Si nous avons en France des
auteurs qui savent parfaitement manier la prose poétique, rares sont ceux qui,
comme les Japonais, peuvent y frôler la grâce. Ce recueil de nouvelles de
Motojirô Kajii vient nous le rappeler avec éclat.
L’auteur, troisième enfant d’une
fratrie de six, né à Osaka à l’orée du XXe siècle (en 1901),
décèdera à trente-quatre ans des suites d’une tuberculose. Trois autres enfants
de la famille seront emportés des suites de cette maladie sans doute contractée
auprès de la grand-mère paternelle qui en était elle-même atteinte. L’écrivain
n’aura donc jamais le temps de rédiger des romans s’intégrant à une
« nouvelle littérature prolétarienne japonaise », lui qui avait été
bouleversé par la lecture de Marx. Son écriture n’aura pas eu le temps de se
transformer… mais nous reste ces nouvelles imprégnées par l’aura de la maladie,
où le souffle est précieux car chaque respiration est marquée par le temps
gagné sur la mort.
Le recueil se compose de huit
nouvelles de taille très variables mais toutes fortement teintées par la
sensibilité. Tout vibre, chaque instant apporte son lot de changements subtils.
J’avais l’impression, en lisant ces nouvelles de lire des haïkus développés sur
plusieurs pages. Si vous choisissez d’ouvrir ce livre, n’espérez pas y trouver
des personnages bien campés et une histoire qui se tisse pour vous tirer vers
une fin attendue avec fébrilité. Ici, tout n’est que calme et volupté… et j’ai
plusieurs fois pensé à Baudelaire, particulièrement en lisant Sous les cerisiers.
Sous les cerisiers sont enterrés
des cadavres ! Ainsi s’ouvre cette nouvelle, ainsi le narrateur
explique-t-il la beauté qui jaillit si splendidement lorsque arrive la
floraison. Trop de beauté peut parfois virer au mystère, Motojirô Kajii, d’un
trait de calligraphe, tente d’en saisir le dessin. Comme Baudelaire, il pétrit
la boue, en fait de l’or, et ses nouvelles ne peuvent qu’évoquer une poésie qui
sent la myrrhe et la charogne. Une découverte qui donne envie de se lancer dans
de nouvelles lectures de littérature japonaise !
J’intègre ce recueil dans le
challenge de Nadael car plusieurs nouvelles se teintent fortement des couleurs
des saisons. Particulièrement Jours
d’hiver qui commence ainsi :
« C’était peu avant le solstice d’hiver. De sa fenêtre, Takashi
voyait les arbres, dans les jardins et devant le seuil des maisons du terrain
en contrebas, perdre leurs feuilles chaque jour davantage. Les sésames
desséchés étaient devenus semblables aux cheveux emmêlés d’une vieille ;
les dernières feuilles de cerisier, joliment brûlées par le givre, avaient
disparu ; les ormes du Caucase, chaque fois qu’ils frissonnaient et
bruissaient au vent, laissaient entrevoir la partie cachée du paysage.
Les pies-grièches ne
venaient plus à l’aube. Puis, un jour, quelques centaines d’étourneaux, couleur
de plomb, se posèrent sur la rangée de chênes formant paravent et, dès lors,
les gelées se firent de plus en plus fortes. »
ce qui me semble surtout épatant, c'est le travail du traducteur... car la poésie, c'est lui qui doit réussir à la transposer, pas simple!
RépondreSupprimer@Adrienne : c'est vrai ! et l'on sait combien le même livre, selon la traduction, peut être bien différent... Bon we !
SupprimerTon billet est un bel hommage à cet auteur. La connaissance du contexte et de cette courte vie marquée par la maladie est sans doute indispensable pour s'imprégner parfaitement de ses mots et de sa poésie. Des haïku étirés en nouvelles, ça me tente bien!
RépondreSupprimer@Fransoaz : le contexte, en effet, aide à mieux saisir les enjeux de cette écriture (il y a une très bonne introduction à ces nouvelles au début du livre). Si comme moi tu aimes les haïkus, ce livre devrait te plaire. Bon dimanche !
Supprimerune totale découverte comme je les aime ! j'aime la littérature et poésie Japonaise mais cet auteur m'était totalement inconnu merci merci
RépondreSupprimer@Dominique : totale découverte aussi... dénichée dans la biblio de Mlle Margotte ;-)
Supprimerlivre indisponible pour le moment chez l'éditeur mais présent dans ma bibliothèque !!
RépondreSupprimer@Dominique : tu trouves des perles oubliées, dans ta bibliothèque ! Bonne lecture alors...
SupprimerOh, oh, pourquoi je ne le connais pas ? J'ai bien peur de ne pas l'avoir dans ma bibliothèque, j'attendrai sa réimpression.
RépondreSupprimer@Aifelle : si il est réimprimé ! Je vais dire à Mlle Margotte de bien le garder...
SupprimerMauvaise langue je suis ... il est à deux endroits où je n'aime pas aller, tant pis je ferai un effort :-))
RépondreSupprimer@Aifelle : c'est des coins dans ta maison où tu n'aimes pas aller ? ou en biblio ???
SupprimerJe peux aller dans cinq bibliothèques de ma ville, il y en a deux que j'évite (quartiers excentrés, pas sympathiques du tout, mais quand c'est pour la bonne cause, j'y vais quand même. Par contre, je peux les rendre à la bibliothèque de mon quartier).
Supprimer@Aifelle : ah oui, je comprends ! Il y a aussi des biblios que j'évite, en général, celles où l'on tolère le bruit... mais je les fréquente toutes, en grande amatrice que je suis ;-)
SupprimerDécouverte totale !
RépondreSupprimerLe citron, moi j'aime bien les citrons !!!!
J'espère le trouver à la médiathèque comme Dominique !!!
Bonne soirée !
@Enitram : il peut peut-être se trouver aussi en librairie, dans les stocks... bonne soirée à toi aussi !
SupprimerBonjour Margotte, l'extrait que tu nous donnes est très beau. Merci et je note : un écrivain de plus à découvrir. Bonne fin d'après-midi.
RépondreSupprimer@Dasola : j'ai pensé à toi ce soir à propos du film "Transperceneige", Le masque et la plume vient d'en parler ;-)
SupprimerTu as raison, les auteurs japonais ont une écriture très poétique.
RépondreSupprimer@Alex : oui, à tel point que je suis rarement déçue par la littérature japonaise ! même si j'en lis peu finalement, un tort... bonne soirée !
Supprimerquel enthousiasme! Je note!
RépondreSupprimer@Violette : un livre qui ne peut laisser indifférent je pense... bonne soirée !
SupprimerMerci pour cette jolie découverte!
RépondreSupprimer@Nadael : de rien, une chouette découverte en effet :-) Bonne journée à toi !
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