Dans l’œuvre d’un auteur, on
trouve toujours des livres mineurs qui viennent mettre en relief les symphonies
majeures, monuments que l’on peine parfois à lire ou que l’on hésite à aborder,
question de taille, d’écriture… ou de disponibilité… Avec cet ouvrage de Joyce
Carol Oates, j’ai l’impression d’avoir écouté l’une de ces symphonies. Dès les
premières lignes, j’ai été complètement happée par une écriture fluide,
tournoyante, égale aux tourbillons du Trou du diable si présent dans ce
roman.
Extrait 1 – Un lieu
« (…) la verticale des Horseshoe Falls. L’endroit le plus
dangereux de Goat Island, en même temps que le plus beau et le plus envoûtant.
Là, les rapides sont prises de frénésie. Une eau blanche bouillonnante,
écumeuse, fuse à cinq mètres dans les airs. Aucune visibilité ou presque. Un
chaos de cauchemar. Les Horseshoe Falls sont une gigantesque cataracte de huit
cents mètres de long, trois mille tonnes d’eau se précipitent chaque seconde
dans les gorges. L’air gronde, vibre. (…) Votre cerveau, dans lequel vous
résidez, ce réceptacle unique de votre moi, sera martelé jusqu’à être réduit à
ses composants chimiques : cellules grises, molécules, atomes. Toute ombre
et tout écho de souvenir abolis. (…) »
Tout commence par un voyage de
noces, un jour de juin 1950, aux abords des Chutes du Niagara. Ariah, vierge de
vingt-neuf ans et fille de pasteur, vient de prendre pour époux Gilbert
Erskine. La veille, leur nuit de noces a été d’un ennui et d’une trivialité à
mourir, tellement mortel qu’au réveil Gilbert Erskine part se jeter dans les
bras des Chutes, à défaut d’avoir pu supporter ceux de sa toute nouvelle
épouse. Lorsque Ariah prend conscience, après un réveil difficile, de la disparition
de son jeune mari, elle va se mettre à hanter les abords de « L’eau qui a
faim » (surnom donné aux Chutes par les Indiens). La mariée aussitôt veuve va, durant toutes
les recherches qui visent à retrouver le corps de son amant d’un soir, se transformer
en « Veuve blanche des Chutes ». Sa résignation autant que son
obstination vont en faire un sujet pour les journalistes et une attraction pour
les touristes mais également attirer un brillant avocat qui tombe amoureux que
l’étrange femme rousse des bords de l’eau qui gronde. Pour autant, la passion
qui va les entraîner tout deux peut-elle se terminer autrement que par une
chute ?
Horseshoe Falls |
Extrait 2 – Le fleuve, métaphore de l’écoulement de la vie
« L’amour que Dirk éprouvait pour cette femme imprévisible l’envahit
avec une telle force qu’il sentit le sol bouger sous ses pieds. Un instant, il
put se croire sur le fleuve, dans une embarcation trop petite pour qu’il lui
fût possible de la voir ou de la sentir. »
Dans cette œuvre magistrale de
plus de cinq cents pages, Joyce Carol Oates aborde la plupart des sujets au
centre de son travail littéraire comme la féminité, le poids du corps et
celui des secrets mais aussi la violence des rapports de classe. Voyage de
noces – Mariage – Famille : la trilogie que forment les trois chapitres
principaux évoque une vie, celle d’Ariah, mais aussi celle de sa famille. Il
s’agit d’une vaste fresque familiale donc, mais aussi de la vie d’une région
qui s’épanouit autour de l’eau tonnante. L’histoire des Etats-Unis surplombe l’ensemble,
comme si la malédiction qui semble peser sur Ariah était aussi celle du poids
de la culpabilité des Américains face aux Indiens qui, eux, savaient parler à
l’eau furieuse et apaiser son courroux tandis que les nouveaux arrivants ne
savent que payer un tribut de suicidés à sa folle écume. Un grand roman, flamboyant et follement romanesque, comme je les aime !
Tableau de Robert Marsala |
Extrait 3 – Quand le corps gronde
« Le grondement s’amplifia dans les oreilles de Royall. Il était
attiré dans les profondeurs bouillonnantes de la gorge. L’eau en folie en aval
du Trou du Diable, où le bateau d’excursion ruait et roulait, où les femmes et
les enfants hurlaient de peur et où Royall, lorsqu’il pilotait, gardait le cap,
suivait précisément la route prescrite et finissait par les ramener au ponton. A présent cette femme inconnue et lui
étaient couchés ensemble sur le sol, dans l’intimité soudaine d’individus
horizontaux dans les bras l’un de l’autre. Impossible de reculer. Pas d’autre
direction qu’en avant. (…) »
Une symphonie majeure, ce roman: c'est exactement ça!
RépondreSupprimer@Mango : tu as aimé aussi alors ;-)
SupprimerUne auteure que je ne peux pas aborder .. trop dure pour moi.
RépondreSupprimer@Aifelle : ce livre là n'est pas forcément "dur", moins que d'autres... très fort mais pas de scènes aussi dures que dans certains de ses autres romans.
Supprimeril faut absolument que je le lise, je l'ai emprunté à la bibli mais rendu sans l'avoir lu faute de temps
RépondreSupprimer@Dominique : celui-ci, je pense qu'il va te plaire !! Je regrette de mon côté de ne pas l'avoir acheté...
SupprimerJ'avais pensé le lire, mais JCO et moi, c'est pénible. On verra.
RépondreSupprimer@Keisha : qu'est-ce que tu as lu d'elle ?
SupprimerUn des rares roman de l'auteure que j'ai apprécié.
RépondreSupprimer@Alex : et bien tu n'as pas choisi le pire, c'est sûr ;-)
SupprimerIl m'attire depuis sa sortie... mais en même temps quelque chose me fait hésiter, je ne sais pas quoi... Néanmoins tu me donnes bien envie de me lancer, ton billet est plus que tentateur ;0) Bises
RépondreSupprimer@L'or : tu peux te lancer sans hésiter, il faut juste un peu de temps pour se lancer dans un roman "fleuve" ;-)
SupprimerJ'ai beaucoup aimé cette "symphonie", le personnage principal est hautement énigmatique (pour moi en tout cas) notamment dans son rapport à la maternité. Le livre brasse tout ce ce que tu dis, histoire familiale, maritale, légende des chutes et mystères des âmes qui y trainent. Un petit bémol pour la fin ( mais j'ai remarqué que dans le peu de livres que j'ai lus de cette auteure, c'était déjà souvent le cas ... Un sorte de presque happy end tiré par les cheveux. C'est un petit petit bémol, ceci dit.
RépondreSupprimer@Athalie : je suis d'accord avec ton bémol... que je n'ai pas signalé, emportée que j'étais par cette lecture qui supportera, c'est sûr, une relecture !
SupprimerUn roman somptueux que j'ai adoré !
RépondreSupprimer@Anne : somptueux, le mot est bien choisi !
SupprimerJe dois lire prochainement son tout dernier mais j'ai noté celui-ci. Son tour viendra donc un jour...
RépondreSupprimerBonne journée Margotte !
@Sylire : je suis très tentée aussi par Mudwoman... mais j'ai acheté pas mal de livres au festival de Carhaix ;-) je fais donc une "pause" grands formats... surtout que dimanche, je vais à Lamballe ! Bonne journée à toi
Supprimeril faut que je lise !
RépondreSupprimer@Clara : il va te plaire, c'est sûr !
SupprimerUn livre "noté" depuis longtemps et toujours pas lu...ça viendra.
RépondreSupprimer@Nadaël : je pense qu'il devrait te plaire celui-ci, si tu te lances ;-) Bon we !
SupprimerJe l'ai déjà noté mais pas encore lu, je l'attends à la bibliothèque ! Ton billet me convainc complètement !
RépondreSupprimer@Enitram : oh, tu le trouveras sans problème à la biblio ! Bonne soirée et bon we :-)
SupprimerJ'avais laissé un message près des chutes hier mais visiblement il ne s'est pas imprimé!
RépondreSupprimerJ'avouais n'avoir jamais lu cette auteure. J'apprécie ta présentation du livre et j'imagine une chute somptueuse!
@Fransoaz : en effet, pas de second commentaire, ni même classé en "spam"... Si tu ne connais pas cette écrivaine, il te reste de bien bons moments à passer en sa compagnie ;-) Mais avec elle, je crois que cela fonctionne un peu au tout ou rien : ou on adore, ou on déteste. Bon we à toi :-)
SupprimerJe ne l'ai jamais lu parce que de ce que j'en sais, elle est très dure dans sa manière de traiter les sujets, mais je dois dire que ton billet m'a convaincue, "les chutes " ont l'air formidables...
RépondreSupprimer@Galéa : non, celui-ci n'a pas la "dureté" de "Délicieuses pourritures" par exemple... il ne faut surtout pas te priver de ce roman ! C'est mon coup de coeur de l'année mais hélas, il ne fait pas partie de la rentrée littéraire ;-)
SupprimerSublime roman, dans mon top five des romans de Oates !
RépondreSupprimer@George : il mérite bien la place dans le top five, on est d'accord ;-)
SupprimerC'est un des romans de JCO qui m'attirent beaucoup ! dès que j'ai le temps, je ressors mes bouquins de cet écrivain car comme elle écrit des pavés + elle est prolifique, j'ai bien des difficultés à suivre ses publications !
RépondreSupprimer@Maggie : en effet, suivre ses publications relève de l'impossible... à se demander d'ailleurs comment elle tient ce rythme (j'ai une partie de la réponse grâce à la lecture de son journal...). J'ai très envie aussi de lire sa trilogie victorienne ! Mais 3 gros gros pavés, il faudrait que j'attaque cela pendant des vacances.
Supprimergrrrr toujours rien lu de cet auteur!!! je commence par lequel, celui-ci?
RépondreSupprimer@Violette : si tu aimes les pavés, tu peux commencer par celui-ci. Si tu as moins de temps, tu peux aussi commencer par "Zarbie les yeux verts" (Folio) qui a tout d'abord été publié en édition jeunesse mais qui se lit presque comme un polar. Une excellente histoire d'adolescente. J'ai déjà chroniqué 6 ouvrages de cette écrivaine, tu peux aussi cliquer sur son nom dans mon nuage d'auteurs, tu vas tomber sur la critique de "Zarbie" et d'autres romans d'elle, moins "imposants" que "Les Chutes" ;-)
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