Rousseau dort aujourd’hui au Panthéon. Pas sûr qu’il le doive à ses Confessions. Mais quel livre ! Je n’avais pratiqué que ses textes politiques et/ou philosophiques, et cette plongée dans ce livre au long cours aura été vraiment une très agréable surprise aussi bien qu’une lecture nécessaire, puisqu’il s’agit du texte qui inaugure la naissance d’un genre, celui de l’autobiographie. Voilà un ouvrage qui m’aura fait oublier une première approche, ancienne et peu enthousiaste de cet auteur, effectuée à l’époque par le biais des Rêveries.
De la philosophie à l’autobiographie
Rédigé entre 1763 et 1770, ce livre est né de l’idée de l’éditeur de Rousseau (un hollandais), de mettre en tête de l’ensemble des œuvres une biographie de l’auteur. L’écrivain, tenté déjà depuis La Nouvelle Héloïse par la démarche autobiographique, a donc mis de côté, dès 1762 (année de publication de son roman épistolaire), des documents qui pourraient servir à ce type de rédaction, des lettres intimes par exemple. Cet ouvrage fait partie de ses dernières publications, il a publié avant, entre autres, ses deux "Discours", Julie ou la nouvelle Héloïse, L’Emile et le Contrat social. Sa démarche autobiographique est guidée aussi par un profond désir de se peindre, mais également de se justifier face à la postérité. En effet, la parution de L’Emile, en 1962, a déclenché les foudres de la censure. Rousseau, condamné par le Parlement de Paris, s’est enfuit à Genève en 1962. Mais la cité suisse va le pourchasser aussi, si bien qu’il doit se réfugier à Neuchâtel. La même année meurt Mme de Warens, son adorée « Maman ». L’auteur, marqué par les poursuites incessantes et les aléas de sa vie personnelle, s’engage donc dans une démarche qui veut fixer les traces de sa vie mais aussi laisser une certaine image à la postérité. En effet, l’écrivain était hanté par la peur de laisser pour l’avenir une figure de lui et de sa vie déformée, trompeuse. Il ne voulait laisser à ses « ennemis » le privilège de discourir sur sa personnalité. Ainsi, Les Confessions s’ouvrent sur un Préambule qui annonce le but de l’ouvrage : « Voici le seul portrait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais. Qui que vous soyez, que ma destinée ou ma confiance ont fait l’arbitre du sort de ce cahier, je vous conjure par mes malheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l’espèce humaine, de ne pas anéantir un ouvrage unique et utile, lequel peut servir de première pièce de comparaison pour l’étude des hommes (…) ». L’auteur place donc son expérience personnelle dans une perspective universelle, ce qui va, bien sûr, donner toute sa force à l’ouvrage.
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J. J. Rousseau |
6 livres, de la naissance à Genève aux désillusions des Charmettes
Les Confessions portent un titre qui d’emblée nous invitent à songer à Saint Augustin. Le parallèle devient vite évident lorsque l’auteur utilise, dans le premier livre, un langage qui s’apparente à celui de la religion et du jugement. L’ensemble se compose de 12 livres, mais n’ayant lu que les 6 premiers, qui correspondent à la jeunesse de l’auteur, je me garde pour le moment de vous parler de la suite (cela viendra plus tard…).
Le premier livre, qui couvre la période de 1712 à 1728, évoque l'enfance genevoise. L'un des épisodes fondateurs est celui du peigne cassé, car il marque la naissance de l'intolérance du romancier face à l'injustice (il a été injustement accusé d'un vol de peigne). On trouve dans le deuxième la rencontre avec Mme de Warens, vite surnommée "Maman", et qui va le faire se convertir au catholicisme. Le troisième livre nous propose l'épisode du ruban volé. Rousseau accuse à tort une servante, Marion, d'avoir volé un ruban. Celle-ci sera renvoyée et la culpabilité qui suivra cet acte poursuivra l'écrivain toute sa vie (il en parle encore longuement dans l'une des promenades des Rêveries). Il est alors employé comme laquais par la comtesse de Vercellis.
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L'épisode du peigne cassé |
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Le livre IV couvre les années 1729-1730, marquées par son retour en Suisse où il se prétend professeur de musique (matière qu'il pratique) avec son ami Venture. Il apprend par ailleurs la musique sérieusement avant de partir pour Paris puis de retourner vers "Maman". Le cinquième livre traite essentiellement de l'idylle des Charmettes. Rousseau redevient professeur de musique, et surtout, devient l'amant de Mme de Warens qui avait déjà une liaison avec Claude Anet, son intendant. Ils vont ainsi vivre cinq années de liaison amoureuse dans un cadre champêtre. Rousseau apprend à herboriser sous la houlette de Claude Anet avec lequel il partage sa maîtresse sans que cela pose de problème, chacun trouvant des compensations dans cette situation assez originale, mais qui ne va durer que jusqu'en 1739, année où il part à Montpellier. Durant ce voyage raconté dans le sixième livre, Rousseau rencontre, à l'occasion d'une maladie, Mme de Larnage qui prend soin de lui. Alors qu'il doit passer la retrouver avant de retourner aux Charmettes, il choisit de rentrer directement... mais trouve la place prise auprès de Mme de Warens par le jeune Vintzenried. Il part alors à Lyon où il devient précepteur chez M. de Mably. Il retournera une dernière fois aux Charmettes pour essayer de charmer "Maman", en profitant pour inventer une nouvelle manière de noter la musique. Ayant rencontré peu de succès auprès de son ancienne amante, il part pour Paris.
Le livre VII, que je n'ai pas encore lu, s'ouvre sur la vie parisienne...
" Ce fut, ce me semble, en 1732 que j'arrivais à Chambéry, comme je viens de le dire, et que je commençai d'être employé au cadastre pour le service du roi. J'avais vingt ans passé, près de vingt et un. J'étais assez formé pour mon âge du côté de l'esprit, mais le jugement ne l'était guère, et j'avais grand besoin des mains dans lesquelles je tombai pour apprendre à me conduire : car quelques années d'expérience n'avaient pu me guérir encore radicalement de mes visions romanesques, et malgré tous les maux que j'avais soufferts, je connaissais aussi peu le monde et les hommes que si je n'avais pas acheté ces instructions."
(Incipit du livre V).
Si vous voulez partir sur les traces de Rousseau, rendez-vous chez Dominique qui a rédigé une jolie série de billets sur cet écrivain à l'occasion du tricentenaire de sa naissance. C'est ICI.