mardi 21 juin 2016

Auprès de l'assassin de Louis Sanders

Après une période woolfienne, voilà une participation au mois anglais plus noire... Fini les jardins et le thé dans une ambiance cosy ! Avec ce premier roman, nous partons en Dordogne avec un couple d'anglais venu s'installer dans la région connue pour ses charmes touristiques.
Mark et Jenny ont en effet décidé de migrer en France. Ils ont acheté une vieille bâtisse "à rafraîchir" afin d'ouvrir des chambres d'hôtes. Leur fils Jimmy les accompagne. Alors qu'ils sont enthousiastes et prêts pour toutes les rencontres amicales, ils vont se retrouver face à des locaux plus ou moins hostiles. La bâtisse à rénover s'avère en piteux état et dans les bois alentours, mouches et animaux crevés ne créent pas vraiment une gentille ambiance. De plus, les voisins sont des taiseux qui semblent prendre un malin plaisir à faire fonctionner leurs machines agricoles à des heures indues. 
Vous vous en doutez, le roman va nous conter la déconfiture du couple qui, pensant fuir la vie urbaine anglaise, se retrouve dans une sorte de guerre des tranchées à la sauce périgourdine. J'ai souvent pensé, pendant la lecture, au roman de Fabienne Juhel La Nuit du renard qui conte parfaitement le choc des cultures qui peut parfois naître entre urbains et ruraux.
Voilà un polar qui nous propose bien mieux que les éternels meurtres en série. C'est surtout un roman noir, qui propose une véritable ambiance. Il se dévore sans retenue et j'ai déjà envie de lire d'autres ouvrages de cet auteur. Le rapport avec le mois anglais est double : tout d'abord, Louis Sanders a fait ses études en Angleterre. Il vit aujourd'hui en Dordogne mais son expérience d'expatrié nourrit ses romans. Ensuite, l'Angleterre, par son absence, est finalement omniprésente dans le roman (mais je ne peux vous en dire plus au risque de dévoiler une partie de l'intrigue). Enfin, un bon roman noir qui m'a laissé un souvenir persistant.

Extrait (prologue)
"Elle était allongée au bord de la rivière, dans ses vêtements trempés.
Ils s'étaient rués à l'extérieur et cherchaient d'où venaient les cris. Martin apparut au coin de la grange. Il gueulait : "Regardez, regardez, elle s'est noyée dans la rivière !"
Et c'est seulement à ce moment-là qu'ils la virent. Elle gisait, inerte.
C'était en octobre. Il faisait beau, un peu frais. Le mur de la grange reflétait le soleil. La lumière prit une autre qualité, comme dans un mauvais rêve. Il n'osait plus s'avancer vers le corps. Avec la mort, cette femme leur devenait étrangère."

mercredi 15 juin 2016

Les mercredis woolifiens (2) - Virginia Woolf par Dominique Brard

      
Les médiathèques sont des lieux merveilleux. Alors que j'errais comme une âme en peine à la recherche de lectures pour le mois anglais, le rayon Virginia Woolf m'a proposé ce DVD distribué par Les Films d'ici : Virginia Woolf 1881-1942, un film de 48 mn réalisé par Dominique Brard. Il a été diffusé le 15 janvier 2000 dans le cadre de l'émission Un siècle d'écrivains (n° 216).
Tout en découvrant de nombreuses images d'archives, nous partons à la découverte de la vie de la romancière. Les allers-retours chronologiques sont nombreux et c'est avec beaucoup de pudeur que le voile se lève sur certains épisodes douloureux de la vie de Virginia, de ceux qu'elle appelait les moments de "non-être". Le film s'ouvre sur une lecture d'extraits de Mrs Dalloway, premier roman d'une œuvre à venir. C'est au travers d'une lecture de ce roman que la réalisatrice essaie de cerner la personnalité de l'écrivaine. De nombreuses photos de famille illustrent le propos. La nièce de la romancière, Angelica Garnett, les commente tout en convoquant ses propres souvenirs. Le passage où elle évoque le demi-frère incestueux est particulièrement émouvant (et tout aussi glaçant...).

Le travail de composition du film s'avère particulièrement évocateur. Les images d'archives se mélangent à de réelles prises de vues qui composent parfois de très belles métaphores visuelles. Ainsi, les souvenirs colorés de Virginia Woolf, lus, sont associés à des papillons qui vont laisser place à une eau d'un gris métallisé couplée au bruit des vagues qui s'échouent sur la plage. Ainsi, l'association libre du courant de conscience de la romancière semble prendre forme pour quelques instants.


Mais l'ensemble du film se tisse autour de la folie qui rôde autour du thème de l'émancipation impossible, et pourtant recherchée dès l'enfance. L'engagement de Virginia Woolf dans la lutte pour la libération des femmes est mis en valeur, comme les relations qu'elle saura nouer avec Sigmund Freud qu'elle sera la première à publier en Angleterre. On entend avec émotion la voix de Virginia Woolf à la fin du film, voix enregistrée durant une conférence à la BBC, en avril 1937. 
Une belle façon de partir sur les traces de la romancière et un très beau film documentaire proposé aujourd'hui à la diffusion dans les bibliothèques publiques... ou quand l'art se couple avec la volonté d'instruire... 


jeudi 9 juin 2016

Le jardin de Virginia Woolf de Caroline Zoob


Vous aimez Virginia Woolf ? Vous aimez les jardins, et particulièrement les jardins anglais ? Vous aimez les fleurs et les bouquets ? Alors ce livre est triplement pour vous ! Mais attention, si vous ne disposez pas d’un carré de verdure pour assouvir vos besoins jardiniers, vous risquez fortement de vous retrouver avec une furieuse envie de campagne…
L’ouvrage est préfacé par Cecil Woolf, fils de l’un des frères aînés de Leonard. Le neveu du couple Woolf séjourna à Monk’s House chez son oncle et sa tante. En sept chapitres, ce livre déroule l’évolution du jardin depuis 1919, le tout magnifiquement illustré par des photos de Caroline Arber qui séjourna dans la maison alors qu’elle était occupée par la rédactrice de cet ouvrage, Caroline Zoob. Enfin… si vous voulez bien me suivre, je vous invite à entrer dans la demeure qui fut celle de Virginia et Leonard. 
« Je ne vous en dis pas plus, il vous faudra venir , vous asseoir sur l’herbe avec moi, ou vous promener sous les pommiers, ou grappiller des fruits – cerises, prunes, poires, figues, et des masses de légumes. C’est notre nouvel enfant chéri, je vous préviens. » (Lettre de Virginia Woolf, Volume II, 1912-1922)
 Située dans le Sussex, au nord du village de Rodmell, la maison date du XVIIIe, siècle qui la vit héberger des menuisiers et des meuniers. Le 1er juillet 1919, elle fut vendue à Leonard Sidney Woolf et devint rapidement le lieu de séjour campagnard du couple. Le jardin, protégé par des murets de silex, abritera pendant vingt-deux ans le travail d’écriture de Virginia. Lieu de calme et de repos, il aidera également la romancière à se remettre de ses périodes de dépression, tout en lui offrant l’inspiration. Après le suicide de Virginia, son mari occupera la maison jusqu'à sa mort, en 1969. 
La découverte de la maison se fit en 1919. Le couple était marié depuis sept ans, alors que Virginia connaissait des débuts prometteurs, tout en se remettant d’une période difficile en terme de santé mentale. Elle doit son nom, Monks’House, au singe domestique de Leonard, un marmouset nommé Mitzi (enfin, le livre parle d’une origine « mystérieuse », alors que je prends la liberté d’envisager un nom dérivé tout simplement de « monkey »). Les animaux étaient d’ailleurs nombreux sur les lieux : des chiens, des chats et des poissons rouges dans le bassin. Pinka, un cocker sable offert par Vita Sackville-West, servira de modèle à Flush, mais il y aura aussi Coco et Bess. Les bêtes donnent lieu à une série d’anecdotes rigolotes comme la celle de la crise de jalousie du singe alors que son maître embrassait Virigina au pied d’un arbre dans lequel le Mitzi était monté.  


Leonard devint très vite un excellent jardinier et finira d’ailleurs par adhérer à la société d’horticulture du coin. D’un confort spartiate à l’achat, la maison – et le jardin – seront régulièrement améliorés grâce aux rentrées d’argent liées à l’activité littéraire de Virginia. Le couple se répartit les frais. Ainsi, « Virginia payait plutôt les meubles, tapis et tableaux (…), et Leonard réglait les voitures et les frais du jardin » pendant que Virginia déplore que leur « argent sert à l’arroser »… La vente de La Promenade au phare, le cinquième roman de V. Woolf, paiera ainsi le champ de Pound Croft qui devait agrandir le jardin et permettre une plus grande intimité. Les 3000 mètres carrés de terrain seront ainsi complétés. Le côté rustique de la maison n’empêcha pas les amis de venir nombreux et le livre offre de nombreuses photographies où l’on  peut les voir. Mais ce que l’on découvre surtout dans ce livre, en dehors des très nombreuses anecdotes sur la romancière qui ne pourront qu’intéresser tous les aficionado(a)s, c’est un magnifique jardin. 
On se prend à rêvasser sur les doubles pages pleines de dahlias colorés, on s’arrête sur les bouquets composés pour les visiteurs de la maison, tout en pensant à Mrs Dalloway sortie acheter des fleurs. On admire l’inventivité à l’œuvre dans la création des nombreux espaces qui organisent le jardin. Et l’on s’offre surtout un moment de lecture des plus agréable.
Un grand merci à Dominique pour cette très belle découverte. Son billet est ICI.
Cette lecture s'inscrit bien sûr dans le mois anglais de Lou et Crissylda et dans la lecture commune du jour qui tournait autour de la "campagne anglaise".  


Logo ancien mais adapté au sujet du jour...

mardi 7 juin 2016

La Scène londonienne de Virginia Woolf


     Alors que je cherchais désespérément un ouvrage se déroulant à Londres pour le mois anglais de Lou et Cryssilda, mais aussi un livre que j'avais envie de lire... Virginia Woolf s'est imposée tout naturellement. Ce petit recueil de 80 pages se compose de six textes qui proposent une découverte de la capitale anglaise tout autant qu'une découverte des populations qui la compos(ai)ent. Des docks de Londres à la Chambre des Communes, l'écrivaine nous emmène visiter sa ville tout en posant un regard aiguisé sur les différences qui marquent les classes sociales. Sociologue avant l'heure, Virginia analyse avec beaucoup de lucidité la manière dont les lieux s'associent avec une population qui l'incarne, et inversement.
   Les cinq premiers textes sont issus d'une commande du magasine Good Housekeeping. Les articles furent publiés dans les numéros de décembre 1931, janvier, mars, mai et octobre 1932 du magasine avant d'être édités aux États-Unis en 1975, en Angleterre en 1982, puis traduits en français pour l'édition présente en 1983. 
   L'ouvrage étant parfait pour partir à la découverte de la ville, je vous propose donc d'illustrer chaque chapitre par une photographie et une citation. Mon avis se limitera au relevé d'un aspect particulièrement frappant développé dans le texte.

1. Les Docks de Londres

Un trois-mâts scandinave dans le dock "West India", 1830
    "En remontant à la vapeur vers Londres nous rencontrons ses ordures qui descendent le fleuve. Des péniches chargées de vieux seaux, de lames de rasoir, d'arêtes, de journaux et des cendres - tout ce que nous laissons dans nos assiettes et jetons dans nos boîtes à ordures - déchargent leurs cargaisons sur le sol le plus déshérité du monde."
Aujourd'hui, la rénovation ayant frappé, les docks ne ressemblent plus du tout à ce qu'ils étaient... En 1981, Mme Tatcher a lancé l'opération "Docklands" et les centres d'affaires ont remplacé les anciens équipements industriels. Vous pouvez vous en faire une idée ICI

2. La marée d'Oxford Street

Oxford Street en 1930
Le début de ce texte particulièrement savoureux file la métaphore de "l'affinage" qui se déroule entre les docks et le quartier commerçant d'Oxford Street. Après la crudité des matériaux qui débarquent bruts des navires de transport, l'affinage donc. Les dockers cèdent le pas aux "habits noirs". Ici, tout "rutile et scintille". Mais les snobs et les moralistes montrent du doigt le quartier encore trop populeux à leur goût, quartier où l'on trouve de tout... et même des tortues :
"A un autre on trouve des tortues sur une litière d'herbe. Les plus lentes et les plus contemplatives des créatures accomplissent leurs tranquilles évolutions sur un pied ou deux de trottoir, jalousement préservées des pieds des passants."

3. Maisons de grands hommes

La description de la maison de Keates par Virginia Woolf semble bien éloignée de ce que l'on découvre aujourd'hui :

Maison de Keates à Hampstead
"A part les deux chaises la pièce est vide, car Keats ne possédait pas grand chose, quelques meubles et, disait-il, pas plus de cent cinquante livres."

4. Abbayes et cathédrales

St Paul en 1930
"C'est un lieu commun, mais nous ne pouvons que le répéter : Saint-Paul domine Londres. De loin son dôme s'enfle comme une grosse boule grise qui se fait énorme et menaçante, écrasante, à mesure que nous approchons, pour disparaître d'un coup."

5. Voici la Chambre des Communes

Virginia Woolf, dans ce texte, manie avec brio une ironie bon teint. Elle se demande ainsi ce qu'il faut faire pour avoir le droit de se transformer un jour en l'une de ces statues qui regardent passer de leurs yeux vides les processions démocratiques. Les jacasseries des oiseaux du jardin doublent celles des vénérables messieurs des Communes. Dans ce lieu où l'on change le destin du monde, on porte "les hauts-de-forme les mieux lustrés qu'on puisse voir en Angleterre", on est "sévère comme le marbre" et l'on respecte un code de conduite imperturbable.

6. Portrait d'une londonienne

Tasse "vintage" années 30
Ce dernier texte est une publication inédite en recueil. Il parut en décembre 1932 dans Good Housekeeping mais ne figurait pas dans les éditions américaine et anglaise. Il propose le portrait de Mme Crowe, Londonienne qui réside dans l'une de ces maisons privées qui incarnent la ville.
"C'était dans son salon que les innombrables fragments de la vaste métropole semblaient se rassembler en un ensemble vivant, compréhensible, amusant et agréable."
 
 Vous l'avez compris à la lecture de ce billet sans doute, mon voyage en Angleterre se fera essentiellement en compagnie de Virginia Woolf...

2e participation au mois anglais

mercredi 1 juin 2016

Les mercredis woolfiens (1) - Mrs Dalloway de Virginia Woolf


Alors que s'ouvre le mois anglais, et après avoir longuement hésité concernant le livre digne d'ouvrir le mois de juin, rien ne m'a paru plus adapté aux circonstances que ce roman de Virginia Woolf. En effet, Mrs Dalloway déroule la journée d'une femme et s'ouvre par une fraîche matinée du mois de juin. Il condense, au milieu de ce mois printanier tout ce que la romancière, comme sa narratrice, aimait : "la vie, Londres, ce moment de juin".
La guerre enfin terminée a laissé la place aux mondanités et Mrs Dalloway sort de chez elle afin d'acheter un bouquet de fleurs. Elle reçoit le soir et souhaite décorer sa maison. Une fois à l'extérieur, elle plonge dans l'ambiance londonienne qui va induire chez elle sensations et souvenirs qui vont rythmer le déroulement de se journée et agiter une vie intérieure qui semble se mouvoir de manière autonome. Au centre de cette journée, les cloches de Big Ben. "Ah ! Il commence. D'abord, un avertissement musical, puis l'heure, irrévocable. Les cercles de plomb se dissolvent dans l'air."
Big Ben. Source ICI
Entre chaque sonnerie, le "flux et le reflux des choses". Et entre le cercle des sons, des personnages qui viennent tournoyer dans le monde de Clarissa. Dans ces personnages, il y a Peter Walsh, l'homme de onze heures et demi, l'amoureux éconduit qui habite maintenant aux Indes et qui aime une femme plus jeune. Il y a Septimus, le fou, l'homme de onze heures et trois quarts. Assis sur une chaise verte, dans un parc, il se souvient, entend les oiseaux parler en grec et voit des visages de vieilles femmes dans les fougères. On songe bien sûr aux épisodes délirants de Virginia Woolf en lisant les passages qui concernent ce personnage très émouvant qui, devant une rivière dit à sa femme "Maintenant, allons nous tuer"...

Septimus incarné par Rupert Graves
Il y a l'homme de quinze heures, Richard, le mari de Clarissa, et tout les autres, présences pensantes qui se meuvent dans l'espace narratif comme des fantômes pensants. Car tout l'intérêt réside bien dans l'expression du monde intérieur des personnages, dans la manière dont les rencontres font surgir des souvenirs, des rêveries ou des mécanismes de pensée parfois dangereusement peu contrôlés. 
C'est un roman qui peut sans doute déstabiliser, mais c'est aussi l'un de ces romans dans lequel on peut plonger avec une véritable délectation. Ce fut le cas pour moi alors que je lisais ce livre pour la deuxième fois, l'appréciant encore plus que lors de la lecture initiale. Belle méditation sur le temps, l'ouvrage renvoie parfois à Proust, mais j'ai apprécié une écriture beaucoup plus "lisible" et surtout, une écriture qui m'a paru plus incarnée. Pour tou(te)s ceux(celles) qui souhaitent découvrir la romancière anglaise, je ne peux que vous inviter à commencer par ce roman beaucoup plus accessible que Les Vagues.