Tout lecteur assidu de Marguerite
Yourcenar connaît son goût pour l’art. En revanche, son appétence pour le
dessin reste confidentielle et je dois avouer que la lecture de ce livre, en
plus d’être agréable – on y trouve 106 illustrations – a été une vraie
surprise. Sue Lonoff de Cuevas, universitaire américaine, a voulu présenter et
étudier les dessins de l’écrivaine, les « faire connaître » mais aussi
« montrer en quoi il est précieux de les connaître ». En effet,
l’amateurisme des dessins en questions pourrait laisser dubitatif mais
l’essayiste nous emporte avec elle et nous prouve qu’ils « peuvent
éclairer ses centres d’intérêt, élargir le champ de ce que nous savons de ses
préoccupations, apporter des clés sur ses méthodes de travail, ses premiers
jets et leurs corrections, et même inciter des lecteurs à reconsidérer leurs
hypothèses à propos de son œuvre. » L’ouvrage nous emporte donc au pays de
l’avant-texte, matrice de l’œuvre à venir, gestation en traits et en couleurs
qui ne peut que séduire tout amateur d’art.
Marguerite de Crayencour, avant
de porter son nom d’écrivaine, a fréquenté les musées avec assiduité. Lorsque
la famille s’est installée à Paris, en 1912, elle en profité pour visiter le
Louvre, Cluny et le palais des Thermes. A Londres, elle fréquentera la National
Gallery et le British Museum. A Petite Plaisance, on a retrouvé une collection
de cartes postales qui reproduisaient des œuvres vues dans les musées visités.
Ces œuvres d’art ont souvent servi d’embrayeurs à l’écriture, elle a utilisé
des « stimuli visuels ».
Dans l’ensemble de ces dessins, des thèmes reviennent comme des
leitmotivs, comme le Pierrot dont une ou deux représentations le montrent
pendu. Les mains apparaissent de manière récurrente, que l’on se souvienne
d’ailleurs de la présence des mains dans Mémoires d’Hadrien, des mains et de
leurs lignes, de ces mains d’Antinoüs qui se retirent doucement de celles de la
chiromancienne qui veut lire leurs lignes. Mais on trouve aussi des signes
cabalistiques et de nombreux dessins liés à la mythologie greco-romaine.
Il semblerait qu’elle composait
de manière non linéaire, en « expérimentant les images et les
phrases » et en biffant ce qui ne convenait pas. Ainsi, le dessin pouvait
servir à « visualiser un passage dont elle savait qu’elle voudrait le
changer. » Un chercheur a divisé ces dessins en deux catégories, ceux qui,
hors de la fiction, permettent de réfléchir sur le processus créateur en cours,
et ceux qui s’intègrent au récit en cours.
« Le cahier de Denier du rêve contient plus de cent dessins, dont
plusieurs sont aussi clairement liés que celui-ci à des objets ou des œuvres
d’art qu’elle avait sous la main. »
J’ai trouvé émouvant la tenue du registre des cultures de son jardin à Petite Plaisance. Dans un carnet
vert, elle dessinait à l’encre rouge chaque fleur, arbres ou arbuste du jardin.
On y trouve aussi leur nom en latin, en anglais, parfois en français et souvent
d’autres notes. Cinquante dessins achevés illustrent ce registre et aidaient
sans doute l’écrivaine à pouvoir décrire avec une grande exactitude toute fleur
de sa propriété. Elle fit même un plan des cultures de son jardin à l’encre
verte.
Enfin, pour conclure, je me suis
promenée dans cet ouvrage comme on découvre le jardin d’un ami. J’avais
l’impression d’entamer un bavardage entrecoupé de silences qui laissent la
place à l’autre et à l’imaginaire. Un livre pour les admirateurs de Marguerite
Yourcenar, un livre aussi pour tous ceux qui aiment l’art et qui savent combien
il peut être le compagnon de la création littéraire.
Catégorie essais |
oui, c'est une belle découverte!
RépondreSupprimer@Adrienne : tout à fait, le genre de livre qu'on lit en ne boudant pas son plaisir :-)
SupprimerNul besoin de lire Marguerite, puisque nous avons Margotte ;-)
RépondreSupprimer@Walrus : merci Walrus, mais il faut l'avouer, Margotte écrit moins bien que Marguerite ;-)
Supprimerun vrai bonheur pour ce dimanche matin, je ne connaissais pas du tout ce recueil et chez le promeneur ! je suis adepte de Yourcenar et tout m'intéresse chez cette femme, j'espère que je vais en trouver un exemplaire quelque part
RépondreSupprimer@Dominique : tu réagis comme moi lorsque je suis tombée sur cette pépite ! Tu dois pouvoir le trouver assez facilement en bibliothèque (il en vient !).
SupprimerQuel beau billet, passionnant et passionné !
RépondreSupprimer@Anne : merci ! c'est un joli compliment qui va accompagner mon début de semaine ;-)
SupprimerEffectivement c'est incroyable comme les deux sont intimement liés voire interactifs...La mémoire visuelle sûrement qui devait être développée chez elle ! j'aime tout ce qui touche à Marguerite Yourcenar et j'essaierai de le trouver en bibliothèque (si j'y vais ! ;) )........
RépondreSupprimer@Asphodèle : oui tout à fait, et encore, je n'ai mis que trois photographies du livre (j'en ai pris plus...). Je l'ai pris dans une BU mais il se trouve aussi facilement en biblio municipale je pense. Mais tu ne vas pas en biblio Asphodèle ?
SupprimerJ'ignorais tout de ces dessins, et je vais immédiatement ajouter ton billet enthousiaste en lien sur la page que je consacre aujourd'hui à Marguerite Yourcenar. Merci, Margotte.
RépondreSupprimer@Tania : ce fut aussi une surprise totale pour moi, une bonne surprise ;-) Je vais bien sûr aller lire ton billet du jour !
SupprimerDes trésors de sa main. C'est très beau et tellement personnel.
RépondreSupprimer@Alex : oui, pour moi, la découverte a eu un côté presque émouvant.
SupprimerJe le veux ! Quelle est l'édition, s'il vous plait ?
RépondreSupprimer@Bonheur du jour : ce sont les éditions du Promeneur. Bon we !
SupprimerC'est la première fois que je découvre un tel ouvrage qui permet de réfléchir de la sorte sur la création littéraire. La méthode de Yourcenar est très intuitive, très personnelle. En admirateur de Yourcenar, je ne ferai pas l'impasse sur ce beau livre. J'ai déjà en projet ses deux volumes de la Pléiade. Un effort financier qui en dit long sur mon estime de l'auteur, dont la famille maternelle vécut tout près d'ici, à Flémalle, elle l'évoque dans "Souvenirs pieux".
RépondreSupprimer@Christw : je comprends votre admiration... je la classe parmi les "grand(e)s" de la littérature... Ce livre est un plaisir dont il ne faut pas se priver si on aime Yourcenar ! Je n'ai pas encore lu sa trilogie autobiographique qui s'ouvre par "Souvenirs pieux" mais cela se fera un jour ou l'autre. Bon dimanche à vous.
SupprimerCa a l'air d'un très beau livre ! Je trouve cet écrivain surprenant !
RépondreSupprimer@Maggie : un vrai plaisir de lecture ! Tu veux parler de Yourcenar ou de celle qui a écrit l'essai ?
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