En décembre 1948, Marguerite
Yourcenar reçoit de Suisse une malle dans laquelle se trouvent d’anciens
documents. Elle décide de faire le tri et commence à brûler de vieilles lettres
familiales dont elle ne connaît même plus les destinataires. Le début de l’une
de ces lettres – Mon cher Marc −
l’arrête. Elle vient de se souvenir qu’il s’agit d’un ancien manuscrit, sa
première ébauche de l’histoire d’Hadrien, commencée dès 1924 alors qu’elle
n’avait que vingt ans. Dès cet instant, l’idée d’écrire ce roman l’obsède.
Pourtant, il est des livres que l’on ne doit pas oser avant d’avoir dépassé
quarante ans, affirme-t-elle dans ses carnets de notes du roman. Les
Mémoires fictives d’Hadrien naîtront donc après une longue gestation
entrecoupée d’essais, d’arrêts, de reprises et de destructions de manuscrits
considérés comme ratés. La naissance tant attendue doit beaucoup aux beaux-arts
et aux bibliothèques. Marguerite Yourcenar s’est imprégnée du IIe
siècle durant de longs matins à la Villa Adriana, elle a cherché ses mots dans
la tête de l’Antinoüs Mondragone au Louvre et elle a dépassé le découragement
devant la toile romaine de Canaletto au Musée de Hartford.
Le roman s’ouvre donc par la
formule retrouvée, Mon cher Marc, Marc pour Marc-Aurèle, le petit-fils
d’Hadrien alors âgé de dix-sept ans. L’empereur, atteint d’hydropisie et
mourant, a décidé de lui écrire une lettre qui vise au départ à l’informer des
progrès de la maladie. Mais entré dans le monde des songes et immobilisé chez
lui, l’empereur se saisit de ce délassement épistolaire pour laisser libre
court à ses souvenirs. Il commence alors à former le projet de raconter sa vie.
Antinous (Musée du Louvre) |
Les Mémoires d’Hadrien se
déroulent alors en cinq chapitres. Animula vagula blandula prépare le
lecteur à recevoir le discours qui va suivre. La lettre à Marc-Aurèle, grâce à
son double destinataire, nous permet d’entrer très rapidement dans un récit qui
semble s’adresser à nous. Varius multiplex multiformis, période de
« l’avant-règne » résume l’enfance et se clôt par la mort de Trajan,
père adoptif d’Hadrien. Tellus stabilata se déroule sur
trois années qui sont marquées par les séjours chez les Parthes. Hadrien,
devenu empereur, au travers de ses actions, commence à imposer un ordre qui lui
est propre. Saeculum aureum, le siècle d’or, correspond au temps de
l’apothéose et à celui de la jouissance. Ici se place l’aventure avec Antinoüs,
un jeune berger de Bethinie qui sera l’amant et le compagnon d’Hadrien (je n’en
dis pas plus…). Disciplina Augusta, la discipline Auguste, est une
« allégorie de la discipline militaire » (H. Levillain). Dans ce
chapitre, Hadrien, vieillissant, prend les mesures censées assurer sa
succession tout en luttant contre les désordres à venir. Il adopte Lucius, un
ancien amant et prépare sa sortie. Enfin, patientia vise à préparer le lecteur
à la fin de l’histoire. Hadrien se détache de la vie afin de se diriger vers le
monde des morts.
Avant d’ouvrir les Mémoires d’Hadrien, je n’avais lu de
Marguerite Yourcenar que les Nouvelles
Orientales et L’œuvre au noir. Ce
roman m’a donné envie de lire l’intégrale de cette brillante écrivaine à la
plume érudite. La romancière nous immerge totalement dans le IIe
siècle et réussit à nous faire entrer dans la pensée d’Hadrien. L’écriture est
claire et limpide et la lecture glisse comme l’œil sur les courbes d’une statue
antique. Voilà un plaisir de lecture rare, que l’on a même peine à partager car
il développe de multiples arômes. La note de tête présente les effets propres
au roman historique. Le lecteur se laisse emporter à Rome tout autant que chez
ces peuples barbares qu’il entend chevaucher et guerroyer. Les fragrances qui
suivent, multiples, se développent en fonction du lecteur… qui peut s’arrêter à
l’histoire d’amour entre l’empereur et Antinoüs, ou méditer sur les sentences
que nous propose Hadrien. Il se trouve face à l’un de ces livres inépuisables,
que l’on veut lire, et surtout relire, qui toujours nous échappe, comme le
temps compté d’Hadrien qui file vers la mort et tente de maîtriser
l’inexorable.
Extrait
« Le véritable lieu de
naissance est celui où l’on a porté pour la première fois un coup d’œil
intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres. A un
moindre degré, des écoles. Celles d’Espagne s’étaient ressenties des loisirs de
la province. L’école de Terentius Scaurus, à Rome, enseignait médiocrement les
philosophes et les poètes, mais préparait assez bien aux vicissitudes de
l’existence humaine : les magisters exerçaient sur les écoliers une
tyrannie que je rougirais d’imposer aux hommes ; chacun, enfermé dans les
limites de son savoir, méprisait ses collègues, qui tout aussi étroitement
savaient autre chose. Ces pédants s’enrouaient en disputes de mots. (…) Et
pourtant, j’ai aimé certains de mes maîtres, et ces rapports étrangement
intimes et étrangement élusifs qui existent entre le professeur et l’élève, et
les Sirènes chantant au fond d’une voix cassée qui pour la première fois vous
révèle un chef-d’œuvre ou vous dévoile une idée neuve. Le plus grand séducteur
après tout n’est pas Alcibiade, c’est Socrate. »
Oui, un roman passionnant ! C'est bien que tu aies mis une citation ! Ca donne envie de lire ! Je compte le relire même si je trouve ce texte très angoissant, très mélancolique...
RépondreSupprimer@Maggie : oui, je vais le relire aussi. Je n'ai pas insisté sur l'aspect que tu évoques qui est pourtant très présent dans l’œuvre. On verra pour la lecture suivante ce qui en ressortira !
SupprimerHé oui, on craquerait bien pour cette prose (Yourcenar est dans ma liste des auteurs à lire -un jour)
RépondreSupprimer@Keisha : si tu commences, tu vas avoir du mal à t'arrêter ;-)
SupprimerJe copie sur Keisha, Maggie par d'un texte très angoissant, c'est aussi ton impression ?
RépondreSupprimer@Aifelle : non, je n'ai pas vécu le texte comme cela, mélancolique, très axé sur le temps qui passe et la mort qui arrive sur la fin mais pas angoissant pour moi. Les ressentis de lecture sont très personnels...
Supprimervoilà longtemps qu'il est sur ma liste!!! (trop longtemps ;-))
RépondreSupprimermerci pour ce coup de pouce!
@Adrienne : de rien Adrienne ;-) et bonne journée à toi et aux autres copinautes !
Supprimerun vrai bonheur de lecture de M Yourcenar, Les nouvelles orientales sont magnifiques et ces mémoires d'Adrien superbes , je les ai lu il y a pas mal d'année et la tu me titilles un peu, le genre de livre qu'après 20 ans je relirais bien
RépondreSupprimerMais son grand oeuvre reste pour moi l'oeuvre au noir et si tu ne l'a pas lu je t'envie de plaisir de la découverte d'une oeuvre ample, profonde et universelle
@Dominique : j'ai lu "L’œuvre au noir" mais justement, vingt ans après, je viens de l'acheter pour une relecture ;-)
SupprimerUn roman passionnant et ton enthousiasme fait plaisir!. J'ai vu la pièce que je présente dans mon billet, pas fini le livre mais ça va venir!
RépondreSupprimer@Claudialucia : je vais aller lire ton billet :-)
SupprimerUn chef d'oeuvre, un vrai, un lourd, un de ceux qui perdurent dans ma mémoire alors que comme Dominique, je l'ai lu il y a au moins .... quinze ans ? Un truc comme cela .... je me souviens qu'à l'époque, j'étais tombée amoureuse d'Antinoüs, une carte postale le représentant a longtemps trôné au-dessus de mon bureau .... Et là, c'est moi qui devient nostalgique.... Je me souviens que le livre l'est aussi mais je préfère ta formule sur la perfection de la statue antique. Elle sonne juste dans mon souvenir. Je comptais le relire, tu me donnes un coup de pouce. Merci !
RépondreSupprimer@Athalie : le problème avec ce genre de livre, c'est qu'après ça, tout semble bien fade... Il faut un petit moment pour s'en remettre ;-)
SupprimerJ'ai lu les Mémoires d'Hadrien il y a une dizaine d'années, je disais sur le billet de Maggie qu'il faudrait que je le relise et ton magnifique billet m'en donne encore plus envie ! Tu as raison, Marguerite Yourcenar était une auteur brillante et vraiment impressionnante d'érudition, ça laisse rêveur !
RépondreSupprimer@Aaliz : l'entendre parler est aussi un vrai régal ! autant d'intelligence, cela change des mièvreries et des idées rebattues qu'on nous assène à longueur de temps. Un remède à la fadeur :-) Bon c'est vrai, je suis totalement sous le charme !
SupprimerJ'avais tenté de le lire à la fac, mais il m'étais tombé des mains. Je devrais réessayer, maintenant, qui sait.....
RépondreSupprimer@Alex : tu pourrais bien avoir une très bonne surprise ;-)
SupprimerTrès beau billet, à 20 ans, je l'avais étudié à la fac Hadrien (sa relation avec Antinoos et avec son rapport à l'Egypte surtout), mais j'étais trop jeune pour apprécier Yourcenar, du moins le pensais-je, mais là tu me donnes vraiment envie Margotte...
RépondreSupprimer@Galéa : merci ! Maintenant, il ne peut que te plaire ce livre, j'en suis sûre !
SupprimerUn seul mot : chef-d'œuvre. Vous me donnez envie de le relire. Je l'ai lu il y a vingt-cinq ans.
RépondreSupprimer@Christw : je crois que votre avis fait l'unanimité... ainsi que l'envie de s'y replonger :-)
SupprimerVous me donnez envie de relire Marguerite Yourcenar. Les mémoires d'Hadrien, quel magnifique souvenir de lecture, quel souffle... Merci.
RépondreSupprimer@Bonheur du jour : c'est une écrivaine qui supporte très bien les relectures... Bonne journée :-)
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