samedi 29 novembre 2014

Marguerite Yourcenar – Croquis et griffonnis par Sue Lonoff de Cuevas

http://www.magazine-litteraire.com/critique/non-fiction/marguerite-yourcenar-croquis-griffonis-sue-lonoff-cuevas-07-12-2010-35138

   Tout lecteur assidu de Marguerite Yourcenar connaît son goût pour l’art. En revanche, son appétence pour le dessin reste confidentielle et je dois avouer que la lecture de ce livre, en plus d’être agréable – on y trouve 106 illustrations – a été une vraie surprise. Sue Lonoff de Cuevas, universitaire américaine, a voulu présenter et étudier les dessins de l’écrivaine, les « faire connaître » mais aussi « montrer en quoi il est précieux de les connaître ». En effet, l’amateurisme des dessins en questions pourrait laisser dubitatif mais l’essayiste nous emporte avec elle et nous prouve qu’ils « peuvent éclairer ses centres d’intérêt, élargir le champ de ce que nous savons de ses préoccupations, apporter des clés sur ses méthodes de travail, ses premiers jets et leurs corrections, et même inciter des lecteurs à reconsidérer leurs hypothèses à propos de son œuvre. » L’ouvrage nous emporte donc au pays de l’avant-texte, matrice de l’œuvre à venir, gestation en traits et en couleurs qui ne peut que séduire tout amateur d’art.


   Marguerite de Crayencour, avant de porter son nom d’écrivaine, a fréquenté les musées avec assiduité. Lorsque la famille s’est installée à Paris, en 1912, elle en profité pour visiter le Louvre, Cluny et le palais des Thermes. A Londres, elle fréquentera la National Gallery et le British Museum. A Petite Plaisance, on a retrouvé une collection de cartes postales qui reproduisaient des œuvres vues dans les musées visités. Ces œuvres d’art ont souvent servi d’embrayeurs à l’écriture, elle a utilisé des « stimuli visuels ».
 Dans l’ensemble de ces dessins, des thèmes reviennent comme des leitmotivs, comme le Pierrot dont une ou deux représentations le montrent pendu. Les mains apparaissent de manière récurrente, que l’on se souvienne d’ailleurs de la présence des mains dans Mémoires d’Hadrien, des mains et de leurs lignes, de ces mains d’Antinoüs qui se retirent doucement de celles de la chiromancienne qui veut lire leurs lignes. Mais on trouve aussi des signes cabalistiques et de nombreux dessins liés à la mythologie greco-romaine.


   Il semblerait qu’elle composait de manière non linéaire, en « expérimentant les images et les phrases » et en biffant ce qui ne convenait pas. Ainsi, le dessin pouvait servir à « visualiser un passage dont elle savait qu’elle voudrait le changer. » Un chercheur a divisé ces dessins en deux catégories, ceux qui, hors de la fiction, permettent de réfléchir sur le processus créateur en cours, et ceux qui s’intègrent au récit en cours.
« Le cahier de Denier du rêve contient plus de cent dessins, dont plusieurs sont aussi clairement liés que celui-ci à des objets ou des œuvres d’art qu’elle avait sous la main. »
   J’ai trouvé émouvant la tenue du registre des cultures de son jardin à Petite Plaisance. Dans un carnet vert, elle dessinait à l’encre rouge chaque fleur, arbres ou arbuste du jardin. On y trouve aussi leur nom en latin, en anglais, parfois en français et souvent d’autres notes. Cinquante dessins achevés illustrent ce registre et aidaient sans doute l’écrivaine à pouvoir décrire avec une grande exactitude toute fleur de sa propriété. Elle fit même un plan des cultures de son jardin à l’encre verte.


    Enfin, pour conclure, je me suis promenée dans cet ouvrage comme on découvre le jardin d’un ami. J’avais l’impression d’entamer un bavardage entrecoupé de silences qui laissent la place à l’autre et à l’imaginaire. Un livre pour les admirateurs de Marguerite Yourcenar, un livre aussi pour tous ceux qui aiment l’art et qui savent combien il peut être le compagnon de la création littéraire.

Catégorie essais

lundi 24 novembre 2014

La rentrée littéraire - S63 de Jean-Bernard Pouy



     Le musée des Confluences de Lyon abrite plus de deux millions d’objets. Il s’est constitué à partir du Muséum d’histoire naturelle et du musée Guimet et propose un voyage dans le monde des « choses ». Il ouvrira ses portes en décembre 2014. La collection dans laquelle est publié cet ouvrage, édité par invenit, propose aux écrivains de faire vivre ces objets en les plaçant au centre de leurs récits. De plus, grâce à un complément numérique, elle propose « un nouveau rapport au livre »… Je n’ai pas téléchargé l’application associée pour voir l’objet en « réalité augmentée », ayant manipulé l’objet en question assez souvent pour en avoir une perception encore très nette.
  Je n’ai pas acheté le livre pour la démarche éditoriale mais je la trouve assez séduisante pour avoir eu envie de vous en parler en guise d’introduction. Je vais bien me garder d’ailleurs de vous dire quel est cette chose appelée « S63 »… je vous laisse le découvrir en lisant ce livre qui m’a fait passer un très bon moment de réalité non augmentée comme vous l’avez maintenant compris. 
   Tout commence dans un vide-grenier en plein air, à Poulganec (vous l’aurez deviné, avec un nom pareil, c’est en Bretagne). Le narrateur qui nous conte à la première personne le récit de cette étrange aventure est un fan des brocantes et autres lieux où l’on peut dénicher l’affaire du siècle. Critique d’art dans un magazine féminin, il aime, pour se changer les idées, chiner. Par un beau matin de crachin breton, il dégote une peinture sur bois qui évoque « un intérieur hollandais du XVIIe ou du XVIIIe siècle ». Sa femme, horrifiée devant un nouveau truc destiné à venir enrichir une collection déjà bien envahissante, pousse des hurlements et le tableau atterri dans l’atelier du narrateur.

   Or, après avoir inspecté la peinture dans le détail, il constate la présence de couches successives à deux endroits différents. Il décide donc de faire inspecter sa toile par un voisin restaurateur de tableaux. Ce dernier, quinze jours plus tard, le convoque afin de lui révéler ce qu’il a trouvé sous les couches de peinture. 
   Ce court récit de 76 pages (une nouvelle plus qu’un récit) réserve de bonnes surprises. Tout d’abord, on y retrouve l’humour dont Jean-Bernard Pouy est coutumier, et rien que cela vaut lecture. Ensuite, les références à l’art sont nombreuses et l’on se promène dans un musée imaginaire où il est bien agréable de flâner. De Füssli à Vermeer, en passant Goya, la lecture est illustrée par une galerie de tableaux que j’ai pris plaisir à « revoir » en stimulant ma mémoire… Enfin, si le romancier excelle dans le roman noir, il est également particulièrement à son aise lorsqu’il écrit à la frontière des genres. Ici, il flirte avec le fantastique et cela lui va très bien. J’ai retrouvé la même ambiance étrange que dans Train perdu, wagon mort que je ne peux que vous conseiller chaudement.

   A déguster sans modération, un livre d’art sur les genoux et un thé chaud à la main, après avoir passé une matinée froide d’hiver à arpenter les étals d’une brocante…



Extrait

   Si je fréquente, même pas assidûment, ces étals sauvages, c’est que j’ai une passion, héritée d’un grand-oncle qui, officier de marine, avait fait le tour du monde, et, à terre, un cabinet de curiosités. Plein de merdes disparates, mais toujours étonnantes ou tape-à-l’œil. De temps en temps, j’augmentais cette folle collection, en rajoutant aux vieilles merdes des étrons plus récents.
   Mon épouse ne supportait pas, elle une fana des murs peints en blanc immaculé où , in extremis, une reproduction de Hopper avait réussi à se faire punaiser, et elle m’a donc forcé à squatter le garage, où plus jamais elle ne rentrerait, pour entreposer, comme elle disait, « mes cacas poussiéreux ». 
   Et où en trouver, de ces excréments de l’art ? dans les braderies, les brocantes et les vide-greniers.

http://delivrer-des-livres.fr/challenge-rentree-litteraire-2014/

dimanche 16 novembre 2014

Noir sur la ville à Lamballe


Ce week-end, dans le centre des terres bretonnes, à Lamballe, se déroule le festival du polar Noir sur la Ville. Je suis allée y faire mon petit tour hier, pour retrouver les habitué(e)s de ce salon. Avant leur arrivée, cela ressemblait à cela :


Après sont arrivés les auteurs, dont les écrivains fétiches du festival (sans eux, rien ne serait plus pareil...), à savoir Jean-Bernard Pouy et Jean-Hugues Oppel par exemple, ci-dessous présents (ils se sont prêtés au jeu de la photographie avec grand naturel !) :

Jean-Hugues Oppel au centre et G. Alle à droite
Jean-Bernard Pouy
Mais il y avait aussi Maud Tabachnick, Bussi et bien d'autres (le programme est ici, si certains peuvent encore s'y rendre aujourd'hui !).  Alors bien sûr, les discussions furent sympathiques, la journée agréable malgré la pluie qui tombait à verse au retour et la moisson noire fut bonne. Elle promet quelques bons moments de lecture...


Et puisque l'on parle de polars, j'en profite pour vous conseiller l'addictif W3, Le sourire des pendus de Jérôme Camut et Nathalie Hug. Je viens de le terminer. Plus de 700 pages dévorées en une semaine environ, j'ai même trouvé le moyen de l'emporter au travail pour lire quelques chapitres en douce ! Bon dimanche à tous et toutes.


dimanche 9 novembre 2014

Rentrée littéraire 2014 - Ces instants-là de Herbjorg Wassmo


Toute nouvelle parution de la grande écrivaine norvégienne Herbjorg Wassmo annonce toujours un grand moment de bonheur pour moi. Depuis la lecture de la grande saga qui commence avec la trilogie du Livre de Dina, je me précipite sur chaque nouveau volume comme j'irais chez une vieille amie, le sourire aux lèvres.
L'écrivaine, fille de l'heure bleue et des aurores boréales, habite toujours à Hinnoya, une île à proximité du cercle polaire. Après l'excellent Cent ans qui nous contait histoire d'une dynastie de femmes du grand nord sur trois générations,  elle nous livre ici un ouvrage  qui s'arrête sur une seule femme. Ce roman m'a semblé le plus autobiographique de l'ensemble de l’œuvre. Certains points communs avec la vie de la romancière s'avèrent presque troublants.

Source de la photo ici
Contrairement à ses autres romans qui proposent en général une narration plutôt chronologique, l'écrivaine a composé avec Ces instants-là l'itinéraire d'une quête sous la forme d'une mosaïque. Chaque chapitre s'arrête sur un instant qui va compter dans la vie de l'héroïne et qui, quelque part, mène à ce qui sera le résultat de cet assemblage hétéroclite qui compose une vie : devenir écrivain. Deux références me viennent à l'esprit, Proust et sa Recherche pour la quête, Sylvie Germain et ses Petites scènes capitales qui trament le parcours de Lili.
L'héroïne, c'est "elle" dont on ne découvrira le prénom que tardivement, dans la bouche des autres, de ceux qui l'appellent. Le roman s'ouvre alors qu'elle fait sa rentrée au collège. Elle vit dans un lieu où les tourbières et les eaux du lac rendent le monde irréel. Son père, en revanche, est réel et lui fait du mal. Il sera présent tout au long de cette histoire comme celui qu'on méprise et qui, en quelque sorte, incarne la détestation.
"Son père fait toujours obstacle au monde. Aux gens qu'elle rencontre. Aux événements. Son père est une ombre qu'elle essaie toujours de gommer, mais ça ne marche pas. Elle sait bien que ça ne marche pas. Il a le pouvoir d'envahir ses rêves tant et si bien qu'elle se retrouve tout à coup debout au milieu de la pièce dans la nuit noire. Il diffuse au travers de toute chose une répulsion fétide. Même à l'église, son ombre est présente dans les moindres recoins." 
Divisé en trois parties, le roman commence avec l'enfance et l'école, continue avec les études, le mariage et les enfants (elle en aura deux). La troisième partie commence sur une île et correspond à la vie du personnage principal devenu écrivain. Dans ce découpage de la vie, des instantanés qui s'arrêtent sur des moments caractérisés par leur titre : "Aller en visite en Suède", "A la fenêtre de la honte", "Le prix de l'instruction", "Rêve d'un espace à soi" (on pense ici à V. Woolf...), "Cours d'anglais" auquel je décerne une mention spéciale à cause de ce passage tellement évocateur (elle est alors devenue institutrice et va continuer des études de lettres) :
Et elle s'entend dire qu'il n'y aura pas d'interrogation de vocabulaire, parce qu'elle a oublié de la préparer, et parce qu'elle a le sentiment que la journée est trop palpitante pour une interrogation de vocabulaire. Leurs visages s'ouvrent comme s'ils étaient exposés à un soleil inopiné. (...)
Elle commence à leur parler, pas en anglais, mais en norvégien. De pensées. De curieux petits instants dont on se souvient simplement, longtemps, même s'ils n'étaient pas grandioses. (...) Et de tout l'intempestif qu'on croit ne pouvoir partager avec personne.

http://delivrer-des-livres.fr/challenge-rentree-litteraire-2014/
Ces "petits instants" sont ceux qui tissent la trame de ce roman composite. Celle qui les vit, "elle", peut être l'héroïne ou une autre. Je ne la distingue pas très bien en sortant de cette lecture, elle est une femme mais aussi toutes les autres, faite de leurs peurs, de ces "curieux petits instants" liés à la maternité, au travail à la vie commune avec un homme. C'est peut-être bien ce qui fait la force de cette histoire à la fois unique et universelle. 
L'avis de Nadael qui a aimé aussi.


Merci à PM pour cet envoi !


dimanche 2 novembre 2014

Purgatoire des innocents de Karine Giebel


Avertissement : âmes sensibles s’abstenir absolument…
Voilà un polar diablement efficace qui m’a rivée pendant deux jours sur un fauteuil, le livre à la main ! L’intrigue se tisse sur deux histoires qui finissent par s’entrecroiser.

Histoire un : le braquage foireux
Raphaël, un cambrioleur de haut vol vient de sortir de prison. Il a déjà écopé de quatorze années d’enfermement pour vol, ce qui ne l’empêche pas de monter un nouveau coup avec son frère Will, le benjamin de la famille, et deux autres larrons. Le cadet, Anthony, ancien dealer, est tombé sur les trottoirs de Marseille : deux balles dans la peau. Alors que ce coup devait être le dernier et la promesse d’une retraite dorée, tout foire. Bilan : deux morts, un blessé grave et une débandade en voiture sur les routes de France pour fuir Paris au plus vite. 
 
 Histoire deux : une étrange vétérinaire
Sandra, vétérinaire de son état, mène une vie qui semble bien rangée, dans un coin perdu de la France profonde. Mariée à un gendarme, elle exerce son métier en milieu rural et vit dans une maison isolée où elle élève des chevaux. Sous des dehors très normés, elle paraît cacher un passé qui ne demande qu’à ressurgir… 
Je vais bien me garder de vous en dire plus sur ce polar qui n’a pas fini de vous causer des frissons si toutefois vous vous décidez à l’ouvrir. Comme je l’ai déjà dit, je ne l’ai pas lâché avant la fin. Suspense, malaise, ambiance tordue, tous les éléments du thriller - version corsée - sont ici habillement dosés. C’est le quatrième polar de Karine Giebel  que je lis et je crois que je vais être obligée de lire les autres. J’avais commencé avec Chiens de sang, j’ai continué avec Juste une ombre – totalement diabolique – acheté au festival du Chien jaune à Concarneau, puis on m’a prêté Jusqu’à ce que la mort nous unisse. Je vais toutefois attendre un peu car c’est vraiment du noir, très très noir, et une pause s’impose entre deux volumes… Je n'ai d'ailleurs pas ouvert un polar depuis cette lecture.
Seul bémol pour moi, l’abondance de phrases non verbales. Cela rend l’ensemble efficace, le rythme rapide à souhait, mais on regrette parfois de n’avoir pas une écriture plus fluide et moins syncopée. 


Extrait
Après, ce sera le bureau d’un juge, les nuits au dépôt.
Et la maison d’arrêt. Son quartier d’isolement.
Suite du calvaire.
C’est le jeu.
Drôle de jeu.
Le procès, le troisième déjà.
La peine, toujours plus lourde.
D’un point de vue pénal, mieux vaut violer une femme que le coffre d’une banque. Prendre les armes pour prendre l’argent là où il se trouve, voilà un crime impardonnable aux yeux de la justice… Vraiment aveugle, aucun doute.