Marie Darrieussecq a écrit deux
livres cette année, une nouvelle traduction de Virginia Woolf et celui-ci,
sous-titré Vie de Paula M. Becker. Il s’agit de la biographie d’une
femme peintre, post-impressionniste peu connue. C’est à l’occasion de la mise
en place d’une exposition Paula Modersohn-Becker au musée d’Art moderne deParis, commencée ce mois-ci, que l’écrivaine s’est lancée dans l’écriture de sa
vie : « un printemps et un été pour Paula, cent dix ans après son
dernier séjour parisien. »
« Elle est ici, Paula,
avec ses tableaux. Nous allons la voir », affirme la romancière. Quant à moi, je ne
suis pas sûre de l’avoir totalement cernée au travers de cet ouvrage sur lequel
je suis partagée.
Autoportrait de 1906 |
Trois points négatifs
1. L’écriture au présent. Chez
Karine Giebel, cela présente le mérite de rendre l’action plus vive et
d’accentuer le suspense. Dans le cadre d’une biographie qui se déroule entre la
fin du XIXe et le début du XXe siècle, cela perturbe un
peu le cadre temporel. Le déroulement chronologique est trop souvent flou,
comme si les dates affichées régulièrement se trouvaient effacées par le
présent historique.
2. L’abondance de phrases courtes
et non verbales, à la Duras, mais sans sa petite musique. Exemple :
« Alors Paula renonce. Un froid dans la chaleur. Silence. ».
L’association avec des paragraphes courts, qui fractionnent le texte, accentue
l’effet mosaïque de l’ensemble. On cherche la cohérence, on passe d’un épisode
à l’autre sans toujours faire le lien entre les deux. On revient en arrière
pour comprendre puis finalement on continue parce que le paragraphe suivant
peut se lire individuellement.
« A seize ans, partie en Angleterre chez sa tante
Marie pour apprendre à tenir un ménage, Paula Becker rentre plus tôt que prévu.
Elle s’est mise à dessiner, plus intensément que prévu. Sa mère l’y encourage
et prend même une locataire pour financer ses cours. Et son père ne voit pas ça
d’un trop mauvais œil, mais pour avoir un métier, l’enseignement. En septembre
1895, Paula a obtenu son diplôme d’institutrice. »
3. Un livre dans lequel on
n’entre pas vraiment, comme s’il s’agissait de rester sur le seuil. Il présente
pourtant des atouts. Ce sont eux qui poussent à le terminer mais j’avoue avoir
été tentée plusieurs fois de le laisser en plan.
Tête de jeune fille à la fenêtre |
Trois points positifs
1. La découverte d’une femme peintre inconnue du grand
public. L’ouvrage donne envie de découvrir son œuvre (en cela, il a sans doute
atteint son but). Ses relations avec Rilke et d’autres artistes de l’époque
sont une invitation à se (re)plonger dans les vies du poète mais aussi de Rodin
ou de Manet.
2. Une réflexion sur la place des
femmes dans les milieux artistiques. Marie Darrieussecq décrit par exemple ces
tableaux de femmes qui végètent dans le caves des musées, pendant que ceux des
confrères masculins trônent dans les étages. On apprend que le coût de
l’apprentissage aux Beaux-Arts était plus élevé pour les femmes que pour les
hommes, que celles-ci ne pouvaient peindre à partir de modèles masculins
entièrement nus, les parties viriles étant donc soigneusement cachées par un
slip bien couvrant… On a parcouru un peu de chemin depuis, mais voilà de quoi
nous rappeler ce que pourrait être un éventuel retour en arrière…
3. Des interventions fréquentes de la narratrice qui
humanisent le propos. Alors que je suis restée étrangement à l’extérieur de ce
texte, les interventions de la romancière venaient me tirer à nouveau dans le
récit. Peut-être parce que ses questions ou ses remarques sont assez proches de
ce pourraient être les miennes ?
« Tout ce que je savais en regardant cette toile, c’est que je
n’avais jamais rien vu de tel. Une femme montrée ainsi, et en 1906. Qui était
Paula Modersohn-Becker ? Pourquoi n’avais-je jamais entendu parler d’elle ?
Et plus j’ai lu, et plus j’ai vu (d’autres allaitements puissants, la mère
tenant son sein comme seule une femme peintre, peut-être, peut le donner à
voir), plus je me disais que je devais écrire la vie de cette artiste et
contribuer à montrer son travail. »
Une émission très agréable à écouter sur ce livre : Marie Darrieussecq invitée de L'Humeur vagabonde sur France Inter, ICI.
Une émission très agréable à écouter sur ce livre : Marie Darrieussecq invitée de L'Humeur vagabonde sur France Inter, ICI.
cette artiste était vraiment une inconnue, elle semble avoir peint un peu à la Cézanne? Du moins elle semble s'en être inspirée mais ça reste à ce que tu nous montres nettement inférieur .
RépondreSupprimerEt ton commentaire ne nous pousse pas à la curiosité mais c'est bien de commenter des livres comme ça aussi.
@Alex : pour en savoir plus et voir des tableaux, tu peux aller ici : https://twitter.com/hashtag/ModersohnBecker
SupprimerC'est un auteur qui ne m'attire pas parce que j'avais lu un livre qui m'avait déplu de cet auteur...
RépondreSupprimer@Maggie : je suis loin d'aimer tout ce qu'elle a fait... mais je la suis plus ou moins depuis ses débuts. J'ai vraiment aimé "Clèves", dans les plus récents.
Supprimerje viens de l'entendre sur France culture je ne sais pas si je lirai ce livre mais j'irai voir cette artiste qui me semble extraordinaire. Quand elle est morte en 31 ans lors d'un accouchement elle adit "C'est dommage!" c'est vrai que c'est dommage, elle avait un tel talent.
RépondreSupprimer@Luocine : j'irais bien moi aussi voir l'expo au Musée d'Art moderne de Paris. J'ai commencé aussi à écouter l'émission dont tu parles, j'étais passée à côté ce soir alors que je l'écoute souvent. Merci pour l'info ;-)
SupprimerL'auteure m'avait conquise lors de son passage à LGL et j'avais envie de lire ce livre pour les points positifs que tu cites mais je ne supporte pas les livres écrits au présent de l'indicatif (sauf éventuellement dans un polar), alors là je suis refroidie ! Il me tentait aussi pour un "portrait" de Rilke moins lisse qu'il n'était (paraît-il) mais là tu m'as refroidie ! :) "Dommage" !^-^
RépondreSupprimer@Asphodèle : en ce qui concerne Rilke, c'est en effet bien moins lisse que l'image que l'on a de lui... Si tu veux l'écouter un peu, l'écrivaine est passée hier soir à Ping-Pong sur France Culture à propos de ce livre.
SupprimerJ'espère que tu vas mieux. Bonne journée à toi.
Une biographie ? Une facette de cette auteure que je serais curieuse de découvrir !
RépondreSupprimer@Noukette : oui, c'est tout à fait nouveau pour elle !
SupprimerC'est intéressant de lire tes réserves ; j'étais déjà assez hésitante devant ce livre, je vais laisser faire le temps ...
RépondreSupprimer@Aifelle : il y aura sans doute une sortie en poche, ce qui rend les déceptions moins "cruelles" ;-)
SupprimerOn verra. Les points positifs peuvent l'emporter!
RépondreSupprimer@Keisha : tout à fait ! En plus, j'aimerais bien lire un billet avec un avis différent chez toi ;-)
SupprimerJ'ai un peu de mal avec le style de l'auteur, ce qui me faisait hésiter à lire ce livre.
RépondreSupprimer@Alex : c'est assez différent de ce qu'elle fait d'habitude puisqu'il s'agit d'une biographie mais si tu n'aimes pas son style, pas sûr que cela soit le livre à lire pour te réconcilier avec elle ;-)
SupprimerJe note , je n'ai jamais lu Darrieusecq, mais les phrases courtes que tu signales ont le don de m'agacer quand l'écrivain exagère leur usage. Par conte les points positifs cités sont convaincants.
RépondreSupprimerSur la place des femmes en peinture, j'ai lu il y a quelques temps "Les singuliers" de Anne Percin, un roman épistolaire. (voir index des auteurs sur "Marque-pages").
@Christw : je n'ai pas du tout entendu parler du livre d'Anne Percin, je vais aller faire un tour chez toi pour voir ça... Bonne journée !
SupprimerA vrai dire, je ne suis pas sûre d'avoir envie de lire ce genre de livre.... En effet, n'est pas Duras qui veut.
RépondreSupprimerMerci en tout cas d'en parler si clairement.
Bonne journée.
@Bonheur du Jour : je crois qu'il faut vraiment ou aimer Marie Darrieussecq ou être très intéressée par cette femme peintre... Les deux, c'est encore mieux. Bonne journée à toi.
SupprimerC'est bien dommage qu'il y ait tous ces points négatifs car la découverte d'un peintre m'aurait intéressée comme le fait qu'elle soit inconnue et femme!
RépondreSupprimer@Claudialucia : tu peux prendre plaisir à cette lecture à condition de ne pas avoir les mêmes réserves que moi concernant le style...
SupprimerJ'aviserai quand il sera à la biblio.
RépondreSupprimer@Clara : il y sera sûrement, elle est assez connue pour s'y trouver rapidement...
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