mercredi 29 avril 2015

Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place de Georges Picard



     Les émissions littéraires ont du bon. Et si je suis parfois critique à l’égard de La Grande Librairie, j’avoue que le choix fait par son animateur la semaine dernière (émission du 9 avril) m’invite à plus d’égards. Inviter des gens qui pensent dans une émission à grande écoute, ce n’est pas si courant, et à la télévision, cela relève carrément de l’exploit. J’ai donc pris grand plaisir à écouter les quatre invités et me suis précipitée dès le lendemain chez mon libraire afin d’acheter le livre de Georges Picard publié aux éditions Corti.
    C’est tout à fait le genre d’ouvrage que j’aurais pu acheter uniquement en ayant lu le titre et vu la maison d’édition, mais ici, avoir en plus entendu l’auteur m’a totalement convaincue. Et ce, même si ce n’est pas un grand bavard, et encore moins le genre de gars à vous venter les mérites de son livre comme s’il s’agissait du dernier Musso. Non non, il est plutôt du genre taiseux Georges Picard, mais pour fréquenter un peu le fond des bois, je suis habituée au silence et j’aime ça. En attendant, c’est moi qui bavarde et je n’ai encore rien dit de ce fameux livre…
   Court récit de 150 pages, il se présente comme une lettre adressée à un certain Martinu. Le narrateur vient d’apprendre que ce dernier habite à une soixantaine de kilomètres de chez lui et se décide donc à lui écrire alors qu’ils se sont perdus de vue depuis des années. Les deux amis ont vieillis et semblent tous deux affublés d’une misanthropie tenace qui a le mérite de les inviter à réfléchir sur eux-mêmes. La lettre va donc être l’occasion de dérouler un ensemble de réflexions mosaïques sur le passé, l’avancée en âge et la manière dont on peut être (ou ne pas être) soi-même : 
« Si l’âge nous fait avancer, c’est vers la perplexité, pas vers la connaissance de soi. Je ne suis pas sûr qu’il faille le déplorer : après tout, quoi de plus excitant que cette confrontation avec l’étranger confus qui nous habite ? »

  L’ensemble propose une réflexion jubilatoire sur la société d’aujourd’hui, et, entre autres, invite à se questionner sur les médias et la pensée conforme qu’elle nous déverse à longueur de journée, et toute l’année, sans férié. Une pensée en kit, prête à l’utilisation en soirée, oubliée à peine formulée. Or, le narrateur est peu soluble dans le prêt à penser : il doute. Et dans une société où chacun est invité à avoir les dents blanches, le sourire carnassier et l’air sûr de soi, voilà qui fait tache.
« Il paraît que la conviction est une qualité très recherchée dans notre monde où la réflexion tâtonnante est moins valorisée que la propension à affirmer n’importe quelle ineptie sur le ton de la sincérité. »

  Alors bien sûr, ce n’est pas un roman. Alors bien sûr, ce n’est pas « optimiste ». Alors bien sûr, cela invite plus à penser qu’à oublier. Et pourtant, ce livre devrait être diffusé à grande échelle, genre distribution gratuite à la sortie du métro à la place des niaiseries que l’on nous propose en guise d’outils « d’information ». Car non seulement il n’invite pas à oublier, mais il serait plutôt là pour que l’on se souvienne qu’un autre monde est possible (oui, je sais, cette phrase est totalement utopique et déplacée en 2015, année de l’attentat anti-Charlie déjà presque oublié). Le genre d’ouvrage qui invite à emprunter les chemins de traverse, à jeter sa télévision (pour moi, c’est fait depuis longtemps), à écouter l’herbe pousser en regardant d’un œil amusé ceux qui vous disent que c’est la crise et que, vraiment, il va falloir que l’on travaille tous le dimanche afin que le monde aille mieux.

   Donc merci M. Picard, vous m’avez presque donné envie d’aller vivre en Beauce ! Et pourtant, chacun sait ici combien j’aime mes bois… et l’air du grand large… 
 Je place ce titre en tête de mes coups de cœur littéraires de l’année, et j’ai déjà commandé un deuxième ouvrage de l’auteur (il a déjà plus de vingt ouvrages à son actif).

Extrait

« Je remercie les ambitieux de s’occuper du monde à ma place. Ils prennent tous les risques, mais leurs récompenses, l’argent, le pouvoir, la fierté d’avoir réalisé quelque chose de positif, ne me paraissent pas suffisantes pour compenser l’aliénation du sentiment intérieur. Affairés ou pas, nous avons une vie intérieure riche de pensées et d’imaginations que les gens ambitieux finissent par simplifier en évacuant ce qui semble inutile à la satisfaction de leur désir dominant. Ils ont raison de le faire au profit de leur idéal. Ce qu’ils manquent est sans importance ; il y a des types comme moi qui accordent de l’importance à ces riens comme fond de pensée. »

31 commentaires:

  1. Ma LAL te dit merci! Ce livre n'est pas (encore) à la bibli, mais d'autres titres , si, et ça me parait prometteur (j'ai noté un Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison ^_^)

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    1. @Keisha : je réponds à ta LAL "de rien" ;-) Si tu as parcouru un peu ses titres, tu as vu comme ils sont tentateurs. Pour une fétichiste du titre comme moi, c'est un appel à l'achat ! et je vois que toi aussi tu sembles sensible au côté un peu incongru des titres en question...

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  2. La Beauce? Brrr, chaque fois que je la traverse, je me dis, je ne pourrais pas y vivre!

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    1. @Keisha : bon, j'avoue qu'il en faudrait beaucoup pour me faire vivre là-bas mais attends d'avoir lu le livre, ton regard va changer ;-)

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  3. Je lis actuellement un livre où la traversée de la Beauce est d'un ennui abyssal ! Je n'ai pas regardé la Grande Librairie, donc pas vu le monsieur, mais tu me donnes envie. J'aime ce genre de personnage.

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    1. @Aifelle : le monsieur est tout à fait intéressant et si on aime les gens qui ne se fondent pas le moule, on est servi ;-)

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  4. Si il est distribué gratuitement, je le veux bien ;-)

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    1. @Alex : si cela arrive, je te tiens au courant ;-)

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  5. Merci ! Je vais le lire, c'est tout à fait le genre de livres que j'aime. Et vous avez raison : trop peu de gens pensent et aident à penser.
    Bonne journée.

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    1. @Bonheur du Jour : vous n'allez pas être déçue si vous le lisez, j'en suis sûre ;-)

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    1. @Adrienne : je suis bien contente que cela te plaise ! Bonne soirée Adrienne.

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  7. il serait donc dans le top ten :) Je note, bien sûr !

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  8. C'est bien qu'il y ait des écrivains qui prennent le contrepied de ce qui est de bon ton dans notre société et en particulier à la télé. Moi aussi, je le note!

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    1. @Claudia : en plus, cet écrivain le fait en douceur ! c'est un vrai talent !

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  9. Pas le temps de lire ton billet, je reviendrais plus tard... Mais je venais juste de t'informer qu'il y a un RAT durant ce long week end
    https://leblogojournaldelora.wordpress.com/2015/04/10/marathon-du-muguet-30-04-au-03-05-2015/
    Fondant O chocolat
    (http://lerefugedefondantochoco.hautetfort.com/archive/2015/04/30/marathon-du-muguet-chez-elora-5613477.html?c)
    participe (c'est elle qui est gentiment venu m'informer de la chose :0) Moi aussi mais par petits bouts et sans billet (pour l'instant, demain peut-être) sur mon blog. Tu nous accompagnes ?? (c'est un RAT de plusieurs jours, jusqu'au dimanche minuit) ça serait sympa :0) Bises

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    1. @Lor : c'est gentil pour le RAT mais j'ai découvert ton commentaire hier soir seulement... tard... Autant dire qu'il était un peu tard, hélas :-( Mais je vais aller voir chez vous ce que cela a donné !

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  10. vu à LGL ; envie; tu confirmes ; je note !

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  11. Justement G Picard était l'invité de La Grande Librairie sur FR5 que vous m'avez renseignée pour De Luca.
    Oublier les petits riens qui font vivre pour le profit, le pouvoir et l'ambition ? bof... je suivrai plutôt Picard et laisserai le monde s'occuper de ce qu'il juge important. Nous on a mieux à faire, le bruit des pages par exemple... ;)

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    1. Parenthèse :je reviens pour vous remercier à nouveau du passage remarquable de De Luca en TV avec sa Parole Contraire (qu'il faudra lire). Je n'avais pas mesuré à quel point le roman convaincant commenté chez moi me mènerait si poche intellectuellement de ce fameux bonhomme pour lequel les mots ont plus de valeur que sa personne physique.
      Chapeau bas Monsieur !

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    2. @Christw : je suis bien d'accord avec votre enthousiasme concernant E. De Luca. Ses deux livres du moment me tentent ! et l'entendre en parler fut un moment intense. Ce monsieur a des convictions, et elles ne sont pas feintes... c'est tellement rare...
      Je vais chez mon libraire tout à l'heure, j'espère être "raisonnable" ;-)

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  12. Mais je ne savais pas que tu avais pépité ce titre, punaise, j'ai perdu des comms ou quoi....bref.
    J'adore ton billet, je me souviens très bien de cette émission et de l'auteur, anti bling-bling, et carrément décalé dans son propos. Pourtant, je n'aime pas les titres long habituellement mais là je valide. J'adhère à tout ce que tu dis Margotte:
    écouter l'herbe pousser, c'est franchement rebelle comme attitude.
    Je note et merci de ta participation.
    Bisettes

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    1. @Galéa : l'auteur, j'aimais bien aussi sa tête de type tombé de la lune ! Un sacré décalage avec le présentateur...

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  13. je me demande ce que ferait cet auteur sans le bruit que notre société fait autour de lui... les contradictions de l'être humain

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    1. @Luocine : oh je crois qu'il n'y a pas beaucoup de bruit autour de cet auteur... voire à peine quelques paroles... J'étais d'ailleurs très étonnée de le voir à "La Grande Librairie", tellement j'imagine que c'est peu "vendeur" !
      Mais il est vrai que notre monde moderne a au moins cet atout majeur, celui de pouvoir diffuser la parole de tous à grande échelle, pour le meilleur et pour le pire. Nous en profitons d'ailleurs avec nos blogs ;-)
      Bon we à toi Luocine :-)

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  14. Le titre accroche, l'auteur semble un misanthrope heureux - bref, je suis intriguée et je note ce titre. Bonne journée, Margotte.

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    1. @Tania : c'est un livre vraiment agréable à lire et qui appelle d'autres lectures de cet auteur ;-) Bon we à toi.

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  15. Tu m'intrigues beaucoup avec ce petit livre... je le note tiens! Bises.

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    1. @Nadael : un petit livre étonnant à une heure de grande écoute ! et très agréable à lire... Bon we à toi.

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