samedi 28 avril 2012

Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau



Rousseau dort aujourd’hui au Panthéon. Pas sûr qu’il le doive à ses Confessions. Mais quel livre ! Je n’avais pratiqué que ses textes politiques et/ou philosophiques, et cette plongée dans ce livre au long cours aura été vraiment une très agréable surprise aussi bien qu’une lecture nécessaire, puisqu’il s’agit du texte qui inaugure la naissance d’un genre, celui de l’autobiographie. Voilà un ouvrage qui m’aura fait oublier une première approche, ancienne et peu enthousiaste de cet auteur, effectuée à l’époque par le biais des Rêveries

De la philosophie à l’autobiographie

   Rédigé entre 1763 et 1770, ce livre est né de l’idée de l’éditeur de Rousseau (un hollandais), de mettre en tête de l’ensemble des œuvres une biographie de l’auteur. L’écrivain, tenté déjà depuis La Nouvelle Héloïse par la démarche autobiographique, a donc mis de côté, dès 1762 (année de publication de son roman épistolaire), des documents qui pourraient servir à ce type de rédaction, des lettres intimes par exemple. Cet ouvrage fait partie de ses dernières publications, il a publié avant, entre autres, ses deux "Discours", Julie ou la nouvelle Héloïse, L’Emile et le Contrat social. Sa démarche autobiographique est guidée aussi par un profond désir de se peindre, mais également de se justifier face à la postérité. En effet, la parution de L’Emile, en 1962, a déclenché les foudres de la censure. Rousseau, condamné par le Parlement de Paris, s’est enfuit à Genève en 1962. Mais la cité suisse va le pourchasser aussi, si bien qu’il doit se réfugier à Neuchâtel. La même année meurt Mme de Warens, son adorée « Maman ». L’auteur, marqué par les poursuites incessantes et les aléas de sa vie personnelle, s’engage donc dans une démarche qui veut fixer les traces de sa vie mais aussi laisser une certaine image à la postérité. En effet, l’écrivain était hanté par la peur de laisser pour l’avenir une figure de lui et de sa vie déformée, trompeuse. Il ne voulait laisser à ses « ennemis » le privilège de discourir sur sa personnalité. Ainsi, Les Confessions s’ouvrent sur un Préambule qui annonce le but de l’ouvrage : « Voici le seul portrait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais. Qui que vous soyez, que ma destinée ou ma confiance ont fait l’arbitre du sort de ce cahier, je vous conjure par mes malheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l’espèce humaine, de ne pas anéantir un ouvrage unique et utile, lequel peut servir de première pièce de comparaison pour l’étude des hommes (…) ». L’auteur place donc son expérience personnelle dans une perspective universelle, ce qui va, bien sûr, donner toute sa force à l’ouvrage.

J. J. Rousseau

6 livres, de la naissance à Genève aux désillusions des Charmettes

Les Confessions portent un titre qui d’emblée nous invitent à songer à Saint Augustin. Le parallèle devient vite évident lorsque l’auteur utilise, dans le premier livre, un langage qui s’apparente à celui de la religion et du jugement. L’ensemble se compose de 12 livres, mais n’ayant lu que les 6 premiers, qui correspondent à la jeunesse de l’auteur, je me garde pour le moment de vous parler de la suite (cela viendra plus tard…).
Le premier livre, qui couvre la période de 1712 à 1728, évoque l'enfance genevoise. L'un des épisodes fondateurs est celui du peigne cassé, car il marque la naissance de l'intolérance du romancier face à l'injustice (il a été injustement accusé d'un vol de peigne). On trouve dans le deuxième la rencontre avec Mme de Warens, vite surnommée "Maman", et qui va le faire se convertir au catholicisme. Le troisième livre nous propose l'épisode du ruban volé. Rousseau accuse à tort une servante, Marion, d'avoir volé un ruban. Celle-ci sera renvoyée et la culpabilité qui suivra cet acte poursuivra l'écrivain toute sa vie (il en parle encore longuement dans l'une des promenades des Rêveries). Il est alors employé comme laquais par la comtesse de Vercellis.

L'épisode du peigne cassé

Le livre IV couvre les années 1729-1730, marquées par son retour en Suisse où il se prétend professeur de musique (matière qu'il pratique) avec son ami Venture. Il apprend par ailleurs la musique sérieusement avant de partir pour Paris puis de retourner vers "Maman". Le cinquième livre traite essentiellement de l'idylle des Charmettes. Rousseau redevient professeur de musique, et surtout, devient l'amant de Mme de Warens qui avait déjà une liaison avec Claude Anet, son intendant. Ils vont ainsi vivre cinq années de liaison amoureuse dans un cadre champêtre. Rousseau apprend à herboriser sous la houlette de Claude Anet avec lequel il partage sa maîtresse sans que cela pose de problème, chacun trouvant des compensations dans cette situation assez originale, mais qui ne va durer que jusqu'en 1739, année où il part à Montpellier. Durant ce voyage raconté dans le sixième livre, Rousseau rencontre, à l'occasion d'une maladie, Mme de Larnage qui prend soin de lui. Alors qu'il doit passer la retrouver avant de retourner aux Charmettes, il choisit de rentrer directement... mais trouve la place prise auprès de Mme de Warens par le jeune Vintzenried. Il part alors à Lyon où il devient précepteur chez M. de Mably. Il retournera une dernière fois aux Charmettes pour essayer de charmer "Maman", en profitant pour inventer une nouvelle manière de noter la musique. Ayant rencontré peu de succès auprès de son ancienne amante, il part pour Paris.
Le livre VII, que je n'ai pas encore lu, s'ouvre sur la vie parisienne...

Les Charmettes, à Chambéry
" Ce fut, ce me semble, en 1732 que j'arrivais à Chambéry, comme je viens de le dire, et que je commençai d'être employé au cadastre pour le service du roi. J'avais vingt ans passé, près de vingt et un. J'étais assez formé pour mon âge du côté de l'esprit, mais le jugement ne l'était guère, et j'avais grand besoin des mains dans lesquelles je tombai pour apprendre à me conduire : car quelques années d'expérience n'avaient pu me guérir encore radicalement de mes visions romanesques, et malgré tous les maux que j'avais soufferts, je connaissais aussi peu le monde et les hommes que si je n'avais pas acheté ces instructions." 
(Incipit du livre V).

Si vous voulez partir sur les traces de Rousseau, rendez-vous chez Dominique qui a rédigé une jolie série de billets sur cet écrivain à l'occasion du tricentenaire de sa naissance. C'est ICI.

12 commentaires:

  1. J'ai lu ce livre il y a bien 20 ans, j'étais alors étudiante et très assidue aux cours de Philippe Lejeune, grand spécialiste de l'autobiographie, un vrai bonheur...

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  2. @Ys : veinarde ! être initiée à Rousseau par Philippe Lejeune ! De quoi créer une vocation ;-) Bon dimanche

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  3. j'en garde au contraire un excellent souvenir et je vais sûrement le relire. Quel orgueil ce Rousseau qui m'est très antipathique ! Mais aussi quelle écriture ! Je pense continuer avec les autres livres car je n'ai lu que les 6 premiers chapitres...

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    1. @Maggie : pas étonnant en effet les réactions épidermiques face à un individu à la fois pétri d'orgueil mais aussi d'une sensibilité exacerbée... Il provoque souvent rejet ou affection, ce qui aura rendu sa vie bien difficile ! Je vais aussi continuer mes lectures de cet auteur, je viens d'achever aujourd'hui les Rêveries :-)

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  4. Je crois que ce genre de texte, je le préfèrerais en audio, alors que ce n'est pas trop mon genre habituellement.

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    1. @Aifelle : j'aime bien les versions audio mais pas lorsque je "travaille" vraiment sur un texte. Dans ce cas, il me faut la version papier... mais j'aimerais bien l'écouter quand même car je crois que c'est un texte qui se prête bien à la voix. Rousseau l'a lu lui-même à des écrivains, il lui a fallu 17 heures ;-) bon dimanche !

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  5. J'avais laissé un commentaire, mais visiblement il ne s'est pas enregistré ! Les Confessions me laissent un sacré souvenir, j'ai étudié cet ouvrage pendant de longues heures et j'ai eu à commenter un passage pour mon bac !

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    1. @Elisabeth : je crois qu'il y a eu un problème sur cette plateforme ce matin, j'ai eu le même problème en répondant à Ys... les mystères de la toile...

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  6. Je n'ai jamais réussi à lire plus de quelques pages. Je fais un blocage avec Rousseau...

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    1. @Nadaël : tu n'as peut-être pas commencé par le bon livre ? Les Confessions, je trouve que c'est un bon début ! Enfin, on peut aussi ne pas aimer Rousseau... Bonne soirée :-)

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  7. Un livre que j'ai lu avec bonheur il y a longtemps et que j'ai écouté récemment, il est paru en livre audio avec les Rêveries et c'est un grand plaisir
    Par contre je conteste l'idée qu'il soit le premier à se livrer à l'autobiographie, n'oublions pas Saint Augustin (ben oui ) et surtout Montaigne, ce qui n'enlève rien à la richesse de ces confessions là

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  8. @Dominique : à propos de l'origine de l'autobiographie, tu peux lire le très bon numéro du magazine littéraire d'avril 1988 (vieux je sais mais il se trouve facilement en bibli) sur les écrits intimes qui définit avec précision le récit dit "autobiographique". Le livre de St Augustin, en effet, propose des caractéristiques autobio mais il ne s'agit pas d'une "autobiographie". Quant à Montaigne, son livre est plutôt considéré comme un "autoportrait" qui tente de saisir un "homme vivant et mouvant" sans faire défiler sa vie de manière chronologique. Il s'agit de différences fines (mais réelles) fort prisées par les spécialistes... C'est d'ailleurs passionnant à étudier ;-) Bonne journée à toi !

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