Il était une fois un pays étrange
dans lequel les hommes passaient des pactes avec les ours. Depuis la nuit des
temps, il avait été décidé dans le hameau que la paix régnerait entre les
espèces. Les ours ne tuaient personne et la chasse était oubliée. Pourtant, le
pacte fut rompu plusieurs fois et un jour, un ours enleva une jeune fille. Elle
disparut durant trois ans et à son retour se pendait à ses jambes un enfant
mi-homme mi-bête.
Cet enfant deviendra ours, et
c’est son histoire qui nous est contée ici. Elle se déroule du point de vue de
l’animal qui va connaître bien des aventures. Tout d’abord vendu à un montreur
d’ours, il se retrouve ensuite avec un propriétaire qui participe à des combats
d’animaux. Après avoir traversé l’océan, il travaille pour un cirque avant de
finir dans un zoo. Durant ce parcours qui pourrait être initiatique, sa part
animale se développera, le contact avec les humains ne faisant qu’éteindre ce
qui lui restait de ses gênes de l’espèce des bêtes « pensantes ».
J’ai lu ce court roman (157
pages) avec l’enthousiasme des découvertes type « coup de cœur ».
L’atmosphère baigne dans l’indétermination du conte. Jamais vous ne saurez où
se déroule l’histoire, encore moins quand. On y rencontre des nains, des hommes
serpents et des femmes qui aiment d’amour les ursidés. La fantaisie se marie
ici à une violence extrême plus souvent exercée par les hommes que par les
animaux qui d’ailleurs se méfie de cet être cruel autant qu’imprévisible. Le plaisir
de la lecture se double donc de la réflexion sur la part d’animalité de chacun.
J’ai été totalement séduite par
la présence de tous ces êtres qui m’ont souvent fait penser au film Freaks de Tod Browning. Dans notre
société où tout doit être normé, et l’apparence plus que tout, rencontrer grâce
à la fiction ces êtres que l’on cache aujourd’hui dans des centres dits
« spécialisés » rend finalement plus humain et rassure sur le sort de
notre espèce. Rien ne me réjouit plus que la diversité, elle éclate ici avec
une forme de joie salutaire. La description de la perception animale sur le
monde humain, troublante, nous fait presque basculer dans l’inquiétante
étrangeté. On se surprend à envisager son animal domestique avec un autre œil…
et on se dit que la rentrée littéraire a du bon…
Je ne connaissais pas Joy Sorman,
je compte bien lire maintenant Comme une
bête, paru en 2013, qui a obtenu le prix François Mauriac de l’Académie
française. Et pour ceux qui comme moi ont un faible pour les ursidés, lisez l’excellent
livre de Michel Pastoureau (billet ici).
Extrait (incipit)
Un accord si ancien que son
origine se perdait, qu’il semblait avoir été passé pour l’éternité, sédimenté à
jamais dans la roche de la grotte : la paix régnerait entre l’ours et les
habitants du hameau aussi longtemps que la bête n’approcherait pas les enfants.
Les hommes s’engageaient à ne chasser aucun ours tant que celui-ci se tiendrait
à bonne distance.
L’histoire rapporte qu’une fois
seulement un animal rompit le pacte – et sa punition, exemplaire, édifia tous
les prédateurs des forêts et montagnes alentour.
Vous pouvez écouter Joy Sorman qui parle de son livre ICI. Elle y évoque d'ailleurs l'excellent livre de Michel Pastoureau... Et pour répondre à la fin de l'interview de l'écrivaine : oui, il existe vraiment pour le lecteur, ce personnage, et il reste en mémoire, ce qui n'est pas le cas de tous les personnages de fiction...
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