jeudi 28 novembre 2013

Lady Hunt d'Hélène Frappat



Il était une fois une Petite Blogueuse qui s’appelait Margotte. Nombreux étaient ceux qui aimaient venir lire ses chroniques sur Le bruit des pages. La Petite Blogueuse adorait les livres et les cadeaux dont elle ventait ensuite les qualités sur son blog. Une fois, Price Minister lui proposa de lui envoyer un livre avec un beau titre – Lady Hunt – et une couverture toute rouge et noire. La blogueuse trouva l’ensemble si joli qu’elle ne voulut plus lire autre chose.
Mais Olivier lui avait dit aussi : « Tiens, Petite Blogueuse, je te confie ce livre. Tu iras le lire afin de porter ensuite les mots du livre au delà de chez toi. Tout le monde va bien se régaler. Vas-y au plus vite. Attention, ne traîne pas trop car tu dois avoir rendu une chronique pour le 1er décembre. Prends bien garde à ne pas t’égarer en chemin, ne saute pas à droite et à gauche, sur d’autres livres tentateurs. Reste bien concentrée sur ce que tu dois faire. »

-    « Je serai sage et ferai tout pour le mieux », promit la Petite Blogueuse qui attendait déjà son livre avec grande impatience.

Il lui fallut faire montre d'indulgence car l’arrivée du cadeau avait été retardée. Mais pendant ce temps là, La Petite Blogueuse n’avais pu résister à la tentation. Elle était entrée dans une librairie et avait lu des romans policiers, et un très mauvais livre, mais aussi une œuvre grandiose : Les Chutes de Joyce Carol Oates, si bien qu’elle avait un peu oublié Lady Hunt.
Un jour, enfin, le livre arriva. Elle caressa la 1ère de couverture et contempla sans retenue l’image qui montrait des pieds chaussés de noir. Au dessus, une robe qu’elle imaginait froufroutante, noire aussi. Elle commença alors tout de suite sa lecture, qui, au début, l’enthousiasma. Qui pouvait bien résister à une histoire de vieille maison, peut-être hantée, associée à un monde onirique et presque fantastique ?
Elle essaya esseya. Elle n’avait pas peur d’une aussi petite bête qui ne pouvait pas lui résister et devait lui apporter cette joie de lecture qu’elle avait tant attendue. Mais ses efforts restaient vains. Après quelques chapitres lus fébrilement, le livre commença à l’ennuyer. Elle le laissa alors traîner, si bien que lorsqu’elle le reprit, elle ne comprit plus l’histoire.
Un jour, dépité de se voir ainsi abandonné, le livre s’adressa à elle :
-     « Comme tu sembles t’ennuyer, Petite Blogueuse. J’ai pourtant une belle couverture à regarder.
-     Oui mais cela ne suffit pas à faire un bon livre, répondit-elle.
-    Mais j’ai aussi une belle histoire de maison, avec de nombreuses visites d’appartements et une aventure amoureuse entre un homme et une femme !
-     Cela ne suffit pas non plus, répondit-elle.
-     Et les rêves alors, tu n’as pas aimé ?
-    Oh, c’était pour m’emmener bien loin, mais je suis restée chez moi, bien sagement, répondit-elle.
-     Mais alors, que te faut-il donc ?
-   La poésie et la vie lui répondit la Petite Blogueuse qui, tout en saisissant le livre, le fit disparaître à tout jamais, grâce à sa bibliothèque magique.

La Petite Blogueuse continua pourtant à écrire ses billets, et elle vécut heureuse, jusqu'à la fin des temps.


http://www.priceminister.com/blog/les-matchs-de-la-rentree-litteraire-2013-8774?t=2711261&s2m_exaffid=977275
Note attribuée : 11.5/20

mardi 26 novembre 2013

Le syndrome [ E ]


  Alors que vient juste de sortir de dernier thriller de Franck Thilliez, j’effectue un retour en arrière dans sa production. Après une découverte enthousiaste de l’auteur, à l’époque où il publiait encore aux éditions du rail, je l’ai suivi jusqu’à la Chambre des morts. Je suis revenue à son œuvre l’an dernier avec Vertige… qui m’a vraiment envie donné de rattraper mon retard. Car le bonhomme a fait du chemin depuis !
La trilogie scientifique dans laquelle je me lance prouve combien cet auteur maîtrise aujourd’hui à plein son art du suspense et d’élaboration de l’intrigue. Le syndrome [ E ] commence ainsi par histoire de film. Ludovic Sénéchal, l’ancien petit ami du lieutenant Lucie Hennebelle (personnage récurent d’une des séries de Thilliez), achète la pellicule d’un vieux film des années 50. Amateur et passionné de cinéma, il s’empresse de visionner le film… et devient aveugle après avoir regardé ce qui s’y trouvait !
Je ne dévoilerai rien de plus concernant une histoire qui, très vite, apparaît beaucoup plus retorse qu’elle en a l’air. Au fur et à mesure que s’épaissit le mystère, le lecteur s’attache à la fois à l’histoire et aux personnages car Lucie Hennebelle va bientôt être secondée par le commissaire Franck Sharko, lui aussi bien connu des amateurs de Thilliez.
Le duo de choc va mener une enquête dopée au Red Bull, entre l’Egypte, le Canada et la France. Entre les bidonvilles Cairotes et les orphelinats quebecois, nos deux compères vont mettre à jour une réalité bien effrayante issue tout droit d’expériences issues de la Guerre froide. De quoi rester scotchée sous la couette pendant un RAT de trois jours, je vous le garanti ! La lecture fut intense, je fais donc une petite pause avant de repartir en leur compagnie avec la suite de la trilogie, Gataca… à bientôt donc !

Extrait (les héros sont fatigués)
« Le policier s’exécuta. Sharko eut le sentiment que ce jeune en avait déjà trop vu, dans sa toute nouvelle carrière. Il était dans le bourbier dont il ne sortirait pas indemne d’ici quelques années. Tous les flics suivaient les mêmes rails, ceux qui plongeaient vers les gouffres et interdisaient toute remontée. Parce que cette saloperie de métier vous bouffait, vous digérait, jusqu’aux tripes.
(…)Sharko le gratifia d’un sourire sincère. Il aimait la naïveté de ces mômes, elle prouvait qu’il existait encore quelque chose de pur en eux, une lueur que l’on ne trouvait plus chez les vieux briscards, ceux qui avaient déjà tout vu. »

dimanche 17 novembre 2013

Noir sur la ville à Lamballe


Un petit tour au salon du polar de Lamballe, cela ne se refuse pas, surtout lorsque l'on est en panne de polars à lire et que l'on est bien accompagnée (j'étais avec Moustafette). Les auteurs étaient assez nombreux, avec les habitués, comme Jean-Bernard Pouy, installé à la même place que l'an dernier, idem pour Caryl Férey (ci-dessous en train de me dédicacer un opus du Poulpe !).


Les bonnes résolutions prises après le festival de Carhaix (j'ai bien dit "festival", ne m'imaginez pas avec un bonnet rouge, montée sur un portique et vociférant contre l'écotaxe...) ont fondu comme neige au soleil... et je suis revenue avec quelques poches dédicacés bien sûr ! Je n'ai maintenant qu'une envie : lire, et peut-être rédiger quelques billets très très noirs...


C'était Margotte, en direct ou presque de Lamballe... Bonne soirée à vous !

samedi 16 novembre 2013

Cinq jours de Douglas Kennedy



     Le moment que l’on choisi pour une lecture a son importance dans la réception que l’on a d'un roman… En ce qui concerne ce roman de Douglas Kennedy, il n’avait pas la tâche facile puisque je l’ai commencé juste après avoir terminé Les Chutes de Joyce Carol Oates (lecture dont je suis à peine remise, que lire après une telle œuvre ?…). Autant dire qu’il partait vaincu d’avance, mais j’ai essayé d’être objective... et franchement, malgré ces efforts, j’ai trouvé cela très mal écrit. 
   La lecture s’est déroulée à peu près de la manière suivante (je vais faire une liste comme certains, suivez mon regard, font des dialogues).

- 1er chapitre : ça commence bien ! « JE L’AI VU TOUT DE SUITE. LE CANCER. C’était là, sous mes yeux. » Non, ce n’est pas du fantastique. Pas de cancer incarné, seulement une radiologue, Laura, qui tout à coup en a marre d’annoncer des horreurs à ces pauvres malades. J’ai oublié de vous dire que tout cela se passe un JEUDI. C’est important (merci de faire le lien avec le titre…). A la fin du premier chapitre, une tenace envie d’abandonner cette lecture m’a tenaillée mais le fond masochiste de ma personnalité m’a invité à continuer parce que bon, en un chapitre, on ne peut pas juger d’un livre non ?

- Vendredi (p.81) : punaise ! c’est long ! Laura s’ennuie dans la vie et avec son mari qui vient de perdre son boulot (moi aussi avec ce livre) mais heureusement, elle vient d’être invitée à un colloque de radiologie. Chouette ! On y va ? Et qui va-t-elle rencontrer lors de son colloque ? Richaaaaaaaaaaaaard (vous remarquez le glamour ultime du prénom ?). Et là, tout à coup, accélération du rythme cardiaque et de celui de l’intrigue. Accélération qui conduit notre couple de tourtereaux dans un lit : crak boum uh ! et ils s’aimèrent.

- Arrêt sur dialogue (p. 220)

"-         Non ! Vous avez dirigé Trait de plume ?
-         Vous connaissez ?
-         Bien sûr ! J’ai fait partie du comité de rédaction, à mon époque.
-         Tien ! Vous y faisiez quoi, exactement ?
-         Responsable de la section poésie.
-         C’est dingue !"
Il y en a des pages entières, de ces dialogues… 

- Fin de l’ouvrage (ouf !) 
Je lorgne sérieusement en direction de mon livre, hélas terminé, de Joyce Carol Oates et je médite sur le talent et le style. Je vous épargne le détail de mes réflexions… simplement, ce type de roman ne prend absolument pas avec moi. Il faut croire que je n'ai pas le profil "Au féminin" où j'ai lu cette "critique" enamourée "360 pages qui tiennent en haleine les fans du genre" (ah ? C'est un "genre" ?). Alors certes, je n’ai peut-être pas choisi le meilleur moment pour le lire, mais je pense que même à un autre moment, cela n’aurait pas pris non plus… trop plat, trop convenu, trop prévisible, et, il faut le dire, trop mal écrit.

Je remercie tout de même les éditions Belfond (après ce billet, j’ai bien peur que je sois rayée de leur liste…) et Laura pour cette envoi.


mardi 12 novembre 2013

Les Chutes de Joyce Carol Oates

Dans l’œuvre d’un auteur, on trouve toujours des livres mineurs qui viennent mettre en relief les symphonies majeures, monuments que l’on peine parfois à lire ou que l’on hésite à aborder, question de taille, d’écriture… ou de disponibilité… Avec cet ouvrage de Joyce Carol Oates, j’ai l’impression d’avoir écouté l’une de ces symphonies. Dès les premières lignes, j’ai été complètement happée par une écriture fluide, tournoyante, égale aux tourbillons du Trou du diable si présent dans ce roman.
 
Extrait 1 – Un lieu


« (…) la verticale des Horseshoe Falls. L’endroit le plus dangereux de Goat Island, en même temps que le plus beau et le plus envoûtant. Là, les rapides sont prises de frénésie. Une eau blanche bouillonnante, écumeuse, fuse à cinq mètres dans les airs. Aucune visibilité ou presque. Un chaos de cauchemar. Les Horseshoe Falls sont une gigantesque cataracte de huit cents mètres de long, trois mille tonnes d’eau se précipitent chaque seconde dans les gorges. L’air gronde, vibre. (…) Votre cerveau, dans lequel vous résidez, ce réceptacle unique de votre moi, sera martelé jusqu’à être réduit à ses composants chimiques : cellules grises, molécules, atomes. Toute ombre et tout écho de souvenir abolis. (…) »

Tout commence par un voyage de noces, un jour de juin 1950, aux abords des Chutes du Niagara. Ariah, vierge de vingt-neuf ans et fille de pasteur, vient de prendre pour époux Gilbert Erskine. La veille, leur nuit de noces a été d’un ennui et d’une trivialité à mourir, tellement mortel qu’au réveil Gilbert Erskine part se jeter dans les bras des Chutes, à défaut d’avoir pu supporter ceux de sa toute nouvelle épouse. Lorsque Ariah prend conscience, après un réveil difficile, de la disparition de son jeune mari, elle va se mettre à hanter les abords de « L’eau qui a faim » (surnom donné aux Chutes par les Indiens).  La mariée aussitôt veuve va, durant toutes les recherches qui visent à retrouver le corps de son amant d’un soir, se transformer en « Veuve blanche des Chutes ». Sa résignation autant que son obstination vont en faire un sujet pour les journalistes et une attraction pour les touristes mais également attirer un brillant avocat qui tombe amoureux que l’étrange femme rousse des bords de l’eau qui gronde. Pour autant, la passion qui va les entraîner tout deux peut-elle se terminer autrement que par une chute ?

Horseshoe Falls
 
Extrait 2 – Le fleuve, métaphore de l’écoulement de la vie


« L’amour que Dirk éprouvait pour cette femme imprévisible l’envahit avec une telle force qu’il sentit le sol bouger sous ses pieds. Un instant, il put se croire sur le fleuve, dans une embarcation trop petite pour qu’il lui fût possible de la voir ou de la sentir. »

Dans cette œuvre magistrale de plus de cinq cents pages, Joyce Carol Oates aborde la plupart des sujets au centre de son travail littéraire comme la féminité, le poids du corps et celui des secrets mais aussi la violence des rapports de classe. Voyage de noces – Mariage – Famille : la trilogie que forment les trois chapitres principaux évoque une vie, celle d’Ariah, mais aussi celle de sa famille. Il s’agit d’une vaste fresque familiale donc, mais aussi de la vie d’une région qui s’épanouit autour de l’eau tonnante. L’histoire des Etats-Unis surplombe l’ensemble, comme si la malédiction qui semble peser sur Ariah était aussi celle du poids de la culpabilité des Américains face aux Indiens qui, eux, savaient parler à l’eau furieuse et apaiser son courroux tandis que les nouveaux arrivants ne savent que payer un tribut de suicidés à sa folle écume. Un grand roman, flamboyant et follement romanesque, comme je les aime !

Tableau de Robert Marsala
 Extrait 3 – Quand le corps gronde


« Le grondement s’amplifia dans les oreilles de Royall. Il était attiré dans les profondeurs bouillonnantes de la gorge. L’eau en folie en aval du Trou du Diable, où le bateau d’excursion ruait et roulait, où les femmes et les enfants hurlaient de peur et où Royall, lorsqu’il pilotait, gardait le cap, suivait précisément la route prescrite et finissait par les ramener au ponton.  A présent cette femme inconnue et lui étaient couchés ensemble sur le sol, dans l’intimité soudaine d’individus horizontaux dans les bras l’un de l’autre. Impossible de reculer. Pas d’autre direction qu’en avant. (…) »

mercredi 6 novembre 2013

Fétiches de Mo Hayder

Avis à tous les aficionados de Mo Hayder ! La voilà qui nous revient en grande forme… avec, en prime, la suite des aventures de Flea la plongeuse et du commissaire adjoint Caffery dont les histoires sont maintenant conjointes (pour ceux qui n’ont pas suivi, ce n’est pas grave, vous saurez tout en lisant cet opus…).
Il est vrai que j’étais vaincue d’avance en achetant ce dernier livre que j’attendais avec impatience depuis cet été, mais, sans mentir, voilà deux excellentes raisons de vous lancer dans cette lecture.
1. Au moment où la santé mentale devient le parent pauvre de la médecine en Europe, voilà un ouvrage qui se déroule en grande partie dans un hôpital psychiatrique. Voilà déjà de quoi faire frémir le lecteur lambda qui travaille avec des gens dits sains d’esprit dans un bureau, mais en plus, il s’agit d’un hôpital de haute sécurité (comme Cadillac, entre autres, en France). Dans ce lieu sont confinés sous haute surveillance des malades tous plus dangereux les uns que les autres. L’ambiance n’est déjà pas à la Petite maison dans la prairie lorsque un délire collectif s’empare de la maisonnée… Les patients, et bientôt certains membres du personnel, ont l’impression de voir un fantôme surnommé « La Maude », spectre d’une ancienne infirmière naine, morte depuis fort longtemps, mais qui viendrait encore hanter les lieux… L’affaire va prendre des proportions inattendues lorsque des patients vont commencer à mourir de manière étrange…
Mo Hayder a visiblement effectué un travail de documentation avant de se lancer dans l’écriture de ce roman. Non seulement elle brosse très bien l’univers de la maladie mentale, mais en plus, elle décrit avec justesse les ravages produits par les politiques de redéploiements des moyens (ce qui, en langue de bois administrative, signifie : de restriction budgétaire…). Un polar intelligent qui met le doigt sur une véritable problématique sociale, voilà déjà une bonne raison pour s’arrêter chez son libraire.
2.  Vous suivez les aventures de Fléa et de Caffery depuis leurs débuts : là, point besoin de s’étendre, sachez simplement que vous ne serez pas déçu(e)s ! Dans ce 9e roman, vous saurez ce qu’il advient du cadavre caché par Fléa à cause de son lâche de frère. Vous saurez également ce que Caffery va faire de ce qu’il sait de cette affaire. Et vous aurez de quoi attendre le 10e roman avec autant d’impatience que celui-ci… Pour ceux qui soupirent parce qu’ils ne connaissent absolument pas ces deux héros récurrents, sachez que cela n’empêche pas du tout de suivre l’intrigue et que les rappels qui émaillent le roman permettent facilement de se rafraîchir la mémoire ou de suivre tout simplement le déroulement d’une enquête haletante de bout en bout. Un seul regret pour moi : l’absence du marcheur, l’un de mes personnages préférés. Il est cité mais n’apparaît pas, hélas… Pour conclure, un excellent polar à l’ambiance automnale, ce qui s’avère plutôt de saison ! A lire en période d’Halloween, auprès d’un bon feu, en veillant à avoir fermé toutes les portes et fenêtres…
Mo Hayder
 L’incipit du roman
Invisible



   Mère Monstre est assise sur le lit quand le triangle de lumière vacille sous la porte. Il bouge, file vers le côté en dansant, puis s’immobilise. Elle le regarde fixement, le cœur battant. Quelque chose est là, dehors, qui attend.
   En silence, Mère Monstre descend du lit et gagne furtivement le coin le plus éloigné de la pièce – le plus loin possible de la porte. Elle se recroqueville dans l’angle formé par les murs, tremblante, les yeux larmoyants de peur. Par la fenêtre située derrière elle, des lampes de sécurité projettent sur le sol des ombres d’arbres qui s’agitent et se courbent, semblables à des doigts qui grattent la pièce, trouvent l’ombre sous la porte. Elle parcourt la chambre du regard – les murs, le lit, l’armoire. Inspecte chaque recoin, la moindre fissure dans le plâtre. N’importe quel endroit où la Maude pourrait se glisser. Mère Monstre en sait plus sur la Maude que n’importe qui ici. Pourtant, elle ne révélera jamais ce qu’elle sait. Elle a trop peur.

samedi 2 novembre 2013

Le Citron de Motojirô Kajii


     Si nous avons en France des auteurs qui savent parfaitement manier la prose poétique, rares sont ceux qui, comme les Japonais, peuvent y frôler la grâce. Ce recueil de nouvelles de Motojirô Kajii vient nous le rappeler avec éclat. 
L’auteur, troisième enfant d’une fratrie de six, né à Osaka à l’orée du XXe siècle (en 1901), décèdera à trente-quatre ans des suites d’une tuberculose. Trois autres enfants de la famille seront emportés des suites de cette maladie sans doute contractée auprès de la grand-mère paternelle qui en était elle-même atteinte. L’écrivain n’aura donc jamais le temps de rédiger des romans s’intégrant à une « nouvelle littérature prolétarienne japonaise », lui qui avait été bouleversé par la lecture de Marx. Son écriture n’aura pas eu le temps de se transformer… mais nous reste ces nouvelles imprégnées par l’aura de la maladie, où le souffle est précieux car chaque respiration est marquée par le temps gagné sur la mort.
Le recueil se compose de huit nouvelles de taille très variables mais toutes fortement teintées par la sensibilité. Tout vibre, chaque instant apporte son lot de changements subtils. J’avais l’impression, en lisant ces nouvelles de lire des haïkus développés sur plusieurs pages. Si vous choisissez d’ouvrir ce livre, n’espérez pas y trouver des personnages bien campés et une histoire qui se tisse pour vous tirer vers une fin attendue avec fébrilité. Ici, tout n’est que calme et volupté… et j’ai plusieurs fois pensé à Baudelaire, particulièrement en lisant Sous les cerisiers.
Sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! Ainsi s’ouvre cette nouvelle, ainsi le narrateur explique-t-il la beauté qui jaillit si splendidement lorsque arrive la floraison. Trop de beauté peut parfois virer au mystère, Motojirô Kajii, d’un trait de calligraphe, tente d’en saisir le dessin. Comme Baudelaire, il pétrit la boue, en fait de l’or, et ses nouvelles ne peuvent qu’évoquer une poésie qui sent la myrrhe et la charogne. Une découverte qui donne envie de se lancer dans de nouvelles lectures de littérature japonaise !
J’intègre ce recueil dans le challenge de Nadael car plusieurs nouvelles se teintent fortement des couleurs des saisons. Particulièrement Jours d’hiver qui commence ainsi :

« C’était peu avant le solstice d’hiver. De sa fenêtre, Takashi voyait les arbres, dans les jardins et devant le seuil des maisons du terrain en contrebas, perdre leurs feuilles chaque jour davantage. Les sésames desséchés étaient devenus semblables aux cheveux emmêlés d’une vieille ; les dernières feuilles de cerisier, joliment brûlées par le givre, avaient disparu ; les ormes du Caucase, chaque fois qu’ils frissonnaient et bruissaient au vent, laissaient entrevoir la partie cachée du paysage. 
Les pies-grièches ne venaient plus à l’aube. Puis, un jour, quelques centaines d’étourneaux, couleur de plomb, se posèrent sur la rangée de chênes formant paravent et, dès lors, les gelées se firent de plus en plus fortes. »

http://lesmotsdelafin.over-blog.com/article-challenge-des-quatre-saisons-89043693.html