Nous sommes sans doute nombreux(ses), parmi les blogueurs(ses), à posséder des carnets avec des listes de livres, des cahiers de lecture, des lettres précieuses, voire des journaux intimes, sans parler de textes commencés, peut-être même pour certain(e)s, des manuscrits. Que ressentiriez-vous si l'ensemble de vos écrits disparaissait du jour au lendemain, avec toutes vos photographies ?
C'est ce qui est arrivé à l'écrivaine Belinda Cannone. Elle tenait, précieusement enfermés dans deux malles, l'ensemble de ses photos, cahiers d'écriture... jusqu'au jour où sa "maison des champs", en Normandie, près de la Hague, a été cambriolée. Les voleurs n'ont pas fait de dégâts dans la maison, non. Ils ont juste emporté le matériel électronique ainsi que toute la mémoire écrite de la romancière :
"TOUT : dans l'une (des malles) mes journaux depuis que j'ai dix ans, dans l'autre, mes photos et quarante année de correspondance (lettres de mon père, de ma grand-mère, de mes amoureux, de je ne sais plus qui, ça me reviendra au fur et à mesure, peut-être, peut-être)."
Belinda Cannone |
A partir de cette perte, de cet envol de la mémoire, elle a tissé du texte. Comme on reprise un accroc afin d'éviter la béance, elle a reprisé la douleur liée à ce vol au fil des mots. Ainsi, le vendredi 11 mars 2011 commence son "journal extime". Car il ne s'agit pas de raconter sa vie dans un journal intime mais de suivre, au jour le jour, les suites de ce drame personnel. Au fil des jours, ce journal se transforme en réflexion sur le temps et la mémoire : "Comprendre en quoi nous sommes faits de la chair du temps, c'est-à-dire de mémoire." De ce dépouillement de la mémoire, Belinda Cannone a fait un matériau littéraire souple qu'elle va sculpter, transformer au gré de son état psychique.
J'ai trouvé cette lecture passionnante à plus d'un titre. Tout d'abord, du point de vue de l'analyse psychologique puisque l'écrivaine nous fait partager ses réactions face à un processus de deuil. Son approche liée à la pratique de la psychanalyse lui permet de garder une forme de distanciation dans l'écriture qui évite de sombrer dans des processus morbides qui viendraient envahir le texte. Ensuite, la forme du journal et l'attente liée à cette perte fait que le lecteur, comme l'écrivaine, est entièrement tendu vers le dénouement possible : le retour attendu des deux malles... Enfin, l'écrivaine a bien ici créé un produit littéraire à partir de cette perte, tissé du texte autour de l'absence, nous permettant d'assister à un processus de re-création.
A lire absolument, entre L'atelier noir d'Annie Ernaux et L'écriture du désir, de la même Belinda Cannone.
A lire absolument, entre L'atelier noir d'Annie Ernaux et L'écriture du désir, de la même Belinda Cannone.