mardi 3 mai 2011

Les Bêtes de Pierre Gascar


« D’une image antique, il y avait un cheval retenu, la tête levée, la bouche tirée par le mors, tandis que son conducteur, les pieds presque joints, la taille creusée et le bras tendu vers le haut, renversait sa tête avec la même fierté silencieuse (…) ». Le cheval ouvre le recueil de six nouvelles de Pierre Gascar intitulé Les Bêtes. Huit cents cheveux sont parqués avant de partir à la guerre, avec les hommes. Peer, jeune recrue, est affecté à la huitième section, où se trouvent les animaux, et se retrouve à la garde des écuries. La violence qu’il va se mettre à exercer contre les bêtes masque mal un profond désespoir lié à cette proximité avec des cheveux enfermés dans leur enclos comme les hommes le sont dans la guerre... 
La nouvelle qui suit s’intitule La vie écarlate et nous brosse l’étrange aventure d’un jeune garçon boucher, Olivier, avant que n’apparaissent les abattoirs municipaux censés être plus hygiéniques. La troisième nouvelle, Les Bêtes, donne son nom au recueil. Elle se déroule sur le front russe, dans une grange proche de la ménagerie d’un cirque, où se trouvent six prisonniers affamés. Ce récit, comme les autres, illustre le fait que la guerre a amené un « autre règne animal et humain »
Ensuite, Gaston nous conte l'histoire d'un rat mythique dans l'univers des dératiseurs. Le chat retrace l'étrange déménagement d'un jeune couple dans une demeure où un félin va les accueillir et enfin, Entre chiens et loups se déroule dans un camp d'entraînement pour chiens de combat. 


Pierre Gascar, prix Goncourt en 1953 pour son recueil Les Bêtes, suivi par un récit intitulé Le temps des morts, tiré de son expérience concentrationnaire, est injustement tombé dans l'oubli. Son livre de nouvelles est d'une force rare. Tout d'abord par l'écriture. Elle est dense et précise mais s'écoule en de longues phrases laissant voguer l'imaginaire : "Mille bruits divers exprimaient l'effort sur place, les brisements des élans, l'énervement bridé ; à certains moments, une tête se dressait très haut, puis retombait vite, comme abattue, dans le tourment de cette hydre en gésine" (Les Chevaux).
L'aspect dérangeant du recueil tient au fait que l'homme s'y présente égal à l'animal, voire bien pire que lui. Les conditions de vie liées à la guerre catalysent des comportements plus policés en temps de paix... La puissance de ces récits ne tient pas dans des intrigues somme toute peu fournies mais dans la richesse de ce rapport avec l'animal tout proche. Les bêtes, la nuit, la guerre : un trio propre à déchaîner toutes les passions dans un seul geste...

Le sens à donner à l'ensemble tient sans doute dans cette chute : "Il y a le cheval dément, le mouton rage, le rat savant, l'ours impavide, sortes d'états seconds qui nous ouvrent l'enfer animal et où nous retrouvons, sans l'étonnement de la fraternité, notre propre face tourmentée, comme dans un miroir griffu."


Lu dans le cadre du challenge La Nouvelle organisé par Sabbio.

4 commentaires:

  1. oui, ça a l'air très bien, mais c'est le genre de lecture qui me donnerait des cauchemars pendant des mois... je te trouve bien courageuse!

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  2. @Adrienne : c'est très très bien écrit mais en effet, parfois difficile par la noirceur qui s'en dégage (c'était une lecture "imposée" pour un travail en cours d'élaboration, mais je ne regrette pas cette découverte !).

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  3. Tombé dans l'oubli, comme tu dis, je compte bien réparer un peu cela, tu m'as donné envie, beaucoup !

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  4. @Océane : j'espère alors lire un billet le concernant chez toi ;-) On va peut-être le sortir de l'oubli où il sommeillait ?

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