C’est à l’occasion de la fête des Rois de l’année 1663 que
Louis XIV fait représenter L’École des
femmes, nouvelle comédie de Molière. Jouée
pour la première fois le 26 décembre 1662 au Palais-Royal, le succès de
cette comédie fut immédiat et durable. Elle succédait à L’École des maris et à la pièce Les
Fâcheux, qui remontaient à l’été 1661. La « fronde » qui va
suivre cette représentation explique que chacun va s’y presser, d’autant plus
que Molière va alimenter ce qui deviendra la « querelle de L’École des femmes » en créant La Critique de L’École des femmes. L’année 1663 sera ainsi rythmée par les
épisodes liés à la Querelle lancée tout d’abord par Donneau de Visé dans ses Nouvelles nouvelles publiées un mois
après la première de la pièce. Les enjeux du débat qui va durer un an sont
esthétiques et moraux. Les récits, multiples, s’enchevêtrent dans une comédie
dont les thèmes sont ancrés dans le monde contemporain et la structure de la
pièce (5 actes) la rangent dans la catégorie des « grands textes »
alors qu’elle propose des éléments de comique. Et c’est bien du côté du comique
que les enjeux moraux se placent puisque Molière développe même dans cette pièce des
allusions franchement sexuelles, ce qui va lui valoir d’être accusé d’impiété.
L’intrigue
L’intrigue
Arnolphe (joué à l’origine par Molière), barbon quarantenaire, souhaite
épouser une femme qui ne présentera pas les défauts des précieuses et autres
femmes trop savantes à son goût. Sous le nom de M. de La Souche, il décide
donc d’élever une jeune fille, Agnès, qu’il maintient non seulement enfermée,
mais aussi ignorante. La pièce commence à la veille du mariage. Arnolphe
s’entretient avec son ami Chrysalde, le « raisonneur » de la pièce.
C’est l’occasion de nous présenter les principaux ressorts de l’intrigue à
venir, et déjà nombre de bons mots et sentences fameuses :
Chrysalde : Oui : mais qui rit d’autrui,Doit craindre, qu’en revanche, on rie aussi de lui.
Arnolphe : Épouser une sotte est pour n’être point sot.
Arnolphe : Chose étrange de voir, comme avec passion,
Un chacun est chaussé de son opinion !
La pièce commence alors
qu’Arnolphe vient de s’absenter dix jours. Sa pupille et future femme, pendant
ce temps, a rencontré Horace, un jeune homme beaucoup plus plaisant que notre
vieux barbon, et capable de faire naître un désir jusqu’alors inconnu d’Agnès.
Or, Horace est le fils d’un ami d’Arnolphe et les deux hommes se rencontrent à
la scène 4. Le jeune homme, ravi de revoir un ami, en profite pour se confier.
Il avoue son nouvel amour et les ennuis de la pauvre jeune fille élevée par un
certain M. de La Souche. Le quiproquo ne sera levé qu’à la fin de la pièce,
lorsque Horace, stupéfait, découvrira que son confident se confondait avec le
père adoptif de sa bien aimée. Mais je ne vais pas vous révéler l’ensemble du
dénouement…
Mise en scène de Jouvet en 1936 |
L’intérêt de la pièce
Le comique
Le comique
Molière, dans cette pièce, a joué des allusions grivoises et pour qui s'avère bon public concernant l’humour dit « bas » (c’est mon cas, je
l’avoue, et avec le sourire en plus…), le texte offre de quoi s’amuser. On
y trouve la fameuse scène du « le » dans laquelle Arnolphe s’inquiète
de ce que le jeune Horace risque d’avoir pris à Agnès. La scène entre les
domestiques où Alain explique à sa femme qu’elle peut se comparer à un
« potage » est également drôle. Les autres ressorts du comique
dépendent beaucoup de l’interprétation du texte, ce dont j’aurai l’occasion de
vous reparler (j’ai visionné la mise en scène de Jacques Lassalle, avec
Olivier Perrier dans le rôle d’Arnolphe).
La structure de la pièce
Première pièce en cinq actes de Molière, et considérée comme la
première « grande comédie » du dramaturge, L’École des femmes présente une structure originale et
inhabituelle. En effet, au lieu de nous proposer l’action, Molière a joué
sur la narration d’actions dont le spectateur ne prend connaissance qu’au
travers du discours. Ainsi, la bastonnade donnée à Horace n’est pas jouée. Le
spectateur voit Horace à terre, et c’est au travers de ce qu’il en raconte qu’il
apprendra ce qui s’est passé.
La question féminine
La force de la pièce vient de la
place qu’elle accorde à la question féminine. L’enfermement d’Agnès et le
manque d’éducation qui est le sien posent la question de l’éducation des femmes.
Les rapports entre les deux jeunes gens invite à se questionner sur le problème
des mariages forcés (question hélas encore d’actualité). L’évolution
personnelle d’Agnès invitent également à réfléchir sur le libre arbitre de
chacun. En effet, alors qu’elle ne devait apprendre qu’à lire, et surtout pas à
écrire, on apprend qu’elle sait écrire. Elle a donc transgressé les interdits
de son père adoptif. On pourrait donc également gloser sur le bon usage de la
transgression…
Extrait
Non, non, je ne veux point d’un
esprit qui soit haut,Extrait
Et femme qui compose, en sait plus qu’il ne faut.
Je prétends que la mienne, en clartés peu sublime,
Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;
Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon,
Et qu’on vienne à lui dire, à son tour : « Qu’y met-on ? »
Je veux qu’elle réponde : « Une tarte à la crème » ;
En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.
Merci pour ta participation au challenge!
RépondreSupprimer@Eimelle : mais de rien ;-) Je suis bien contente car cette année, j'arrive à être plus "active" du côté du théâtre !
Supprimerce sont des idées qui reviennent dans de nombreuses comédies de Molière (éducation des femmes, libre choix d'un partenaire...) et qui me l'ont toujours rendu sympathique :-)
RépondreSupprimerComme tu le dis, c'est aussi un des aspects qui le rendent encore parfaitement actuel! (hélas)
@Adrienne : j'ai également un faible prononcé pour Molière.... je ne m'en lasse jamais !
SupprimerJ'aime beaucoup Molière ! Et cette pièce présente de nombreux aspects intéressants comme le mélange de comique et sérieux... Et des personnages plus complexes qu'il n'y paraît ! Je préfère tout de même des pièces comme Tartuffe !
RépondreSupprimer@Maggie : ma préférée de Molière c'est Don Juan mais j'ai aussi un faible pour l'Avare et le Misanthrope ;-)
SupprimerJe n'ai vu cette pièce qu'à la télévision, je ne vais pas souvent au théâtre.
RépondreSupprimer@Aifelle : hélas, je n'ai vu la pièce qu'en dvd pour le moment... mais c'était deux très bonnes mises en scène !
SupprimerAu collège, nous avions monté cette pièce en 5ème, et je crois bien que je l'avais lu en entier, sans ne rien saisir des allusions sexuelles ou féministes. Dans mon souvenir c'était l'histoire d'un vieux monsieur (punaise 40 ans!!! comment ai-je pu penser ça?) qui voulait épouser une très jeune fille innocente. Tu vois, je me dis qu'il faut que je relise cette pièce. En plus elle avait été montée par Weber au TNN avec Isabelle Carré dans le rôle d' Agnès. Mes parents me l'avaient offert pour mes 14 ans, j'avais été éblouie (dans mon souvenir). C'est plié, je vais m'y remettre ;-)
RépondreSupprimerBonne journée Margotte.
@Galéa : ah les pièces que l'on joue au collège ! cela laisse des impressions fortes, même si on ne comprend pas l'ensemble des enjeux de la pièce... et c'est bien le principal ;-)
SupprimerQuel hasard, furetant parmi les classiques Larousse tout récemment, j'avais en main ce Molière, pour finalement m'en retourner avec La Divine Comédie de Dante. Je lis avec intérêt votre compte-rendu qui précipitera sans doute la lecture (ou relecture, je ne sais plus) de l'école des femmes.
RépondreSupprimerLes temps ont changé mais la pièce reste vivante je trouve.
@Christw : La Divine Comédie est aussi d'excellente compagnie ;-) Oui, cette pièce est d'une actualité étonnante (hélas...).
Supprimerje raffole de Molière . Ses pièces me font le même effet que la musique de Bach , une sorte de repère pour la pensée et l'équilibre. Mon fils dit vouloir devenir comédien, j'ai hâte de le voir dans du Molière !
RépondreSupprimer@Isabelle : c'est drôle cette comparaison avec Bach... je n'avais jamais pensé à ce lien... C'est vrai que Bach a un côté "structurant" (et structuré...) qui peut être comme un guide. Molière peut en effet avoir le même effet, sur bien des sujets ! Et pour en revenir à Bach, c'est mon "maître" de musique, j'apprends le piano en sa compagnie ;-)
SupprimerApparemment mon commentaire n'est pas arrivé, j'y disais mon admiration pour Molière si actuel : même si la société a changé, les hommes, eux... "Le Misanthrope" est ma pièce préférée de Molière, et je pense souvent à "Tartuffe" en écoutant certains dans les médias.
RépondreSupprimer@Tania : j'ai également un faible prononcé pour le Misanthrope, mais je place Don Juan en haut du podium... Enfin, je lis et relis toutes ses pièces avec grand plaisir. Et je ne sais pas pourquoi mais je colle assez vite des visages sur les "certains" de ton commentaire... ;-)
Supprimerpas relu depuis quelques années mais je me souviens de mon plaisir quand mes filles étudiaient Molière au Lycée d'avoir relu ses pièces majeures avec bonheur
RépondreSupprimer@Dominique : Molière on peut le lire et le relire, sans jamais s'en lasser ;-)
SupprimerJe suis justement allée voir cette pièce au théâtre ce week-end^^ Cette chronique tombe à pic ;)
RépondreSupprimer@Synchro&serendipité : quelle chance ! Bonne semaine :-)
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