lundi 30 juillet 2012

Mal de pierres de Milena Agus

   J'ai déjà évoqué ici le fameux numéro du mois d'août du Magazine littéraire consacré aux voix de 10 auteurs. Il fait la part belle à la littérature italienne puisque deux d'entre eux viennent de la péninsule (Milena Agus, sarde, et Antonio Tabucchi, né à Pise). L'occasion pour moi de me replonger dans une littérature que j'ai beaucoup fréquentée autrefois, et d'honorer enfin le challenge de Nathalie, il viaggio. Vous êtes sans doute nombreux(ses) à avoir déjà lu ce roman de Milena Agus, traduit et édité en 2006 par Liana Levi. Je vous propose donc, dans ce billet, un rapide résumé suivi de l'évocation de deux thématiques qui m'ont séduite lors de cette relecture.
   Elle, c'est la grand-mère, l'héroïne de cette histoire racontée par sa petite fille, narratrice de ce court roman de 124 pages. Elle est belle, coiffée à la sarde, avec deux grandes tresses noires relevées en chignon. On la dit folle car elle aime écrire l'amour aux hommes, et le faire aussi. Elle passe pour un peu sorcière, celle que l'on arrive pas à marier, celle qui a tenté de se suicider. Et puis, un jour de 1943, un mari se présente. Habitué des maisons closes, il ne l'aime pas mais lui propose un mariage de raison. Elle lui fournira des "prestations", comme une prostituée, afin de lui permettre de faire des économies sur son tabac. Mais l'amour, c'est le Rescapé qui lui permettra de le connaître, celui qu'elle va rencontrer lorsqu'elle ira pour la première fois sur le continent, lors d'une cure visant à soigner son "mal de pierres"...
   Lors de cette relecture, j'ai aimé m'attacher aux détails qui se rapportent à la Sardaigne : le vocabulaire, la nourriture, et cette lumière qui n'en finit pas d'apporter sa limpidité. L'écrivaine dit ne pas pouvoir écrire ailleurs que chez elle, à Cagliari, où elle enseigne dans un lycée professionnel, elle évoque dans son livre l'opposition avec le continent et le sort des exilés suite à la réforme agraire des années 50. Toutefois, nous ne sommes pas ici dans un simple "roman régional", l'évocation de la Sardaigne imprègne l'écriture, sourd du texte, sans que les détails deviennent omniprésents au point de prendre le pas sur l'histoire. 
"Gavoi est un village magnifique, dans la montagne. Les maisons y sont hautes, à deux ou trois étages, souvent collées les unes aux autres, certaines sont comme suspendues entre deux, reposant sur une poutre horizontale, et dessous il y a des cours ouvertes, sombres, pleines de fleurs, d'hortensias surtout, qui cherchent l'ombre et l'humidité. De certaines endroits du village, on voit le lac de Gusana dont la couleur change tout au long de la journée, passant du rose au bleu cendré, au rouge, puis au violet et si vous grimpez sur le mont Gonari par temps clair, vous voyez la mer dans le golfe d'Orosei."
Lac de Gusana (photo office tourisme Sardaigne)
   Mais la surprise de cette relecture, c'est l'omniprésence de la musique dans ce récit. Le Rescapé est pianiste, comme le sera l'enfant de l'héroïne. Lors de la cure, l'homme lui chante des airs d'opéra et lui joue du piano avec la voix. De retour sur son île, elle ira jusqu'à faire des ménages afin de se payer un piano.
"Le jour où le piano partit pour la rue Manno, elle était tellement contente qu'elle courut tout le long pour précéder le fourgon, en récitant de plus en plus vite les premiers vers d'un poème que le Rescapé avait écrit pour elle, d'une traite, sans point ni virgule : Si tu as laissé un signe léger qui sinue dans la vie  Si tu as laissé un signe léger qui sinue dans la vie  Si tu as laissé un signe léger qui sinue dans la vie. Ils installèrent le piano dans la grande pièce lumineuse qui donne sur le port. Papa jouait prodigieusement bien."
La musique imprègne ce récit tout entier tourné vers la grande magie de la vie de l'écrivain (et du lecteur), l'écriture, et cet art du mensonge qu'est la littérature.


30 commentaires:

  1. J'avais beaucoup aimé cette lecture, à te lire aujourd'hui j'ai oublié pas mal de choses, je pourrais le reprendre maintenant ..

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    1. @Aifelle : j'adore les relectures pour la redécouverte qu'elles proposent ! J'étais passée complètement à côté de l'importance de la musique lors de ma 1ère lecture...

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  2. Je suis en train de lire ce numéro du Magazine littéraire, très intéressant en effet. J'ai commencé par Vargas Llosa, forcément et je dois dire que j'ai été étonnée de voir Milena Agus aux côtés de tous ces grands écrivains. Mais ça doit être parce que je ne l'ai pas encore lue...

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    1. @Ys : il faut dire que choisir seulement 10 voix de grands écrivains contemporains, ce n'est pas évident... je pense que les goûts des journalistes influent, et il semblerait qu'au Magazine littéraire, on aime la littérature italienne : tant mieux :-)

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  3. Ce livre semble gorgé de poésie... Tu donnes vraiment envie de le découvrir et d'aller visiter la Sardaigne :-)

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    1. @Elisabeth : c'est un livre étonnant ! à la construction narrative fine et surprenante... Mais je n'en dis pas plus... Il supporte très bien la relecture, ce qui est signe de qualité. Et un billet d'avion pour la Sardaigne, je vote pour ;-) Bonne semaine à toi.

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  4. J'ai beaucoup aimé ce livre aussi de même que "Quand le requin dort".Milena Agus a bien du talent et je vais certainement continuer à la lire!

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    1. @Mango : j'ai lu aussi cette nouvelle et j'ai maintenant envie de découvrir ses autres romans...

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  5. J'ai lu ce livre et je ne me souviens de rien !! J'ai encore un Milena Agus dans la pile (Battement d'ailes) et après on verra... Un autre livre d'une autre Sarde m'a davantage marquée : Accabadora, de Michela Murgia. Je note ton lien, merci !

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    1. @Anne : je n'ai pas lu "Battement d'ailes", ni le dernier qui me tente beaucoup. Je vais chez mon libraire préféré demain... la carte va encore chauffer :-( Le livre dont tu parles sort en poche fin août, il sera dans mes achats de rentrée !...

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  6. Une relecture ? Tu es une passionnée, dis donc.

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    1. @Alex : passionnée parfois ;-) J'aime de plus en plus relire, on découvre des choses nouvelles, et on se redécouvre au travers d'une lecture espacée dans le temps...

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    1. @Leiloona : je n'en ai lu que deux mais cette relecture m'a vraiment donné envie de continuer...

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  8. J'ai envie, j'ai envie, j'ai envie ! Faut que je lise des livres d'elle, peut-être que je commencerai par celui-ci. Merci pour le billet !

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    1. @Nathalie : si tu aimes l'Italie, tu vas adorer ce roman ! Et puis, l'écrivaine est vraiment très sympathique.

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  9. J'avais beaucoup aimé cette écriture et la passion de son île quand elle nous raconte "son mal de pierres", tellement présente...
    Tu me donnes envie de le relire ! Qui sait ?
    Belle soirée !

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    1. @Enitram : si l'envie te prend, ce livre supporte très bien une relecture ! Bonne journée à toi.

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    1. @Clara : j'ai très envie de lire le dernier après cette relecture !...

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  11. Dans ma PAL évidemment et même pas encore lu une fois (:0) J'ai aussi Battement d'ailes qui m'attend (mais tant d'autres aussi... Parfois je me demande réellement si j'arriverais un jour à lire tout ce que contient ma PAL !!! Je note aussi le titre qu'a donné Anne (après on s'étonne :0)

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    1. @L'Or : je crois avoir lu "Battements d'ailes" mais il m'a moins marquée. Peut-être devrais-je le relire aussi ? Mais il y a le dernier aussi qui me fait de l'oeil, et le titre donné par Anne, et les autres... ;-)

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  12. moi aussi j'ai beaucoup aimé ce livre...
    je l'ai acheté dans une librairie à Rome il y a quelques années et la vendeuse m'a demandé comme ça se faisait que tant de "Français" lui demandaient du "Milena Agus" ;-)

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    1. @Adrienne : oui, c'est les Français qui lui ont ouvert la porte du succès !... Il semblerait qu'entre elle et nous, c'est l'amour fou ;-)

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  13. Je n'ai pas encore lu cette auteure. Très beau billet.

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  14. Voici une bonne idée de lecture pour le challenge que je fais également.

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    1. @Loo : oui, si tu ne l'as pas encore lu... enfin, pour moi, c'était une relecture...

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    2. Tu me donnes très envie de le lire, d'autant plus qu'il traîne depuis trop longtemps dans ma PAL ! Je viens de lire "Accabadora" qui se passe aussi en Sardaigne, du coup il m'a donné envie de poursuivre le challenge Il Viaggio... et de partir en Italie !

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    3. @Lou : celui dont tu parles a été très commenté sur la blogosphère et j'ai bien envie de le lire aussi ! Bonne soirée :-)

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