mercredi 20 avril 2016

Les Contemplations de Victor Hugo

      Rédiger un billet sur un « monument » tel que Les Contemplations, un recueil de poésie en plus, me semble bien ardu. Mais le challenge Hugo doublé de celui sur le romantisme pousse au dépassement… Je vais donc essayer de vous proposer, tout simplement, mon ressenti sur cette lecture, après vous avoir éclairé par quelques éléments du contexte qui a entouré la parution de cet ouvrage au mitan du XIXe siècle, en 1856.
  L’ouvrage est né d’un lent « processus de sédimentation » (J. Gaudon). En 1846, Hugo commençait déjà a envisager une parution, comptant les vers de nombreux textes déjà accumulés. Un titre s’imposait alors : Les Contemplations d’Olympio, nom mythique qui déjà annonçait une visée large, dépassant le discours lyrique du « je ». Mais c’est l’exil qui va véritablement donner forme à ce qui va devenir un projet, projet qui va s’incarner dans une structure.
   L’ouvrage se divise en deux masses : Autrefois-Aujourd’hui. Entre les deux, la mort de la fille adorée, Léopoldine, noyée dans la Seine le 4 septembre 1843. Six livres qui, de l’Aurore à Au bord de l’infini, disent la douleur de la perte de l’enfant, symbolisée par trois petits points dans le quatrième intitulé Pauca Meae. Hugo dira, concernant ce recueil, qu’il s’agit d’une « grande pyramide », tombeau de la fille morte, mais aussi de ce narrateur qui parle du fond du gouffre universel et converse avec les spectres.


L’homme en songeant descend au gouffre universel.
J’errais près du dolmen qui domine Rozel,
A l’endroit où le cap se prolonge en presqu’île.
Le spectre m’attendait ; l’être sombre et tranquille
Me prit par les cheveux dans sa main qui grandit,
M’emporta sur le haut du rocher, et me dit :
                                    *
Sache que  tout connaît sa loi, son but, sa route ; (…)
Tout parle ; l’air qui passe et l’alcyon qui vogue,
Le brin d’herbe, la fleur, le germe, l’élément.
T’imaginais-tu donc l’univers autrement ?
VI, Au bord de l’infini, « Ce que dit la bouche d’ombre »


   Mais si l’ensemble construit un monument destiné à Léopoldine, il propose également une réflexion sur le rôle du poète considéré ici comme « mage » pourvoyeur d’une parole sacrée en direction des vivants. En parallèle s’ébauche une doctrine sur la poésie et ses moyens où l’on retrouve les vers souvent cités comme le fameux : « J’ai disloqué ce grand niais d’alexandrin » (I, XXVI, « Quelques mots à un autre »). J’ai particulièrement goûté le passage qui concerne l’introduction des mots « d’en bas » à la poésie, voyez donc :
 
Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises,
Faisant la bouche en cœur et ne parlant qu’entre eux,
J’ai dit aux mots d’en bas : Manchots, boiteux, goitreux,
Redressez-vous ! planez, et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et farouche des aigles !
I, XXVI, « Quelques mots à un autre »


Avril 2016
   Je dois avouer que j’ai vraiment préféré la deuxième partie du recueil,  même si la première recèle des morceaux d’anthologie, avec, entre autres, des figures de pédants digne d’une comédie de Molière. J’ai été totalement emportée par le souffle noir d’Aujourd’hui qui m’a parfois fait penser à Baudelaire. Hugo souhaitera d’ailleurs, avant Spleen et idéal, inventer un vers « aussi beau que de la prose ». Comme dans les Fleurs du mal, on y retrouve ces morts échevelés à la parole prophétique, ces incantations qui nous rappellent que la vie est brève et que la charogne n’est jamais loin, ces ombres et ces mages qui font naître dans notre esprit aux abois des réminiscences de tableaux romantiques plein de ruines et d’arbres aux doigts crochus. J’ai refermé le livre méditative, en me promettant de le relire assez vite, plus lentement, afin de profiter du système d’échos qui le compose. Ces « mémoires d’une âme » parlent à tous et, des tableaux idylliques des premiers livres aux sombres visions de ce qui suit, c’est un miroir que le poète tend au lecteur.


Cet homme, dans quelque ruine,
Avec la ronce et le lézard,
Vit sous la brume et la bruine,
Fruit tombé de l’arbre hasard ! (…)
                       
Il est l’être crépusculaire.
On a peur de l’apercevoir ;
Pâtre tant que le jour l’éclaire,
Fantôme dès que vient le soir.
III, Les Luttes et les rêves, XXX, « Magnitudo Parvi »

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/2014/11/challenge-victor-hugo_5.html

Et pour conclure, je ne peux que vous parler de la réception de l’ouvrage, qui nous montre combien nous avons changé de société. En effet, le succès du livre fut « foudroyant » et le premier jour vit 2 000 exemplaires se vendre sur les 3 000 du premier tirage. Imagine-t-on aujourd’hui un phénomène de ce type pour un livre de poésie ? Les ventes se stabilisèrent ensuite, à l’inverse de la critique qui resta très virulente contre le recueil, et particulièrement contre la deuxième partie de l’ouvrage.

http://claudialucia-malibrairie.blogspot.fr/2013/12/challenge-romantique-quatrieme-bilan.html

20 commentaires:

  1. Ce qu'il y a de bien avec Hugo c'est qu'on peut encore en réciter des pans entiers par coeur, quel plaisir

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    1. @Dominique : oui, c'est une poésie qui se prête assez bien à la mémorisation et pouvoir se souvenir des poèmes, c'est toujours comme tu le dis un vrai plaisir !

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  2. oui, tu dis bien, et tu as raison sur tout, y compris sur la réception et les ventes d'un tel livre (mais je crois que même à l'époque c'était exceptionnel, un peu "l'effet Hugo", non?)

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    1. @Adrienne : oui, il y a eu de "l'effet Hugo", mais quand même... et puis, il était lu aussi par les catégories populaires, et ça, cela me rend nostalgique ;-)

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  3. J'ai lu ce recueil il y a un ou deux ans. Il est magnifique en effet...
    Concernant ta dernière remarque, V.H. était déjà extrêmement renommé de son vivant, peut-être que si nos politiciens contemporains publiaient de la poésie au lieu de biographie sur leurs dérives sexuelles, peut-être que la poésie se vendrait mieux. ;)

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    1. @Moglug : j'ai eu le sourire en lisant ton commentaire... Il y quand même comme contre-exemple De Villepin, poète à ses heures. J'ai parcouru l'un de ses ouvrages à la biblio et je n'ai pas trop accroché mais cela a le mérite d'être d'un niveau bien supérieur à des bouquins type "Ma vie avec Machine" ;-)

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  4. J'adore le théâtre hugolien mais je connais moins sa poésie. Je viens de l'acheter. Comme je suis hugolâtre, je ne doute pas d'aimer...

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    1. @Maggie : je suis comme toi, je connais moins sa poésie. Je veux lire depuis longtemps "Les Orientales" par exemple. Mais avec Hugo, il y a tellement de choix ! on ne sait pas trop par où commencer. Grâce au challenge de Lucia, pour les romans, j'ai commencé par le début et j'ai lu avec plaisir "Bug-Jargal". Je ne te savais pas "hugolâtre", mais c'est une bonne maladie ;-)

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  5. Quel billet, tu as eu raison de te lancer, tu en parles magnifiquement ! Je le lis depuis longtemps, je le relis surtout (on va dire ça comme ça) mais je serais bien incapable de le chroniquer ! ;) Et j'ai appris des choses ! :)

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    1. @Asphodèle : merci pour ces compliments :-) Le relire, c'est bien, c'est comme cela que l'on apprécie vraiment la poésie ! Bonne journée à toi.

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  6. lire et relire la poésie d'Hugo, je dois dire que ce n'est pas mon poète préféré c'était celui de ma mère et de ma grand mère qui pouvaient toutes les deux passer beaucoup de temps à se réciter ses vers à notre grand étonnement (plus qu'à notre grand plaisir!)

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    1. @Luocine : ce que tu décris dis bien comme nous avons changé de monde par rapport à la poésie... Il fut un temps où elle était sue, lue, récitée avec plaisir :-)

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  7. J'aime la poésie de Hugo,depuis l'école primaire et ce jusqu'à aujourd'hui !!! Tellement que je l'"utilise" encore sur mon dernier billet !
    Belle soirée à toi

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  8. J'ai beaucoup lu la poésie de Hugo étant adolescent car j'avais obtenu un prix d'école avec une anthologie de poèmes. Il n'a plus de remises de prix avec des livres.
    Mais il y a toujours des lecteurs et lectrices de poésie, merci de nous le rappeler, Margotte. Les extraits sont bien choisis.

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    1. @Christw : c'est bien dommage, cet abandon des remises de prix avec des livres... Je garde un souvenir ému de l'une d'entre elles, j'avais reçu une collection de romans, avec de belles illustrations :-)

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  9. Je n'ai jamais lu ce recueil en entier, je ne doute pas qu'il en vaille la peine, comme tu le démontres bien.
    Ce passage sur les mots d'en bas m'a fait penser à Léo Ferré : "Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, c'est la poésie qui illustre le mot."

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    1. @Tania : si l'on connaît tous certains textes, lire le recueil en entier change la perception des textes en question. C'est une lecture exigeante, mais qui sait offrir en retour ;-)

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  10. J'aime beaucoup ton billet. Tu me donnes envie de lire le recueil dans sa totalité pour avoir comme toi une vision d'ensemble! Moi aussi j'aime le passage sur les mots d'en bas.
    Merci pour cette belle participation aux deux challenges Hugo et romantique. Ce serait bien de se faire un petite LC un de ces jours, qu'en penses-tu?

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    1. @Claudia : merci :-) Je suis tout à fait partante pour une LC-Hugo et/ou "romantique". Reste à savoir avec quel livre ? Ou quel recueil ? On peut voir ça pas le biais de la messagerie si tu veux. Bonne semaine à toi !

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