Ce livre de Colette se compose d'une série de textes disparates, regroupés en cinq chapitres. Le premier, Paradis terrestre, affiche dix descriptions d'animaux divers, du serpent à la chienne bull. On y retrouve l'amour immodéré de Colette pour les bêtes, qu'elles rampent, qu'elles volent ou qu'elles feulent... La panthère devient sous sa plume "feu noir, un cratère rose, deux phares d'or, des griffes lumineuses, un crâne de chat, petit, aux oreilles couchées, invisibles dans la colère...". Le deuxième chapitre, intitulé La Treille muscate, compte les deux textes éponymes, les plus beaux du recueil selon moi, mais également un récit sur les Vins, un autre sur les Fleurs ou sur La Bourgogne. Je vous propose un extrait du début de la Première treille muscate, petite merveille de poésie qui évoque sa résidence secondaire située à Saint Tropez. Elle l'achète en 1925, après avoir rencontré Maurice Goudeket, qui sera son dernier mari et qui va lui faire aimer le sud de la France. Elle y invitera, entre autres, Kessel et Segonzac.
" Il a fallu, pour la trouver, que je me détachasse du petit port méditerranéen, des thoniers, des maisons plates, peintes, rose bonbon fané, bleu lavande, vert tilleul, des rues où flotte l'odeur du melon éventré, du nougat et des oursins. (...) J'oubliais, c'est vrai, de vous dire que la mer limite, continue, prolonge, ennoblit, enchante cette parcelle d'un lumineux rivage, la mer que colore et pâlit, selon l'heure, l'astre qui l'élance, à l'aube, d'un Est froid et bleu, pour périr le soir dans une écume de nues longues et légères d'un rose furieux."
Viennent ensuite une série de Portraits, puis trois textes sur l'Algérie, et enfin, une série de Notes marocaines. Dans la galerie des Portraits, celui de Landru, peut-être rédigé pour un journal car je sais qu'elle a couvert son procès, sort du lot et nous révèle une Colette plus grave qu'à l'accoutumée, irritée par le comportement de meute de ceux qui viennent assister à l'hallali du meurtrier, avant même que justice ne soit rendue. Ses questionnements sur les indices de la cruauté restent très actuels... comme ses remarques sur les méfaits du tourisme. Voyez comme ce texte sonne encore si juste aujourd'hui :
"Ahmed interrompt d'un signe notre compagnon et baisse discrètement, sur ses prunelles couleur de café foncé, ses paupières couleur de café clair. Il est tout jeune et retors. Ses grands yeux ne parlent pas, mais sa bouche de quinze ans sait grimacer à l'européenne pour exprimer la ruse, le dédain, la moquerie, et sourire trop. Ce n'est pas sa faute. Il guette les touristes, les guide, écoute de basses plaisanteries de banlieusards qui se paient maintenant trois jours de désert comme autrefois un après-midi de canotage sur la Marne... Il se frotte à nos défauts, à nos ridicules. Il les imiterait, si le burnous ne contraignait à la majesté orientale son corps d'adolescent maigre. "
J'ai regretté, dans cette édition du Livre de Poche, l'absence de préface. Aucune information sur la composition du recueil. Pourquoi ce titre ? Si "paradis" s'explique aisément, pourquoi "prisons" ? Je n'ai pu résister à la tentation d'aller chercher quelques réponses afin de voir si elles collaient à mes hypothèses... La société des amis de Colette propose ici une très bonne introduction à cet ouvrage qui reste à lire... et à relire !