L’atelier noir d’Annie Ernaux

  

  J’ai parlé il y a peu d’Annie Ernaux, à l’occasion de la sortie l’an dernier de L’Autre Fille, court texte rédigé sous la forme d’une lettre destinée à sa sœur morte deux ans avant sa naissance (elle apprendra par hasard l’existence de cette enfant morte à 10 ans). Alors que sort en librairie Écrire la vie dans la collection « Quarto » de Gallimard, les éditions des Busclats nous proposent L’atelier noir, ouvrage composé d’extraits du journal d’écriture d’Annie Ernaux. De 1982, date à laquelle elle commence ce journal à 2007, le livre nous permet d’entrer dans l’atelier de la fabrique de l’écriture.

« C’est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs. Une sorte d’atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond, à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j’entrevois, au loin, dans la clarté. » (Annie Ernaux, extrait de la quatrième de couverture).

Ce livre met en valeur les moyens - et surtout les doutes - qui accompagnent le projet de création d’une « autosociobiographie ». On y retrouve, parsemés dans pages, les objectifs ou refus de l'écrivaine. "L'écriture plate" s'y dessine, par petites touches, au travers des remarques comme "Je ne veux pas faire rêver, évader, etc.". Le processus de création apparaît ici dans toute sa nudité. Les difficultés, nombreuses, les échecs comme les joies jalonnent le journal et lui fournissent sa densité. C'est un livre passionnant, surtout lorsque l'on admire cette auteure bien sûr, mais pas seulement, car il montre combien l'écriture s'apparente à un "travail" long et parfois bien difficile.

1982

19 avril 

"S'apprivoiser avec l'écriture à nouveau, aujourd'hui. Ne pas se presser, foncer. S'attarder sur chaque phrase, guetter les "visions". Maintenant que j'ai commencé, je n'ai plus besoin de m'encourager pour la lecture d'articles, de livres, au contraire. Je suis dans ce qui n'appartient qu'à moi. L'impression d'être dans la voie, même si certaines façons de présenter peuvent être changées."

Comme j'ai aimé me retrouver dans cette arrière cuisine de l'écriture ! Tout m'a intéressé : les errances qui mènent à l'abandon ou la création d'un livre auquel on pense depuis si longtemps, le rôle des autres auteurs (V. Woolf, Proust) mais aussi du cinéma (Le bal, La Strada), le poids de la "structure".... et tout le reste !

Folio réédite aussi pour l’occasion L’écriture comme un couteau. Entretien avec Frédéric-Yves Jeannet que je n’ai pas encore lu mais qui va bientôt venir grossir les rangs de mes livres en attente de lecture… Enfin, le Magazine littéraire propose, dans son avant-dernier numéro, une interview très intéressante de l’écrivaine. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore Annie Ernaux, voilà de quoi partir explorer son œuvre…

Ce billet est aussi l'occasion de partager un lien envoyé par Aifelle, il s'agit d'une émission de France Inter diffusé fin octobre sur Annie Ernaux et Pascal Quignard... c'est ICI.