Afin d'honorer mes engagements côté "challenge", j'ai décidé d'acheter un livre que je convoitais depuis un certain temps, K. 622 de Christian Gailly. Il s'agissait d'inaugurer enfin ma participation au défi Des notes et des mots. Intention louable, vous en conviendrez, mais au résultat moins enthousiasmant que prévu. Pour autant, mon avis reste partagé à propos de ce roman.
Il y a du bon...
Le début de la lecture a été fort stimulant, et ce pour deux raisons. La thématique abordée n'est pas d'aujourd'hui mais reste indémodable : comment retrouver l'émotion liée à une "première fois" et/ou au contact avec la beauté ? Que reste-t-il de ces moments indéfinissables qui restent en nous, gravés, souvent parce qu'inattendus ? Peut-on retrouver ne serait-ce qu'une infime part de la force originelle de ces émotions ? Ici, l'émotion est liée à l'écoute d'un concerto de Mozart, celui "dont le chiffre apparaît sur la couverture", le concerto pour clarinette en La majeur. Le narrateur, après avoir entendu l'oeuvre durant une froide nuit d'hiver, va tenter avec acharnement de retrouver les sensations liées à ce moment nocturne. Mais... "Les conditions de l'émotion ne sont pas l'émotion, les conditions de l'émotion ne sont que le décor de l'émotion, et s'il est possible, toujours possible de reproduire le décor extérieur, le décor intérieur, lui, n'est pas reproductible, il change à vue (...)".
Ce narrateur qui dit "je" va alors partir en quête de cette émotion. Il achète tout d'abord des interprétations de l'oeuvre, puis décide d'assister à un concert. Sa quête devient centrale et occupe l'ensemble de l'ouvrage comme elle envahie la vie du personnage. Celui-ci s'empêtre bientôt dans un achat de costume qui se transforme en scène à la Tati, avant que l'achat du billet pour la soirée de concert se transforme en véritable montée de l'Evrest. Enfin, à l'opposé de la légèreté du concerto tant convoité, chaque épisode de sa vie semble s'effondrer lourdement.
Ensuite, le style m'a interpellée. Proche de la langue orale, il reste toutefois travaillé. Le point de vue interne amène le lecteur au plus près des errances mentales du personnage et de l'impossibilité dans laquelle il se trouve d'arriver au bout de sa quête. Le lecteur est prévenu dès les premières pages : il s'agit d'une "épreuve" qui sera "extrêmement pénible". Cela s'avère vrai, surtout à partir de la deuxième partie de l'ouvrage...
Et du moins bon
Alors que Christian Gailly aurait pu proposer une véritable réflexion sur un sujet qui mérite bien que l'on s'y attarde, il se perd dans une fiction qui vire au pathétique. Ainsi, alors que le personnage principal se trouve dans une cabine d'essayage, toujours à la recherche du costume perdu, une certaine Janine ouvre brusquement le rideau :
"Une seconde ! hurle-t-il encore à moitié nu, puis de rage, il lui saisit le bras et l'attire avec force contre lui à l'intérieur de la cabine, la grande blonde pousse un cri bizarre, entre stupeur et terreur, il la laisse ressortir et referme le rideau".
On découvre ainsi que l'absence d'un concerto peut provoquer un syndrôme de manque aux effets pour le moins inattendus... mais franchement ennuyeux pour le lecteur qui attend de pied ferme autre chose que la description d'un pauvre type qui n'arrive plus à enfiler son pantalon...
Enfin, le pire arrive dans la deuxième partie du roman où il semblerait que le style se limite à la répétition mécanique de certains mots. Ainsi, le verbe dire se trouve à l'honneur de la page 78 :
"Je ne comprends même pas que l'on inscrive des oeuvres différentes d'un même compositeur au programme d'un même concert, dit-il à l'homme.
Moi non plus, dit l'homme.
En somme je ne comprends pas grand-chose, dit-il à l'homme.
Ma femme non plus, dit l'homme, le mari de l'aveugle. Que voulez-vous dire ? dit-il au mari de l'aveugle. Ma femme aussi, dit le mari. Que voulez-vous dire ? redit-il au mari de l'aveugle."....
Un verbe ça va, deux bonjour les dégâts... à neuf, on frôle l'overdose ! Je n'ose gloser sur le(s) sens cachés de cette répétition... Mais vous remarquerez que l'élan créatif qui sourd de l'ensemble en a fait disparaître les signes de la ponctuation habituellement associés au dialogue. On solde ! Et on s'ennuie ferme... alors que l'on aurait sans doute pu s'amuser.
En effet, l'avertissement au lecteur avait le mérite d'être clair : "je souhaite tout partager avec le lecteur, dont je suppose qu'il partage ma répugnance pour les récits nickel au passé simple, je ne vais rien changer, je vais livrer le tout tel quel." A trop vouloir livrer le tout "tel quel", on a franchement l'impression que la livraison a été bâclée. Alors, certains me diront que la quête était vouée à l'échec... peut-être, mais la mise en forme de ce ratage annoncé, à mon sens, perd sens et cohérence au point de tout faire oublier, jusqu'à l'essentiel, le plaisir de lire...
Je n'ai pas encore découvert cet auteur, qui me semble être un des incontournables actuellement, d'après ce que j'ai pu lire et entendre. C'est bien difficile de choisir un titre pour entrer dans une oeuvre... peut-être pas celle-là...
RépondreSupprimer@Ys : ce titre ne m'a pas du tout donné envie d'aller voir plus avant dans cette oeuvre... enfin, pas pour le moment. Pour rester sur une tonalité "musicale" et chez les éditions de Minuit, je vais me plonger dans Echenoz...
RépondreSupprimerMerci pour cette critique intéressante (je viens de chez Adrienne...)
RépondreSupprimerJ'ai entamé hier "la couleur des sentiments"...
bonne journée à toi!
@Coumarine : cette lecture, si elle a été décevante, a le mérite d'avoir été stimulante... preuve en est, ce billet plus détaillé que d'habitude ;-) Merci pour cette visite, bonne journée à toi aussi !
RépondreSupprimerJe crois que ce texte n'est vraiment pas le bon pour entrer dans l’œuvre de cet auteur à lire ton avis et celui de Lucie... Tu as au moins réussi à y trouver du bon, contrairement à moi : le bon n'a été présent qu'avant ma lecture, quand j'avais encore mes illusions et mes espérances quant au traitement de ce thème si intéressant. Ta critique est vraiment intéressante et complète.
RépondreSupprimerBonnes fêtes à toi aussi et à bientôt chez Anne pour d'autres lectures musicales (j'espère que les suivantes seront moins décevantes que celle-ci)
eh bien en voilà un que je ne noterai pas!! Bonnes fêtes!
RépondreSupprimer@Minou : je continue avec Echenoz, qui, le l'espère, sera plus enthousiasmant... afin de bien finir l'année 2011 ;-) Bonnes fêtes et à bientôt peut-être chez Anne !
RépondreSupprimer@Choupynette : pas sûre en effet que cela te plaise ;-) Bonne fin d'année à toi !
J'avais plutôt bien aimé "Un soir au club" de cet auteur ...mais je ne tenterai malgré tout pas celui-ci !!
RépondreSupprimer@Malika : oui, je crois qu'il a obtenu le "prix Inter" ? Enfin, pour le moment, C. Gailly attendra, je me lance sur l'oeuvre d'Echenoz...
RépondreSupprimerC'est un auteur qui ne m'attire pas du tout, je vais donc continuer sur ma lancée ..
RépondreSupprimerMême si tu n'es pas totalement enthousiaste ton billet est intéressant, ce livre que j'ai aperçu ailleurs m'aurait bien attiré aussi
RépondreSupprimer@Aifelle : toujours ça de pris pour ta LAL ;-)
RépondreSupprimer@Dominique : j'ai aimé rédiger ce billet alors... c'est déjà bien ;-)
Bonne soirée à vous deux
J'avais adoré son roman "un soir au club" qui a eu le Prix Inter d'ailleurs, mais je ne l'ai pas suivi donc je ne connais pas ce titre que je ne lirais pas, même si le sujet m'a l'air intéressant, mais ce que tu expliques me semble convaincant pour que je ne le lise pas.
RépondreSupprimer@Nina : je lirai peut-être un jour "Un soir au club" afin de ne pas rester sur cette impression négative, mais je vais attendre un peu...
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimé aussi "Un soir au club".
RépondreSupprimer@Alain : ce titre semble faire l'unanimité... à la différence de K. 622 ;-)
RépondreSupprimerAh bon, c'est un auteur dont on parle ?? Je ne connaissais pas du tout avant ce challenge sur la musique... et je n'ai pas très envie de le lire (tu n'es pas la seule à mettre des bémols).
RépondreSupprimer@Anne : Ys a l'air de dire que l'on en parle en ce moment... Ce n'est pas l'impression que j'ai, car je pense qu'il fait plutôt partie des auteurs faiblement médiatisés (ce qui est tout à son honneur !). Je pense m'essayer quand même un peu plus tard à "Un soir au club" ! Bonne fin d'année ;-)
RépondreSupprimerIl attend dans ma pal celui-là...
RépondreSupprimerUn soir au club est très bon.
@Un autre endroit : je vais essayer de le lire, "Un soir au club"...
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