Rédiger un billet sur un
« monument » tel que Les Contemplations, un recueil de poésie
en plus, me semble bien ardu. Mais le challenge Hugo doublé de celui sur le
romantisme pousse au dépassement… Je vais donc essayer de vous proposer, tout
simplement, mon ressenti sur cette lecture, après vous avoir éclairé par
quelques éléments du contexte qui a entouré la parution de cet ouvrage au mitan
du XIXe siècle, en 1856.
L’ouvrage est né d’un lent
« processus de sédimentation » (J. Gaudon). En 1846, Hugo commençait
déjà a envisager une parution, comptant les vers de nombreux textes déjà
accumulés. Un titre s’imposait alors : Les Contemplations d’Olympio, nom mythique qui déjà annonçait une visée
large, dépassant le discours lyrique du « je ». Mais c’est l’exil qui
va véritablement donner forme à ce qui va devenir un projet, projet qui va
s’incarner dans une structure.
L’ouvrage se divise en deux
masses : Autrefois-Aujourd’hui. Entre les deux, la mort de la fille
adorée, Léopoldine, noyée dans la Seine le 4 septembre 1843. Six livres qui, de
l’Aurore à Au bord de l’infini, disent la
douleur de la perte de l’enfant, symbolisée par trois petits points dans le
quatrième intitulé Pauca
Meae. Hugo dira, concernant ce recueil, qu’il s’agit d’une « grande
pyramide », tombeau de la fille morte, mais aussi de ce narrateur qui
parle du fond du gouffre universel et converse avec les spectres.
L’homme en songeant descend au gouffre universel.
J’errais près
du dolmen qui domine Rozel,
A l’endroit
où le cap se prolonge en presqu’île.
Le spectre
m’attendait ; l’être sombre et tranquille
Me prit par
les cheveux dans sa main qui grandit,
M’emporta sur
le haut du rocher, et me dit :
*
Sache que tout connaît sa loi, son but, sa
route ; (…)
Tout parle ; l’air qui
passe et l’alcyon qui vogue,
Le brin d’herbe, la fleur, le
germe, l’élément.
T’imaginais-tu donc l’univers
autrement ?
VI, Au bord de l’infini,
« Ce que dit la bouche d’ombre »
Mais si l’ensemble construit un
monument destiné à Léopoldine, il propose également une réflexion sur le rôle
du poète considéré ici comme « mage » pourvoyeur d’une parole sacrée
en direction des vivants. En parallèle s’ébauche une doctrine sur la poésie et
ses moyens où l’on retrouve les vers souvent cités comme le fameux :
« J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin » (I, XXVI,
« Quelques mots à un autre »). J’ai particulièrement goûté le passage
qui concerne l’introduction des mots « d’en bas » à la poésie, voyez
donc :
Les mots de qualité, les
syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de
leurs grottes exquises,
Faisant la bouche en cœur et
ne parlant qu’entre eux,
J’ai dit aux mots d’en
bas : Manchots, boiteux, goitreux,
Redressez-vous ! planez,
et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et
farouche des aigles !
I, XXVI, « Quelques mots à
un autre »
Avril 2016 |
Je dois avouer que j’ai vraiment
préféré la deuxième partie du recueil,
même si la première recèle des morceaux d’anthologie, avec, entre
autres, des figures de pédants digne d’une comédie de Molière. J’ai été
totalement emportée par le souffle noir d’Aujourd’hui qui m’a parfois
fait penser à Baudelaire. Hugo souhaitera d’ailleurs, avant Spleen et idéal,
inventer un vers « aussi beau que de la prose ». Comme dans les Fleurs
du mal, on y retrouve ces morts échevelés à la parole prophétique, ces
incantations qui nous rappellent que la vie est brève et que la charogne n’est
jamais loin, ces ombres et ces mages qui font naître dans notre esprit aux
abois des réminiscences de tableaux romantiques plein de ruines et d’arbres aux
doigts crochus. J’ai refermé le livre méditative, en me promettant de le relire
assez vite, plus lentement, afin de profiter du système d’échos qui le compose.
Ces « mémoires d’une âme » parlent à tous et, des tableaux idylliques
des premiers livres aux sombres visions de ce qui suit, c’est un miroir que le
poète tend au lecteur.
Cet homme, dans quelque ruine,
Avec la ronce et le lézard,
Vit sous la brume et la
bruine,
Fruit tombé de l’arbre
hasard ! (…)
Il est l’être crépusculaire.
On a peur de
l’apercevoir ;
Pâtre tant que le jour
l’éclaire,
Fantôme dès que vient le soir.
III, Les Luttes et les rêves,
XXX, « Magnitudo Parvi »
Et pour conclure, je ne peux que
vous parler de la réception de l’ouvrage, qui nous montre combien nous avons
changé de société. En effet, le succès du livre fut « foudroyant » et
le premier jour vit 2 000 exemplaires se vendre sur les 3 000 du premier
tirage. Imagine-t-on aujourd’hui un phénomène de ce type pour un livre de
poésie ? Les ventes se stabilisèrent ensuite, à l’inverse de la critique
qui resta très virulente contre le recueil, et particulièrement contre la
deuxième partie de l’ouvrage.
Ce qu'il y a de bien avec Hugo c'est qu'on peut encore en réciter des pans entiers par coeur, quel plaisir
RépondreSupprimer@Dominique : oui, c'est une poésie qui se prête assez bien à la mémorisation et pouvoir se souvenir des poèmes, c'est toujours comme tu le dis un vrai plaisir !
Supprimeroui, tu dis bien, et tu as raison sur tout, y compris sur la réception et les ventes d'un tel livre (mais je crois que même à l'époque c'était exceptionnel, un peu "l'effet Hugo", non?)
RépondreSupprimer@Adrienne : oui, il y a eu de "l'effet Hugo", mais quand même... et puis, il était lu aussi par les catégories populaires, et ça, cela me rend nostalgique ;-)
SupprimerJ'ai lu ce recueil il y a un ou deux ans. Il est magnifique en effet...
RépondreSupprimerConcernant ta dernière remarque, V.H. était déjà extrêmement renommé de son vivant, peut-être que si nos politiciens contemporains publiaient de la poésie au lieu de biographie sur leurs dérives sexuelles, peut-être que la poésie se vendrait mieux. ;)
@Moglug : j'ai eu le sourire en lisant ton commentaire... Il y quand même comme contre-exemple De Villepin, poète à ses heures. J'ai parcouru l'un de ses ouvrages à la biblio et je n'ai pas trop accroché mais cela a le mérite d'être d'un niveau bien supérieur à des bouquins type "Ma vie avec Machine" ;-)
SupprimerJ'adore le théâtre hugolien mais je connais moins sa poésie. Je viens de l'acheter. Comme je suis hugolâtre, je ne doute pas d'aimer...
RépondreSupprimer@Maggie : je suis comme toi, je connais moins sa poésie. Je veux lire depuis longtemps "Les Orientales" par exemple. Mais avec Hugo, il y a tellement de choix ! on ne sait pas trop par où commencer. Grâce au challenge de Lucia, pour les romans, j'ai commencé par le début et j'ai lu avec plaisir "Bug-Jargal". Je ne te savais pas "hugolâtre", mais c'est une bonne maladie ;-)
SupprimerQuel billet, tu as eu raison de te lancer, tu en parles magnifiquement ! Je le lis depuis longtemps, je le relis surtout (on va dire ça comme ça) mais je serais bien incapable de le chroniquer ! ;) Et j'ai appris des choses ! :)
RépondreSupprimer@Asphodèle : merci pour ces compliments :-) Le relire, c'est bien, c'est comme cela que l'on apprécie vraiment la poésie ! Bonne journée à toi.
Supprimerlire et relire la poésie d'Hugo, je dois dire que ce n'est pas mon poète préféré c'était celui de ma mère et de ma grand mère qui pouvaient toutes les deux passer beaucoup de temps à se réciter ses vers à notre grand étonnement (plus qu'à notre grand plaisir!)
RépondreSupprimer@Luocine : ce que tu décris dis bien comme nous avons changé de monde par rapport à la poésie... Il fut un temps où elle était sue, lue, récitée avec plaisir :-)
SupprimerJ'aime la poésie de Hugo,depuis l'école primaire et ce jusqu'à aujourd'hui !!! Tellement que je l'"utilise" encore sur mon dernier billet !
RépondreSupprimerBelle soirée à toi
@Enitram : mais je vais voir ça de suite !
SupprimerJ'ai beaucoup lu la poésie de Hugo étant adolescent car j'avais obtenu un prix d'école avec une anthologie de poèmes. Il n'a plus de remises de prix avec des livres.
RépondreSupprimerMais il y a toujours des lecteurs et lectrices de poésie, merci de nous le rappeler, Margotte. Les extraits sont bien choisis.
@Christw : c'est bien dommage, cet abandon des remises de prix avec des livres... Je garde un souvenir ému de l'une d'entre elles, j'avais reçu une collection de romans, avec de belles illustrations :-)
SupprimerJe n'ai jamais lu ce recueil en entier, je ne doute pas qu'il en vaille la peine, comme tu le démontres bien.
RépondreSupprimerCe passage sur les mots d'en bas m'a fait penser à Léo Ferré : "Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, c'est la poésie qui illustre le mot."
@Tania : si l'on connaît tous certains textes, lire le recueil en entier change la perception des textes en question. C'est une lecture exigeante, mais qui sait offrir en retour ;-)
SupprimerJ'aime beaucoup ton billet. Tu me donnes envie de lire le recueil dans sa totalité pour avoir comme toi une vision d'ensemble! Moi aussi j'aime le passage sur les mots d'en bas.
RépondreSupprimerMerci pour cette belle participation aux deux challenges Hugo et romantique. Ce serait bien de se faire un petite LC un de ces jours, qu'en penses-tu?
@Claudia : merci :-) Je suis tout à fait partante pour une LC-Hugo et/ou "romantique". Reste à savoir avec quel livre ? Ou quel recueil ? On peut voir ça pas le biais de la messagerie si tu veux. Bonne semaine à toi !
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