaines qui renouvellent avec brio la littérature française. À l’heure où tout est pesé à l’aune de la valeur marchande, elles viennent nous rappeler avec majesté que c’est parfois le mystère qui permet d’avancer. Chacune renoue, pour notre plus grand plaisir de lecteur, avec l’amour de la narration. « Et qu’est-ce qu’une histoire ? me demanderez-vous à la suite. La narration d’un miracle. »


Extrait 
   « La mer nous apparaît immobile, silencieuse. Sous le soleil, elle devient matière en fusion, marbrée de miel et d’argent. Une carapace. Dans les images du bestiaire coloré des contes d’un autre continent, elle est cette tortue géante qui porte le monde sur son dos. De part et d’autre de la baie, les avancées des falaises forment ses pattes. Ses petites pelles d’ouvrière, couvertes d’écailles claires, ont creusé des dépressions, des failles ; elles ont sculpté ces paliers dans la pierre stratifiée. Elles ont fait de la falaise un totem. (…)
Le chemin sent la terre bombardée de soleil, le sable poivré et la fibre synthétique brûlante de nos vêtements de deuil. Les paillettes de mica perdues dans le quartz agacent la rétine.
Une escadrille de martinets criards venue des terres d’argile troue soudain le ciel. Leur aisance à glisser sur les nuages pour se laisser porter par les courants d’air dans les couloirs vertigineux d’un ciel sans mesure fait paraître bien ridicules nos déhanchements d’hommes vers de terre.
Mais l’effort physique exigé nous empêche de penser à Julius comme définitivement perdu.
Alors, nous nous réjouissons d’échanger notre peine contre cette autre peine. Au bout de notre course, les larmes se transformeront en perles de sueur. 
Ce sera un des miracles accomplis par Julius. » p. 28-29

dimanche 4 mai 2014

Dans les bois


Lorsque vous lirez ce billet, je serai partie me ressourcer au fond des bois, avec une pile de livres et mon chien pour m'accompagner dans mes errances forestières... L'occasion sans doute de vous préparer quelques beaux billets ! Je vous souhaite une excellente semaine, à très bientôt,

Margotte des bois
PS : le billet du retour sera consacré au dernier roman de Fabienne Juhel :-)

jeudi 1 mai 2014

Un bien grand amour - Lettres de Colette à Musidora (1908-1953)


Alors que l’on fête en ce moment Duras, Shakespeare et Gary, entre autres, les éditions de L’Herne viennent de publier un très beau livre dans leur collection « Correspondances ». Il s’agit des lettres de Colette à Musidora, qui couvrent la période de 1908 à 1953. Les deux femmes se rencontrent alors que la future « vamp » n’a que dix-sept ans. En 1943, Colette, dans Nudité, écrit : « Musidora que j’ai connue au sortir de l’enfance ». La romancière est alors encore mariée à Willy et celle qui va devenir la muse du cinéma muet est fascinée par le rôle de Claudine créé par Polaire… tout autant que par l’écrivaine à laquelle elle va envoyer des missives enflammées. Colette répond. En 1912, les deux femmes se retrouvent sur une scène de music-hall et c’est le début d’une amitié indéfectible, qui résistera aux nombreuses turbulences que devront affronter les deux artistes.

   Les lettres présentées ici dans un texte établi, présenté et annoté par Gérard Bonnal nous permettent de suivre les étapes de cette relation amicale. Seules les lettres de Colette sont présentées, celles qu’elle a envoyées à son amie et d’autres adressées à Pierre Labrouche, peintre et graveur, ami de Colette et amoureux passionné de l’actrice.

   Ce livre est à recommander à plusieurs titres. Tout d’abord, il est très beau et agréable au toucher ! Le titre orangé est mis en valeur par la couverture vert d’eau. À l’intérieur, le texte est bleu et aéré, ce qui rend la lecture fort agréable, d’autant plus qu’elle est agrémentée par des illustrations. Ensuite, il permet de se replonger un peu dans l’univers artistique de la première moitié du XXe siècle : music-hall, mime, théâtre et cinéma muet revivent sous la plume alerte de Colette. Enfin, pour tout admirateur de l’écrivaine, ce livre est l’occasion de suivre à nouveau les étapes de sa vie au travers de l’évolution de cette amitié constante et fidèle. Une lecture vraiment agréable, qui de plus accepte les pauses ou les lectures sur des temps courts. Car Colette épistolière reste Colette, et l’on retrouve avec grand plaisir les saveurs des Vrilles de la vigne au travers de certaines de ses lettres… j’ai dévoré l’ensemble sans bouder mon plaisir !



Extrait
« Le cadre de ma fille est délicieux. Tout est verdures craquantes et juteuses, roses, orchidées sauvages, myosotis, « compagnons » des prés qu’on ne peut pas cueillir sans qu’ils se fanent, - et l’odeur de tout cela, le matin et le soir, donne à la fois sommeil et envie de ne pas dormir. Les rossignols, les rainettes, et les petits crapauds à voix de cristal ne dorment d’ailleurs jamais. Il faudra quitter tout cela samedi…. A samedi donc, mon petit Musi-aîné (plaisanterie de Colette qui considère Musidora comme sa fille. Depuis la naissance de Bel-Gazou, Musi est donc « l’aînée », note de Pierre Bonnal, p. 51) . Nous t’embrassons tous deux, tendrement (…) »
Lettre de mai 1914 rédigée à Castel Novel, lieu de séjour de Colette et de son époux de l’époque, Henry de Jouvenel