mercredi 27 août 2014

Rentrée littéraire 2014 - La peau de l'ours de Joy Sorman

Il était une fois un pays étrange dans lequel les hommes passaient des pactes avec les ours. Depuis la nuit des temps, il avait été décidé dans le hameau que la paix régnerait entre les espèces. Les ours ne tuaient personne et la chasse était oubliée. Pourtant, le pacte fut rompu plusieurs fois et un jour, un ours enleva une jeune fille. Elle disparut durant trois ans et à son retour se pendait à ses jambes un enfant mi-homme mi-bête.
Cet enfant deviendra ours, et c’est son histoire qui nous est contée ici. Elle se déroule du point de vue de l’animal qui va connaître bien des aventures. Tout d’abord vendu à un montreur d’ours, il se retrouve ensuite avec un propriétaire qui participe à des combats d’animaux. Après avoir traversé l’océan, il travaille pour un cirque avant de finir dans un zoo. Durant ce parcours qui pourrait être initiatique, sa part animale se développera, le contact avec les humains ne faisant qu’éteindre ce qui lui restait de ses gênes de l’espèce des bêtes « pensantes ». 
J’ai lu ce court roman (157 pages) avec l’enthousiasme des découvertes type « coup de cœur ». L’atmosphère baigne dans l’indétermination du conte. Jamais vous ne saurez où se déroule l’histoire, encore moins quand. On y rencontre des nains, des hommes serpents et des femmes qui aiment d’amour les ursidés. La fantaisie se marie ici à une violence extrême plus souvent exercée par les hommes que par les animaux qui d’ailleurs se méfie de cet être cruel autant qu’imprévisible. Le plaisir de la lecture se double donc de la réflexion sur la part d’animalité de chacun. 
J’ai été totalement séduite par la présence de tous ces êtres qui m’ont souvent fait penser au film Freaks de Tod Browning. Dans notre société où tout doit être normé, et l’apparence plus que tout, rencontrer grâce à la fiction ces êtres que l’on cache aujourd’hui dans des centres dits « spécialisés » rend finalement plus humain et rassure sur le sort de notre espèce. Rien ne me réjouit plus que la diversité, elle éclate ici avec une forme de joie salutaire. La description de la perception animale sur le monde humain, troublante, nous fait presque basculer dans l’inquiétante étrangeté. On se surprend à envisager son animal domestique avec un autre œil… et on se dit que la rentrée littéraire a du bon…
Je ne connaissais pas Joy Sorman, je compte bien lire maintenant Comme une bête, paru en 2013, qui a obtenu le prix François Mauriac de l’Académie française. Et pour ceux qui comme moi ont un faible pour les ursidés, lisez l’excellent livre de Michel Pastoureau (billet ici).

Extrait (incipit)

Un pacte avait été conclu entre l’ours et les villageois. 
Un accord si ancien que son origine se perdait, qu’il semblait avoir été passé pour l’éternité, sédimenté à jamais dans la roche de la grotte : la paix régnerait entre l’ours et les habitants du hameau aussi longtemps que la bête n’approcherait pas les enfants. Les hommes s’engageaient à ne chasser aucun ours tant que celui-ci se tiendrait à bonne distance. 
L’histoire rapporte qu’une fois seulement un animal rompit le pacte – et sa punition, exemplaire, édifia tous les prédateurs des forêts et montagnes alentour.

http://delivrer-des-livres.fr/challenge-rentree-litteraire-2014/   

Vous pouvez écouter Joy Sorman qui parle de son livre ICI. Elle y évoque d'ailleurs l'excellent livre de Michel Pastoureau... Et pour répondre à la fin de l'interview de l'écrivaine : oui, il existe vraiment pour le lecteur, ce personnage, et il reste en mémoire, ce qui n'est pas le cas de tous les personnages de fiction...

La première pépite de l'année !

mercredi 13 août 2014

Près de mes bois


Je vous abandonne pour quelques jours (temps indéterminé...).
Près de mes bois,
Je vais pouvoir lire et rédiger de nouveaux billets...
tout en attendant la rentrée littéraire !
A très bientôt,
Margotte

lundi 11 août 2014

Cinna de Corneille

Corneille a écrit deux tragédies historiques dans la foulée du Cid. Horace en 1640 puis Cinna en 1642 se déroulent sur fond d'histoire romaine. L'action se déroule à Rome, en 6 av. J.-C., chez Auguste mais aussi chez Émilie, personnage non historique de la pièce.
La pièce s'ouvre par un long monologue d’Émilie, fille de Caius Toranius. Celle-ci fait part de son désir de vengeance contre l'empereur responsable de la mort de son père durant les proscriptions. Bien qu'étant fille adoptive de l'empereur et ayant bénéficié de ses libéralités, elle entraîne Cinna, son amant, dans un projet d'assassinat prévu pour le lendemain. Les deux chefs de la conjuration, Maxime et Cinna, convoqués chez l'empereur, apprennent que celui-ci, fatigué par le pouvoir, songe à abdiquer. Les trois hommes entament alors une réflexion sur le pouvoir. Chacun donne des arguments pertinents, tout en dissimulant les véritables motivations qui l'anime. 
Si le nœud de l'intrigue est tout d'abord familial et politique, il devient au IIIe acte sentimental, lorsque Maxime avoue à Euphorbe être lui aussi amoureux d’Émilie. Ce dernier, parfait dans son rôle de fourbe, laisse alors entendre à Maxime que poursuivre dans la voie de la conjuration ne fera que mieux placer son rival aux yeux d’Émilie et il le convainc de trahir Cinna.

http://catalogue.drouot.com/ref-drouot/lot-ventes-aux-encheres-drouot.jsp?id=2240685
 C'est une pièce de Corneille tout à fait passionnante  mais qui nécessite de se replonger dans l'histoire romaine si l'on veut profiter un peu de l'intrigue. Toutefois, si Corneille place l'action dans l'Antiquité, il vise aussi la vie politique de son temps. Un an avant la mort de Louis XIII et la régence d'Anne d'Autriche, il propose une réflexion sur la mise au pas de la noblesse ainsi que sur le pouvoir. La magnanimité, attribut du souverain, est la vertu ici mise en valeur.
Si les questionnements philosophiques et politiques sont intéressants, j'avoue avoir été surtout émerveillée par la langue de Corneille. La pièce, versifiée, propose de très nombreuses sentences sur lesquelles on s'arrête, on médite, et que l'on admire. On a envie de lire à voix haute, pour entendre le texte résonner car on sent bien que sa puissance vient par la voix. Je n'ai qu'un regret, n'avoir pas entendu le texte dit par des acteurs...

http://lecture-spectacle.blogspot.fr/2013/12/challenge-theatre-2014.html


jeudi 7 août 2014

Lysistrata d'Aristophane


On connaît peu de choses de la vie d’Aristophane. Athénien sans doute, comme son père, il est né aux environs de 445 av. J.-C. Lysistrata a été jouée avant les Thesmophories, en – 411. Si l’auteur est connu pour son comique de bas étage, il s’avère qu’il utilise toutes les ressources du comique, de l’ironie aux jeux de mots, en passant par la parodie. Il veut faire rire, mais il est, avant tout, un moraliste qui pourfend la politique et les mœurs de son temps.
L’intrigue de Lysistrata débute sous l’archontat de Callias. La situation est alors difficile pour Athènes, minée par la guerre. Le dramaturge prend alors la parole pour toutes les femmes de la cité et par leurs voix, plaide pour la paix.
La scène s’ouvre sur deux maisons, celle de Lysistrata et celle de Cléonice. Au fond, les Propylées et la grotte de Pan. Lysistrata attend devant sa maison les femmes qu’elle vient de convoquer. Femme d’un citoyen d’Athènes, elle a convoqué toutes les Héllènes qui sont venues. Son plan est simple : afin de retrouver enfin leurs frères et maris, elles doivent s’unir et mettre en place la stratégie suivante. Tout d’abord, elles doivent s’emparer du trésor public qui sert à alimenter la guerre. Ensuite, elles devront, lorsque les guerriers rentreront au bercail, leur refuser tout commerce sexuel tant qu’ils n’auront pas renoncé à la guerre pour toujours. « Si bien qu’on ne verra plus d’hommes, de nos jours, porter la lance les uns contre les autres… » 
La pièce, truffée de grivoiseries, voire de franches paillardises, est très drôle. J’ai été totalement séduite tout d’abord par l’idée, la pièce étant par ailleurs d’une étonnante modernité. Car finalement, rien n’a changé et les hommes continuent à se faire joyeusement la guerre, avec souvent le corps des femmes comme arme d’anéantissement. Il suffit de penser à ce qui se passe en Centrafrique aujourd’hui (le viol y est utilisé comme machine de guerre). Cette place du corps féminin au centre du conflit est donc tout à fait d’actualité, hélas.
Seul bémol, le vocabulaire parfois un peu obscur (nom de lieux, termes spécialisés), mais pour une première lecture, ce n’était pas gênant et cela n’empêchait pas la compréhension de la pièce.


Extrait
Lysistrata : Je vais parler ; il ne faut pas que l’affaire soit tenue secrète. Nous devons, ô femmes, si nous voulons réduire nos hommes à faire la paix, nous priver… 
Cléonice : De quoi ? Explique.
Lysistrata : Le ferez-vous donc ? 
Cléonice : Nous le ferons, dût-il nous en coûter la vie. 
Lysistrata : Et bien, nous devons nous priver de … verge. – Pourquoi me tournez-vous le dos ? Où allez-vous ? Pourquoi faites-vous la grimace et secouez-vous la tête, vous là-bas ? Pourquoi changer de couleur ? Pourquoi ces larmes ? Le ferez-vous ou ne le ferez-vous pas ? Pourquoi hésitez-vous ?
Cléonice : Je ne saurais le faire ; que la guerre aille son train.

http://lecture-spectacle.blogspot.fr/2013/12/challenge-theatre-2014.html

Lu dans le cadre d'une lecture commune avec Maggie et Claudia et Océane.

samedi 2 août 2014

Lectures estivales (2) - Kaiken de Jean-Christophe Grangé


Je pense pouvoir me dispenser de présenter J.C. Grangé. Adaptés au cinéma, certains de ses romans ont fait sa notoriété, je pense par exemple aux Rivières pourpres ou au Concile de pierre. Pris à la bibliothèque, Kaïken, son dixième roman, a été publié en 2012. On y retrouve le héros récurrent de l’écrivain, Olivier Passan. Celui-ci, marié à une japonaise, va se trouver confronté à deux affaires en même temps. La première, particulièrement atroce, est liée à un serial killer surnommé « L’accoucheur » parce qu’il s’attaque aux femmes enceintes. Passan en a fait une affaire personnelle car il est persuadé d’avoir mis la main sur le meurtrier mais n’a pas les preuves pour le faire enfermer. La deuxième concerne la famille du policier. En effet, alors que son couple est au plus mal et qu’il vient de quitter le foyer familial, un cadavre de singe est trouvé dans son frigo. Ensuite, c’est du sang qui est retrouvé dans sa douche, sang prélevé sur ses enfants. Tout d’abord convaincu de la culpabilité de l’accoucheur, Passan va devoir déployer toute son énergie pour, dans un contexte difficile pour lui, faire face à ces deux affaires. L’une d’elle le ramènera sur les traces de son mariage, au Japon, d’où le titre du roman : un kaïken est un couteau traditionnel japonais qui servait aux femmes de samouraïs à se suicider.
 
Mon avis
Un bon thriller, qui se lit d’une traite et sans faiblir. Les deux affaires entremêlées rendent le roman particulièrement addictif. Le personnage principal, Passan, est assez attachant et malgré certains côtés un peu caricaturaux, on s’embarque à sa suite. Le personnage de son associé, Fifi, est également intéressant, et on aimerait le voir plus présent. Cela sera peut-être le cas des romans suivants que je n’ai pas lus. Un bon polar d’été donc, à lire toutes portes fermées….

 Extrait
Fifi, alias Philippe Delluc, s’exécuta. Oliver l’observa en douce. Tignasse oxygénée, cicatrices d’acnée, piercing au coin des lèvres. Son col ouvert laissait entrevoir la gueule d’un dragon fiévreux qui lui dévorait le bras et l’épaule gauches. Aujourd’hui encore, après trois ans d’équipe, Passan se demandait comment un lascar avait pu survivre aux dix-huit mois réglementaires de l’ENSOP, aux entretiens de motivation, aux visites médicales…
Mais le résultat était là. Un flic capable d’atteindre une cible au .9mm à plus de cinquante mètres en utilisant indifféremment la main droite ou la gauche, comme de passer plusieurs nuits successives à éplucher des fadettes sans manquer une ligne. Un lieutenant à peine âgé de trente ans qui avait déjà essuyé le feu au moins cinq fois sans reculer. Le meilleur second qu’il ait jamais eu.

Catégorie polars