Le journal de Joyce Carol Oates complet se compose de 4 000 pages (à interligne simple !). La taille du manuscrit, gardé à la bibliothèque de l'université de Syracuse, a obligé l'éditeur à faire un choix. Il s'est donc limité aux années 1973-1982, tout en retranchant les potins universitaires ou certains événements familiaux. Le journal s'ouvre le 1er janvier 1973, alors que l'écrivaine a 34 ans. Elle vient juste d'accéder à la notoriété, la parution de them (Eux), en 1969, lui ayant valu le National Book Award. Elle envisage alors la pratique diariste comme une "prise de conscience" et tente de saisir l'authenticité de la vie quotidienne au travers de son travail d'écriture.
La taille du livre peut effrayer un peu : 520 pages (larges et hautes) d'un texte dense... mais je suis entrée dans l'univers de la romancière avec délice et n'ai refermé qu'avec regret cet ouvrage ! Je devais lire un ou deux chapitres par jour, et cela se terminait avec une année dévorée jusque tard dans la nuit...
Alors, pourquoi cette lecture enthousiaste ?
- Pour découvrir un mode d'engagement dans l'écriture, qui doit sans cesse trouver son équilibre face aux autres occupations de la vie quotidienne... et notamment, son travail universitaire. En tant qu'enseignante, je ne pouvais qu'être intéressée par ses nombreuses remarques sur ce que représente la transmission du savoir. Même si les préoccupations d'un universitaire et celles d'un professeur du secondaire sont fort différentes, le rapport au savoir reste en partie identique. Bref, j'ai vraiment aimé lire les nombreuses remarques sur son adaptation à la vie professionnelle en fonction de ses travaux littéraires.
JC Oates et son mari Raymond Smith, en 1972 |
- Pour la réflexion passionnante sur les pouvoirs de la lecture. Ainsi, elle écrit le 23 décembre 1981 :
"Plaisirs de la révision. (Funland.) Plaisirs de lire un roman d'une grandeur si incontestable qu'on n'y sent jamais une "grandeur" assommante et consciente de soi. (Don Quichotte, traduction de Cohen.) (...) Ce qui m'intéresse beaucoup dans ce roman est évidemment ma façon de le lire, indépendamment des merveilles du roman lui-même. (900 pages à peine ! Et j'en ai lu plus de 200 ! J'ai envie de traîner, de lire aussi lentement que possible, c'est la sensation que j'ai quand je finis d'écrire un roman, quand j'approche de la fin, des mois durant j'ai été obsédée, obnubilée, anxieuse, j'ai tâtonné, ne rêvant que de liberté, et maintenant... et maintenant... vais-je enfin accéder à cette précieuse liberté et la trouver... parfaitement vide ?"
- Pour l'année 1978 durant laquelle elle centre son existence sur la pratique du piano et la composition de son roman gothique Bellefleur. Cette année là, elle revient avec assiduité à la pratique de l'instrument et prend des cours. Elle évoque souvent Chopin, qu'elle écoute presque quotidiennement, et qu'elle joue aussi. On assiste avec fébrilité à l'élaboration d'une sorte de roman dévorant. Sa préparation aura nécessité plus de 1 000 pages de notes, tableaux, cartes...
"Travaille à Bellefleur, heure après heure, et rien ne me convient mieux ; rien n'est plus généreusement, voluptueusement enrichissant. Viens de finir il y a une minute le chapitre "Paie-de-Sables" et maintenant il est près de 23 heures et à part un après-midi à l'université (...) j'ai travaillé au roman toute la journée. Tant il est absorbant, hypnotisant..."
- Parce qu'elle évoque avec franchise son manque d'intérêt pour la maternité, sa passion unique et envahissante pour l'écrit, son anorexie, son rapport au corps et à la sexualité, son amour-amitié pour son premier mari Raymond Smith... J'avoue avoir été séduite aussi par une détestation que nous avons en commun : les fêtes de fin d'année. Elle préfère, comme moi, les passer un bon livre à la main... Il existe toujours une part de curiosité dans la découverte des écrits intimes des autres, qui renvoient à notre propre vie, à ce que l'on fait, ou pas, de notre vie quotidienne... Le journal de Joyce Carol Oates ne dévoile pas de détails croustillants, et je l'ai aimé pour cela. Il s'inscrit plutôt dans l'exploration de la démarche d'une vie étroitement liée à la création littéraire et ne peut qu'inviter à lire au plus vite les ouvrages de cette grande romancière.
Merci pour cette très intéressante découverte... Je te souhaite un beau week-end, rempli de belles lectures.
RépondreSupprimer@Ötli : le we s'annonce ensoleillé, c'est déjà beaucoup ! merci pour ta visite et bon we à toi aussi :-)
SupprimerJe le lis très lentement car j'ai une lecture audio en cours, parallèlement. C'est un bon livre de chevet car on peut lire quelques pages et le reprendre le lendemain ou même quelques jours plus tard. Je n'ai lu qu'une cinquantaine de pages, difficile pour l'instant d'en parler. Ton enthousiasme me donne envie d'aller plus loin !
RépondreSupprimer@Sylire : tout à fait d'accord avec toi, c'est une excellente lecture de chevet... je l'ai lu comme cela, avec de grandes variations de rythme de lecture. Certains jours, je lisais seulement une ou deux journées, d'autres, une année complète ! Il est vrai que l'année 78 a sérieusement accéléré l'affaire ;-) Bon dimanche :-)
SupprimerJe me demande s'il faut bien connaître l'oeuvre de JCO pour apprécier son journal ?
RépondreSupprimer@Galéa : non, pas du tout. Les problématiques évoquées se comprennent hors contexte de l'oeuvre. Je n'ai pas lu tant de livres que cela de cette écrivaine (7 ou 8 je crois mais son oeuvre en compte tellement plus...). Alors bien sûr, avoir lu Bellefleur aurait sûrement été un plus, mais cela n'empêchait pas du tout d'apprécier la description des affres liées à la création de ce roman. Enfin, si tu n'as rien lu d'elle ce journal t'inviteras surtout à la lire ;-) Bon dimanche !
SupprimerLes journaux d'écrivains ne m'ont jamais tentée, je m'intéresse plus aux oeuvres. Et JCO, il faudrait vraiment que je la lise plus car tout ce que j'ai lu m'a plu.
RépondreSupprimer@Yspaddaden : dans le cas de ce journal, il fait partie, à mon sens, de l'oeuvre au vu de sa démarche. Bon dimanche :-)
SupprimerJe n'ai pas tout lu de cette auteure, très loin s'en faut, mais presque à chaque fois, j'ai aimé, voire vraiment aimé ... Son journal d'après ce que tu en dis à l'air passionnant, mais je voudrais lire "Fille noire, fille blanche" avant, et surtout "Bellefleur", comme cela après je pourrai savourer l'année 78. Merci de ce conseil en tout cas.
RépondreSupprimer@Athalie : commencer par Bellefleur avant ce journal est une excellente idée ;-) Je n'ai pas lu "Fille noire, fille blanche"... pour le moment, je convoite celui qui vient de sortir. J'ai résisté jusque là mais je crois que cela ne va pas durer longtemps... Bonne soirée !
SupprimerComme Galéa je n'ai pas lu beaucoup de ses livres alors ?
RépondreSupprimer@Enitram : je ne pense pas que cela empêche d'apprécier ce journal, si tu t'intéresses de près à la création littéraire.
SupprimerJe ne connais pas suffisamment son oeuvre pour lire son journal mais je note cette référence pour plus tard...
RépondreSupprimer@Nadaël : coup de chance, le livre vient de sortir en poche ;-)
SupprimerCela à l'air passionnant, j'aimerais bien découvrir un peu plus l'univers de cet auteur. Je note
RépondreSupprimer@Missycornish : en plus, coup de chance (je ne sais pas si tu as vu ma réponse à Nadaël) il vient de sortir en poche :-))
SupprimerA lire aussi le journal de son deuil : j'ai réussi à rester en vie. Passionnant.
RépondreSupprimer@Anonyme : tout à fait d'accord, je l'ai lu (mais non chroniqué, hélas, pas le temps..) et je l'ai trouvé très très intéressant ! Il vient de sortir en poche...
Supprimerça donne envie de la connaître davantage. J'ai visionné récemment l'adaptation de Blonde, j'ai beaucoup aimé. J'aimerais bien lire le roman maintenant. Je l'ai dans ma PAL aussi.
RépondreSupprimer@Missycornish : plus je découvre cette écrivaine et plus je suis fascinée par son oeuvre... Je comprends de mieux en mieux qu'on la donne toujours favorite pour le Nobel. Je viens de lire "Les Chutes" et j'ai franchement eu l'impression de lire un chef d'oeuvre ! Le billet devrait bientôt être sur ce blog ;-) En revanche, je n'ai pas encore lu "Blonde", une autre de ses oeuvres majeures... que tu as la chance d'avoir dans ta PAL !
SupprimerBonne soirée à toi :-)