Je commence enfin à rédiger un billet qui attend depuis longtemps, trop longtemps, car je l'ai lu durant l'été, ce très beau livre de Valence Rouzaud. Mais il fait partie de ces ouvrages dont, finalement, on a du mal à parler car la lecture fut un moment trop personnel. L'auteur ici nous parle de littérature... et il est plus difficile de parler "littérature" que de parler de livres passe-partout qu'on lit aussi vite qu'on les oublie. Vous l'avez compris, cet ouvrage n'entre pas dans cette dernière catégorie.
En voici l'ouverture : "Tourné vers demain, le poète s'il ne veut pas se perdre préfère encore la canne blanche au Bottin mondain." Le ton est donné. Après une préface de Louis Delorme, cinquante-huit lettres viennent nous rappeler que le mot poésie peut encore avoir un sens. Loin des salons, Valence Rouzaud aiguise son regard et sa plume qu'il a plongée dans son "usine à rêves au fond des bois".
Il surplombe ce recueil, le rêve, avec ses images folles et ses soubresauts fantasques : "De mon imaginaire j'ai fait mon bureau, où à coup sûr s'écrivent mes rêves." Et avec les rêves, l'enfance, période où les compromis avec le réel ne sont pas encore fatals : "Je préfère m'évader en retrouvant l'enfance, cette mécanique à part, alliage d'une réalité de poche et d'un merveilleux nuage."
Les compromis avec les cercles littéraires, il n'en veut pas Valence, car il a bien compris que la poésie est ailleurs. Asphodèle, dans le beau billet qu'elle a rédigé à propos de ce livre, le compare à Léo Ferré. J'ai également pensé à lui en lisant ce recueil. Mais il me semble que la démarche est ici plus radicale, peut-être plus franche... et plus risquée...
J'ai souvent été émue en lisant ces lettres, comme on peut l'être à l'adolescence, en découvrant un auteur qui trouve les mots pour exprimer ce que l'on ressent sans trop le savoir. Nous savons pourtant très bien ce qu'exprime Valence, nous ne le savons même que trop bien. Et lorsque nous lisons un ouvrage comme celui-ci, on se souvient. On se souvient soudain quel pouvoir peut avoir la lecture d'un "classique". On se souvient de la claque ressentie à la lecture de tel ouvrage du XIXe qui nous hante encore au plus profond de nos nuits, à coups d'ailes d'albatros. On se souvient que la lecture peut être aussi grisante que la conduite "sans ceinture", à fond la caisse. On se souvient du poids des compromis, et l'on se prend à rêver aussi.
Il existe, dans les programmes de littérature du secondaire, une catégorie "littérature engagée" qui me laisse souvent dubitative. L'engagement supporte peu les étiquettes, encore moins les manuels scolaires... voilà pourtant un ouvrage qui pourrait y trouver une place bien méritée ! Je lirai, cette année, l'une de ces lettres en classe. Cette magnifique lettre où l'auteur, s'adressant à son fils, lui rappelle "qu'oser une écriture de haut vol brassant la réalité physique jusqu'au champ de l'invisible, la chose n'est pas aisée - qui connaît le travail sur les mots a connu la chaise du marin, lorsqu'on est armé que d'un CAP de chaudronnier."
PS : merci aux éditions Thierry Sajat pour l'envoi de ce livre et merci à l'auteur pour sa dédicace.