Roman tardif de Maupassant, Notre
cœur s’avère diffuser un véritable concentré du ressenti de Maupassant vis-à-vis
de la société, et tout particulièrement vis-à-vis de la société mondaine. Ce
milieu qu’il a longtemps convoité, après lui être apparu dans toute sa crudité,
lui a servi à bâtir cet ouvrage, véritable charge contre un monde en voie
d’effondrement.
Avant même de vous présenter
l’intrigue, je dois avouer, de manière beaucoup plus directe que dans
l’excellente préface signée Nadine Satiat de l’édition Garnier-Flammarion, que
j’ai été fort surprise par le nom des deux personnages principaux. Ainsi,
l’héroïne se nomme Mme de Burne (il fallait oser car comme le dit N. Satiat,
Maupassant, pour sûr, devait connaître le sens du terme en argot…) et celui qui
va bientôt tomber follement amoureux de la dame en question, lui, est affublé du nom de
Mariolle. Les deux protagonistes sont donc ridiculisés dès l’ouverture du roman
et le lecteur (qui lui aussi doit connaître le sens de ces deux mots à moins
d’avoir été élevé au couvent) ne peut que s’interroger sur l’avenir de ces deux
personnages. Mais revenons-en à l’intrigue du roman.
André Mariolle ne fréquente pas
le milieu mondain jusqu’au jour où l’un de ses amis, Massival, un musicien, lui
propose de le faire entrer dans le salon de Mme Michèle de Burne. Dans ce salon
« On y fait d’excellente musique, on y cause aussi bien que dans les
meilleures potinières du dernier siècle. » La salonnière, âgée de
vingt-huit ans et divorcée, s’entoure d’hommes agréables. Veuve, elle ne
souhaite surtout pas se remarier, échaudée par sa première expérience
malheureuse de la vie conjugale avec un homme brutal. André Mariolle,
célibataire de trente-huit ans, vit de ses rentes. Sans profession, ses revenus
lui permettent tout de même de voyager et de s’offrir une collection de
tableaux. Il a fait quelques tentatives en direction des arts mais n’a pas des
capacités qui seraient susceptibles de faire de l’ombre à ses amis qui le
trouvent « très sympathique de sa personne ». Très vite, cet homme
qui pensait être à l’abri d’un amour tombe éperdument amoureux de Mme de Burne
et le roman nous conte les intermittences du cœur qui vont secouer Mariolle.
J’ai été très agréablement
surprise par ce roman de Maupassant. Peut-être parce qu’il y inverse les rôles.
Dans Une Vie, c’est une femme qui
connaît de multiples déconvenues et qui se trouve victime de l’homme qu’elle a
épousé. Ici, la victime du jeu amoureux est un homme (la situation est en fait
plus complexe mais je me garde bien de vous donner de trop nombreux détails sur
l’intrigue). Mme de Burne, au cinéma, camperait avec brio un rôle de belle
garce qui manipule son entourage, elle-même victime par ailleurs d’une froideur
qui fait qu’on ne l’envie pas… Par ailleurs, le roman présente un système
complexe de mise en abyme qui mériterait qu’on s’y arrête. Enfin, pour
conclure, le portrait à charge de l’ambiance dans les salons s’avère encore
tout à fait d’actualité. Tout ce petit monde qui fonctionne entre soi rappelle
furieusement certains cercles qui sévissent aujourd’hui. Quant aux
comportements des gens en groupe, face à d’autres, lorsqu’il faut « paraître »,
il s’avère intemporel… pratique de l’ironie à outrance, perfidies, tout ce qui
fait que l’on désire parfois fuir les regroupements humains est ici fort bien décrit.
Un excellent roman de mon
naturaliste préféré qui mérite d’être lu, à défaut d’être très connu.
L’édition de Garnier-Flammarion présente l’ouvrage avec une interview,
« Delphine de Vigan, pourquoi aimez-vous Notre cœur ? » et comme toujours, un bon dossier
accompagne l’ensemble.
Extrait (portrait du romancier Gaston de Lamarthe, habitué du salon
de Mme de Burne)
L’apparition de chacun de ses
romans soulevait par la société des agitations, des suppositions, des gaietés
et des colères, car on croyait toujours y reconnaître des gens en vue à peine
couverts d’un masque déchiré ; et son passage par les salons laissait un
sillage d’inquiétudes. Il avait publié d’ailleurs un volume de souvenirs
intimes où beaucoup d’hommes et de femmes de sa connaissance avaient été
portraiturés, sans intentions nettement malveillantes, mais avec une exactitude
et une sévérité telles qu’ils s’étaient sentis ulcérés. Quelqu’un l’avait
surnommé : « Gare aux amis ».
je n'ai pas été élevée dans un couvent et pourtant j'ai dû aller voir dans "le dictionnaire de la zone" ce que ça voulait dire, une burne ;-)
RépondreSupprimerbonne journée, Margotte!
@Adrienne : je ne connaissais pas le "dictionnaire de la zone". Et pour le mot b.... la référence qui tue, c'est dans "Men in black", lorsque l'un des héros se vante d'être "sévèrement burné", ce qui fait beaucoup rire ces messieurs, pendant que les dames lèvent les yeux au ciel ;-)
SupprimerPas du tout tentée cette fois... Tant mieux, ma LAL est suffisamment indécente comme ça ;0) Sinon, en effet drôle de nom pour un personnage ;0) Bisous Margotte, bonne semaine
RépondreSupprimer@Lor : on est bien d'accord ! c'est un coquin le Guy... Bonne semaine à toi aussi :-)
Supprimerj'aime bien ce billet pour lire des textes oubliés, de Maupassant j'aime beaucoup Pierre et Jean qui n'est pas archi connu
RépondreSupprimer@Dominique : ce roman est très peu souvent cité en effet... et comme toi, j'aime beaucoup Pierre et Jean que j'ai déjà lu deux fois ;-)
SupprimerBonjour Margotte,
RépondreSupprimerLu et approuvé depuis des années. Sauf erreur de ma part, il m'a semblé que l'histoire était moins sombre que d'autres. J'ai lu tous les romans de Maupassant avec toujours un grand plaisir. Bonne fin d'après-midi.
@Dasola : oui, tes souvenirs sont bons. C'est moins sombre tout en étant finalement assez désespérant quand même car si le tragique n'est pas au rendez-vous, le renoncement, lui, est ici d'une rare puissance ! Je n'ai pas encore lu tous les romans, j'ai donc hâte de lire Mont Oriol qui manque encore à ma liste ;-)
SupprimerBonne fin de journée à toi.
Si ça tombe, ce nom "de Burne" c'est une coquille originale définitivement passée à la postérité à la place de "de Brune" ;-) (ok je sors)
RépondreSupprimer@Anne : d'après ce que j'ai pu lire des retranscriptions des manuscrits d'origine, ton idée est loin d'être farfelue... Bonne soirée !
SupprimerJ'aime beaucoup Maupassant mais il me reste encore pas mal de ses titres à découvrir dont celui-ci. Mon préféré jusqu'à maintenant reste "Une vie" même si mes souvenirs restent très flous. Il faudrait que je le relise.
RépondreSupprimer@Aaliz : je crois que j'aime tous ses romans... mais chacun pour une raison précise... Comme je l'ai dit à Dominique, j'ai lu Pierre et Jean déjà deux fois. Et à t'entendre parler d'Une Vie, cela me donne envie de le relire ;-)
SupprimerJe ne l'ai pas lu, des noms comme ceux-là, je m'en souviendrais ! en effet, ça ne peut pas être fortuit chez lui .. je le note bien sûr, j'ai beaucoup lu Guy de Maupassant, mais il a tellement écrit qu'il y en a toujours un derrière les fagots.
RépondreSupprimer@Aifelle : c'est vrai... et d'ailleurs il y a tout ce qui est très méconnu comme son théâtre que je n'ai pas encore abordé ! C'est bien, cela nous permet de belles découvertes ;-)
SupprimerVoilà un site où on peut écouter gratuitement des livres !! http://www.guydemaupassant.fr/maupassant.htm
RépondreSupprimerC'est ce que je fais de suite !
Merci pour cet article qui donne envie de mieux redécouvrir Maupassant
@Enitram : j'écoute peu de livre audio... mais je note ton lien quand même ;-)
SupprimerJe ne connaissais pas ce titre de Maupassant, il faut dire que les titres foisonnent chez cet auteur! Je me rends compte que je n'ai lu que des nouvelles de Maupassant jusqu'ici, pas encore lu de roman. J'ai Une vie dans ma pal.
RépondreSupprimer@Nadael : "Une Vie", si tu lis les commentaires ci-dessus, c'est vraiment celui qui marque les esprits ! Une lecture intense à venir donc... De mon côté, j'ai très envie de découvrir son théâtre !
SupprimerJe le note, celui-ci, car c'est un auteur que j'apprécie.
RépondreSupprimer@Alex : il est vraiment apprécié par les contemporains Maupassant ! s'il nous entendait ;-)
SupprimerJ'ai un gros volume des romans de Maupassant et "Notre cœur" s'y trouve. Les cinq premières lignes suffisent à donner le ton en effet... Burne connaît son bourreau Mariolle...
RépondreSupprimer@Christw : tu as peut-être acheté la dernière parution de chez Gallimard, chez Quarto ? Un bien beau livre !
SupprimerNon c'est chez Omnibus, en 1999. Cela date et j'ai peu lu dedans, l'occasion de le redécouvrir.
SupprimerVoilà un Maupassant que je ne connaissais pas ! Il est l'un de mes 3 auteurs préférés avec Céline et le Béscherelle. Sans ce dernier mon art de conjuguer serait bien loin des deux premiers et mes lecteurs ne manqueraient pas de se plaindre auprès de mon éditeur...
RépondreSupprimer@Jeanmi : oui, ce livre de Maupassant est peu connu. C'est finalement assez surprenant d'ailleurs car il est vraiment de bonne tenue ! En revanche, il a un côté dérangeant... est-ce pour cela qu'il est moins diffusé ? Enfin, cela vaut le coup de le lire (comme tout Maupassant d'ailleurs !).
SupprimerJ'adore la critique des mondains qu'il propose :-)
Effectivement un livre peu connu, j'en suis toute étonnée. Je ne prétends pas tout connaître de Maupassant mais au moins le titre et bien, là, non!
RépondreSupprimer@Claudialucia : après lecture, je suis finalement étonnée, comme je le disais à Jeanmi, qu'il ne soit pas plus diffusé car il reste à connaître !
SupprimerJe n'ai pas lu ce Maupassant là...mais j'aime ce que tu dis sur les cercles et vies en société d'hier qui ne sont pas si éloignés de ce qu'on connait aujourd'hui. Je le note Margotte
RépondreSupprimer@Galéa : en parlant de "cercles" je lis un excellent polar qui traite de ce sujet ! Bonne journée :-)
SupprimerTu me donnes très envie de le lire. Je ne pense pas avoir déjà entendu ce titre. Ma maman possède tous les livres de Maupassant et je viens de vérifier, elle a celui-ci alors ce sera pour une lecture prochaine !
RépondreSupprimer@LeSalonDesLettres : c'est vraiment un ouvrage peu connu de Maupassant... bonne lecture alors si tu pars à sa découverte ;-)
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