Trois mois avant le Bac, le narrateur, un jeune homme de dix-sept ans, prend ses affaires et, en guerre déclarée contre ses parents, gagne Paris. Après une tentative de squat ratée chez son frère à Jussieu, il échoue chez sa vieille marraine. Comme quoi les frères ont parfois le sens de la solidarité qui s'arrête au raz du pompon de bonnet péruvien... Il échoue donc à Draveil, chez les Hardelot. Le couple vient de perdre leur fils unique, Alban, dans un banal et tragique accident de moto. Le vieux Max carbure donc au Ricard pendant que sa femme cherche à rentrer en contact avec les esprits des morts. Mais si Max fréquente d'un peu trop près la bouteille, il possède aussi une petite clé dorée qui ouvre une bibliothèque où se trouvent des oeuvres dédicacées de Céline et de Marcel Aymé. Très vite, le jeune homme apprend qu'il les a connus chez le peintre Gen Paul.
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Gen Paul et Céline |
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Durant son séjour à Draveil, le vieux Max va alors raconter à ce jeune qui pourrait être son fils disparu le Paris célinien, tout en se rechargeant régulièrement en carburant anisé. C'est donc entre Ginette et ses séances de spiritisme et les récits de Max que le jeune homme se met à dévorer Céline, en commençant par le Voyage au bout de la nuit.
"Céline, homme raffiné, écrivait des choses qui ne l'étaient pas. Marcel Aymé était plus populo, mais quelle finesse d'esprit ! En vérité, il n'y avait pas plus différents que ces deux-là. Il formaient un duo à la Laurel et Hardy, et comme Stan et Olivier, ils sont restés quasi inséparables jusqu'au terminus du voyage."
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Le Voyage illustré par Gen Paul |
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Comme le narrateur va être happé par les récits du vieux Max dont il attend avec fébrilité les nouveaux épisodes, j'ai été littéralement happée par cette lecture. Impossible de me détacher de ce roman que j'ai pourtant abordé avec une certaine réserve puisqu'il est consacré à Céline et qu'il n'est pas nécessaire de rappeler ici les enjeux qui tournent autour des écrits antisémites de l'auteur en question... Les raisons de mon enthousiasme alors : tout d'abord l'écriture. On sent que l'auteur est fortement imprégné par Céline. Ses phrases claquent et dansent, portées par un jeu sur les registres de langue suffisamment fin pour faire sourire et ne pas lasser. Il campe avec force des personnages qui parlent argot sans avoir l'air vulgaires... Ensuite, il y a l'omniprésence du contexte historique : celui de la Grande Guerre qui a rendu à la vie civile des hommes brutaux et déchirés par leur vécu de l'horreur, celui de l'Occupation et de ses compromis... Or, le roman présente avec véracité cette époque étrange où chacun essaie de survivre avant un réveil difficile où certains, planqués durant toute la guerre vont tout à coup se découvrir résistants... Enfin, il y a Céline, au centre de l'oeuvre. Céline et toutes les saloperies qu'il a pu cracher au sujet des juifs. Les questions posées par son attitude sont infinies : comment, malgré son réel engagement auprès des plus pauvres comme médecin, a-t-il pu se fourvoyer à ce point avec son antisémitisme chronique ? Comment la culture peut-elle cautionner l'abjection ? Toutes questions posées par cette Seconde Guerre mondiale et ses fantômes qui n'en finissent pas de nous hanter...
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Céline au Danemark |
Pour conclure, un livre de circonstance, certes, puisqu'il est publié à l'occasion du 50e anniversaire de la mort de l'écrivain, mais aussi une bonne introduction à l'oeuvre. Je connais mal Céline car je me refuse à lire en profondeur des écrits dont les relents cendrés me donnent la nausée. La lecture de ce roman m'aura permis de mieux cerner l'opposition entre l'homme et l'écrivain (opposition à confirmer par ailleurs), et je vais peut-être aller y voir de plus près, en terminant enfin Le Voyage au bout de la nuit.
Merci à News Book pour l'organisation de ce partenariat, et merci bien sûr aux éditions Robert Laffont. Me voilà très fière d'avoir inauguré le premier partenariat du site ;-)