Pour ceux qui connaissent Giono grâce à ses récits méridionaux qui fleurent bon le soleil et la nature, ce roman peut sembler déroutant, d'autant plus qu'il s'ouvre sur une conversation où s'entremêlent de nombreuses voix que l'on a du mal à individualiser. C'est le soir. Des femmes, âgées, sont venues pour veiller le corps d'un certain Albert. Parmi elles, Thérèse quatre-ving-neuf ans et les "os durs". C'est la doyenne, elle aura donc droit au fauteuil. Alors que la veuve du mort est au lit, la nuit, propice au surgissement des souvenirs, va être l'occasion d'un échange qui va vite se centrer sur l'évocation de la vie de Thérèse, une vie bien peu commune.
Née Charmasson, elle s'enfuit une nuit avec le jeune Firmin car ses parents refusaient le mariage avec lui. Âgée de vingt-deux ans et alors placée au château de Percy, la voilà sur les routes, à la recherche du gite et du couvert, mais surtout, d'un travail. Après être passés au Moulin-Baron, ils se fixent à Châtillon où Firmin se fait passer pour un compagnon du devoir afin de se faire embaucher par un certain Gourgeon qui tient une maréchalerie magnifique. La ville, grand centre de roulage est très active.
"Tout le trafic des vins par fardiers passait par là. Sans compter la malle de Valence qui allait rejoindre le train de Lyon et l'été tous les transports de bois. Je ne compte pas la voiture de Lus. Le pays ne sentait que le cheval, le harnais, la graisse de roue, le fer chaud, l'étincelle et la corne brûlée. On n'entendait que bruits de marteaux sur l'enclume et soufflets qui forgeaient. Ma tête tournait un peu, mais mon Firmin au contraire faisait le cocardier et il marchait raide comme un manche à balai."
Thérèse et Firmin (film de Raoul Ruiz) |
Alors que les souvenirs de Thérèse se déroulent au fil de la conversation nocturne, sa personnalité va se révéler et tout l'intérêt du roman tient à la découverte de "l'âme" qui se dévoile peu à peu. Ce dévoilement se fait aussi grâce à l'évocation de l'improbable rencontre entre le couple d'ouvriers et le couple Numance, des bourgeois de Châtillon. En effet, Madame Numance (parfaitement incarnée par Arielle Dombasle dans l'élégante adaptation du roman par Raoul Ruiz) va tomber sous le charme de Thérèse. Afin de l'avoir près d'elle, elle installe le couple dans un pavillon qui jouxte la maison. Va alors se mettre en place un jeu à tendance perverse entre les quatre individus qui, voisins, resteront à jamais éloignés les uns de autres malgré les rapprochements fusionnels entre Thérèse et "Madame Numance". Je ne vous dévoile pas l'intrigue plus avant... mais peut vous dire que la jeune fille va se révéler d'une noirceur diabolique...
Thérèse et Madame Numance |
Publié en 1950, ce roman est né d'une nouvelle, la huitième du recueil Faust au village. Dans cet ouvrage, on trouve une nouvelle structure narrative dans laquelle différents narrateurs se succèdent pour raconter la même histoire, sous une forme dialoguée. Et c'est bien ce type de montage narratif que l'on trouve dans Les Âmes fortes où la vie de Thérèse est racontée selon deux points de vue différents qui éclairent de manière très différente son parcours. Le lecteur n'aura plus qu'à trancher entre les deux versions. Après une première lecture, j'ai vu le film... qui m'a donné envie de relire le livre ! La deuxième lecture fut très agréable. Comme un bon vin, voilà un roman qui développe ses arômes après avoir été chambré. On peut ensuite consommer sans modération, ou presque...
tu m'intrigues ;-)
RépondreSupprimer@Adrienne : une découverte intrigante en effet ;-) Bon we à toi !
SupprimerJ'ai préféré le roman que le film car je l'ai vu après et il manquait de complexité par rapport au livre. Un bon roman qui m'a donné envie de découvrir les autres romans de Giono. Pour l'instant, j'ai lu que Faust au village et Le moulin de Pologne...
RépondreSupprimer@Maggie : pour moi, c'est une découverte, je connais mal l'auteur et n'ai lu qu'un seul recueil de nouvelles. "Faust au village", c'est bien de l'avoir lu en ce qui concerne l'approche de ce roman ! Bonne soirée
SupprimerPS : en revanche, je me demande si on comprend bien le film sans avoir lu le roman...
RépondreSupprimer@Maggie : je pense que l'on passe complètement à côté du sens de l’œuvre si l'on voit seulement le film. Il n'empêche qu'en associant les deux, je trouve que c'est vraiment intéressant car les acteurs sont excellents ! Tout cela m'a donné envie de lire d'autres romans de Giono. Reste à trouver le temps, comme souvent...
SupprimerJe ne l'ai pas lu ce roman-là ; je crois n'avoir lu que les romans méridionaux. A tenter donc.
RépondreSupprimer@Aifelle : j'ai été un peu déstabilisée au début de ma première lecture car je connaissais surtout les romans méridionaux, et celui-ci est vraiment différent. Mais une fois que cette "résistance" est passée, quel plaisir ! C'est le genre de roman que l'on peut lire de nombreuses fois...
SupprimerJ'ai joué de malheur avec ce titre. J'avais commencé à le lire en LC avec Maggie et le début ne m'a pas accrochée, j'ai abandonné. Puis Maggie m'a persuadée de continuer ma lecture. Au moment où je m'y remets, on me vole mon sac avec, entre autres, la liseuse sur laquelle j'avais commandé le livre. J'en suis restée là !
RépondreSupprimer@Claudialucia : et bien ! c'est vraiment le roman maudit. Il faudra éviter de le reprendre en voyage ;-)
SupprimerJamais lu, ce pourrait être une manière de renouer avec Giono. C'est noté.
RépondreSupprimer@Tania : cela peut être une manière originale de renouer avec lui car ce roman est peu connu par rapport aux grands titres comme "Le Hussard sur le toit"...
SupprimerJ'avais beaucoup aimé le film. Il me reste à lire le roman.
RépondreSupprimer@Alex : j'ai vraiment aimé le film aussi (il faut dire que avec Raoul Ruiz, on est rarement déçu...) qui peut être une porte d'entrée vers le roman ;-)
SupprimerUn grand grand livre. Comme d'autres Giono de la même periode: Un roi sans divertissement et Noé que j'aime tout particulièrement. Il y a chez Mme Numance une fureur de se perdre, un goût de la destruction par excès de générosité qui en fait un grand personnage littéraire. Et Thérèse... Oui, tu as compris, j'adore.
RépondreSupprimer@Cleanthe : cette relation Thérèse et Mme Numance est passionnante, et les personnages de ce livre fascinants. Je comprends ton enthousiasme, après une première approche en demi-teinte, je suis maintenant conquise !
SupprimerJ'ai relu récemment "que ma joie demeure", adoré ! je note celui ci également !
RépondreSupprimer@Hélène : je n'ai pas lu celui que tu cites... et comme je cherche un deuxième titre à découvrir, pourquoi pas celui-ci ? ;-)
Supprimerje ne suis pas une grande lectrice de Giono et je ne peux pas expliquer pourquoi car les lectrices dont je partage souvent les goûts l'aiment beaucoup.
RépondreSupprimer@Luocine : oh, il faut parfois tout simplement trouver le bon moment pour découvrir un auteur véritablement. C'est une alchimie parfois compliquée ;-)
Supprimerça fait au moins quelques années-lumière que je n'ai plus lu Giono ! Oh mon dieu ! :)
RépondreSupprimer@Violette : c'est un plaisir de le redécouvrir !
SupprimerJ'irai volontiers vers ce roman aux multiples narrateurs. La technique est captivante et suscite ma curiosité, (Faulkner la pousse loin dans "Tandis que j'agonise"), je retiens précieusement ce Giono pour le savourer un prochain jour, bien chambré.
RépondreSupprimer@Christw : mieux vaut choisir un moment avec une bonne disponibilité pour en profiter ;-) et voilà bien longtemps que je n'ai pas lu Faulkner, trop longtemps !
SupprimerJe suis toujours réconforté en venant ici de ne pas trouver dix billets en retard, comme si je lisais lentement (ou trop peu?).
RépondreSupprimerJ'ai déjà commenté "Les âmes fortes". J'espère que vous allez bien, Margotte, bonne journée.
@Christw : coup de chance ! je passe par hasard ici le jour où vous déposez le message... Oui, je vais bien :-) Je suis juste loin de la blogosphère, trop occupée par d'autres activités. J'ai donc laissé mon pauvre blog un peu à l'abandon. Aucun risque donc de vous sentir ici "en retard", ou trop lent, etc. Un luxe dans la période où nous vivons !
SupprimerA bientôt, bonne soirée.
J'ai relu dernièrement "que ma joie demeure" et j'ai été tellement enchantée, que je veux continuer dans osn oeuvre !
RépondreSupprimer@Hélène : c'est vrai que cette œuvre est stimulante ! Bonne journée à toi.
SupprimerJe n'ai jamais lu Giono, mais c'est au programme (depuis des années). Peut-être que ton billet me motivera rapidement.
RépondreSupprimer@Lilly : peut-être pas le plus facile pour commencer, mais il est passionnant.
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