1954 : l'abbé Pierre lance son appel sur les ondes. L'hiver, exceptionnellement froid, a jeté dehors les sans-abris. On meurt sur les pavés. Une année où l'urgence sociale fut donc dramatique. La même année, Elvis Presley grave un premier disque, Simone de Beauvoir remporte le prix Goncourt pour Les Mandarins et une toute jeune fille sort un livre, Bonjour tristesse, qui va changer sa vie. C'est au début de cette même année 54 que l'éditeur René Julliard décide de publier le premier roman de Françoise Quoirez. Une légende va naître, légende dans laquelle on voit tournoyer un glaçon dans un verre de whisky, la roulette du casino, et une voiture qui prend un mauvais virage.
Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres.
(Incipit de Bonjour tristesse).
Françoise Sagan |
2014 : le Front national arrive en tête des élections européennes avec 25 % des voix. Ce parti arrive en tête devant l'UMP et le parti socialiste. La France est toujours glacée, mais pas pour les même raisons. Durant cette même année, Anne Berest, romancière, se plonge à corps perdu dans la vie de Françoise "pas encore Sagan". Elle vient de se séparer du père de son enfant et l'écriture lui permet de ne pas trop penser à une situation personnelle qu'elle vit très mal.
C'est avec cette scène, du petit matin et de Cocteau, que j'aimerais ouvrir le livre sur Françoise Sagan que je vais écrire dans les mois qui viennent. Le journal de l'année 1954 qui raconterait la parution de Bonjour tristesse.
C'est peu, quelques mois. Mais je traverse une des périodes les plus douloureuses de ma vie. Depuis cet été, je suis séparée du père de ma fille. La souffrance m'alourdit et je me sens comme une valise sans poignée. Anéantir mon chagrin dans le travail, penser à Sagan nuit et jour. Jour et nuit être avec elle. (p. 13)
Très vite, les deux vies s'entrecroisent, s'entremêlent et se nourrissent l'une de l'autre. Deux moments de rupture entrent en résonance. Le livre s'ouvre alors que le "charmant petit monstre" n'est pas encore né. Françoise ne sait pas encore combien son existence va être bouleversée par le succès foudroyant prêt à fondre sur ses dix-huit ans. Anne, elle, se tient sur le fil. La rupture a déjà été consommée, et écrire sur une jeune femme qui s'apprête à vivre un épisode saisissant s'avère un moyen de construire tout en contemplant les ruines de la défaite... ce qu'elle fait tout en douceur et en discrétion.
On sent une fréquentation assidue de l’œuvre de la romancière, et une retenue face aux effets faciles. Au lieu de nous plonger dans les méandres des vapeurs alcoolisées associées à Sagan, elle nous invite à regarder au bord du vide, à contempler cet instant où tout peut basculer, où tout va sans doute basculer, mais sans que l'on sache de quel côté.
Ce livre n'est donc pas un roman, ni une biographie, et encore moins une autobiographie. Œuvre multiforme, elle suit les méandres de l'écriture, explore les failles. Elle utilise deux fils de vie qui s'entrecroisent et tissent un texte composite. L'entrelacement des deux chemins de vie ne gêne absolument pas la lecture. Au contraire, l'ensemble est fluide et j'ai aimé naviguer dans ce paysage varié où je rencontrais des bribes de journal, puis quelques photographies, des instants de vie aussi... impression délicieuse d'ouvrir une malle aux souvenirs d'où s'échappent des photos oubliées, et que l'on a pas envie de refermer.
C'est avec cette scène, du petit matin et de Cocteau, que j'aimerais ouvrir le livre sur Françoise Sagan que je vais écrire dans les mois qui viennent. Le journal de l'année 1954 qui raconterait la parution de Bonjour tristesse.
C'est peu, quelques mois. Mais je traverse une des périodes les plus douloureuses de ma vie. Depuis cet été, je suis séparée du père de ma fille. La souffrance m'alourdit et je me sens comme une valise sans poignée. Anéantir mon chagrin dans le travail, penser à Sagan nuit et jour. Jour et nuit être avec elle. (p. 13)
Anne Berest |
On sent une fréquentation assidue de l’œuvre de la romancière, et une retenue face aux effets faciles. Au lieu de nous plonger dans les méandres des vapeurs alcoolisées associées à Sagan, elle nous invite à regarder au bord du vide, à contempler cet instant où tout peut basculer, où tout va sans doute basculer, mais sans que l'on sache de quel côté.
Ce livre n'est donc pas un roman, ni une biographie, et encore moins une autobiographie. Œuvre multiforme, elle suit les méandres de l'écriture, explore les failles. Elle utilise deux fils de vie qui s'entrecroisent et tissent un texte composite. L'entrelacement des deux chemins de vie ne gêne absolument pas la lecture. Au contraire, l'ensemble est fluide et j'ai aimé naviguer dans ce paysage varié où je rencontrais des bribes de journal, puis quelques photographies, des instants de vie aussi... impression délicieuse d'ouvrir une malle aux souvenirs d'où s'échappent des photos oubliées, et que l'on a pas envie de refermer.
Merci à Babelio et aux éditions Stock |