A la découverte de... Sylvie Germain


  Sylvie Germain, romancière et essayiste contemporaine, fait partie des auteurs qui resteront. Son œuvre se compose aujourd’hui d’une trentaine d’ouvrages, de l’essai spirituel au roman, en passant par la biographie (Etty Hillesum) ou l’essai esthétique (Ateliers de lumière). Son premier roman, Le Livre des Nuits, paru en 1985, fut accueilli avec enthousiasme par la critique, et récompensé par six prix littéraires. Geste familiale qui nous conte les aventures du patriarche Péniel, il se poursuivra avec Nuit-d’Ambre, constituant un diptyque de sept cents pages aux flamboyances baroques.
Philosophe de formation, la romancière s’inspire de la pensée de Levinas qui fut son professeur et dont elle évoque souvent la dette dans ses interviews. Dans sa thèse, intitulée Perspective du visage : Trans-gression, Dé-cration, Trans-figuration, les thèmes du mal, du visage, de l’éthique et de la spiritualité se trouvent déjà présents. Divisée en « stèles », la nuit occupe une place importante dans ce travail, comme dans la saga Péniel. Sa pensée se nourrit aussi de Simone Weil et de nombreux écrivains omniprésents dans ses écrits. Elle cite souvent Dostoïevski dont la phrase tiré des Frères Karamazov « Si Dieu n’existe pas, tout est-il permis à l’homme ? » a déterminé de son orientation en philosophie, alors qu’elle se destinait à l’origine à des études artistiques. 
   Sylvie Germain bâtit une œuvre où elle interroge la question du religieux, sa place dans une société sans dieux. Elle cite également souvent la Bible comme source d’inspiration, avec Bernanos, les mythes, les contes. L’ensemble de sa création romanesque part d’une image, celle de la lutte de Jacob avec l’ange :
« L’image qui m’obsédait, à travers l’histoire de l’art, c’était la lutte de Jacob avec l’ange. C’est l’image ultime de tout individu, la figure que l’on va donner à une force  qui nous dépasse  et qui nous appelle à nous dépasser nous-mêmes. » (Alain Nicolas, Sylvie Germain et les anges, L’humanité, 18 octobre 1996).
Delacroix - Lutte de Jacob avec l'ange
   L'oeuvre se tisse ensuite autour du problème du mal fondamental, symbolisé par le cri primordial. La question se couple avec le problème lancinant pour la romancière du silence de Dieu face aux douleurs humaines. Le mal s’incarne dès l’ouverture de la première fresque par le cri, on le trouve à l’orée de l’œuvre romanesque, avec celui que pousse la mère d’un enfant mort. Elle reprend l’ancien débat lié à la souffrance des innocents couplé au silence de Dieu. Ainsi, Le Livre des nuits interroge le mal lié aux guerres, Jours de colère analyse les effets d’un meurtre causé par le désespoir d’un amour contrarié. Dans L’Enfant Méduse, ce sont les conséquences d’un inceste qui amènent Lucie à se transformer en Méduse au regard pétrifiant, face au frère incestueux. La Pleurante des rues de Prague, récit capital marquant un tournant de l’œuvre, prend en charge la douleur humaine et les effets du mal. La Shoah hante ce récit. Le génocide des juifs prend alors une place central et on le retrouve dans Magnus où le père adoptif est un directeur de camp, ou dans Tobie des marais où Déborah est une rescapée. Il est déjà à la source de la perte de la femme préférée de Nuit-d’Or, dans Le livre des Nuits (Ruth). A partir de Tobie des marais, réécriture du mythe biblique du livre de Tobit, la quête spirituelle devient omniprésente.
   Dans ces romans se côtoient réalisme et merveilleux du conte. Les destinées individuelles se frottent à l’Histoire, ce « fauve » qui broient les personnages et invitent les dieux sauvages à des carnages autorisés. La romancière en tire des images sanglantes et marquantes, comme cette scène du lavoir, dans le livre des Nuits ou les hommes assassinés baignent dans l’eau qui tachent les draps de leur sang. Mais la romancière propose avant tout des ouvrages infusés de poésie, elle pour qui, écrire, "c'est descendre dans la fosse du souffleur".