Colette a beaucoup écrit pour les journaux et revues. Sa collaboration à Marie-Claire (magazine né en 1937, et dont le nom fait référence au roman de Marguerite Audoux) a même donné lieu à un numéro spécial. Ainsi, le 100e du 27 janvier 1939 fut en grande partie conçu et rédigé par l'écrivaine. La plupart des textes de ce livre sont tirés des 27 articles donnés à ce magazine.
Le premier donne son titre au recueil, il s'agit de J'aime être gourmande, publié le 27 janvier 1939.
"On naît gourmet. Le vrai gourmet est celui qui se délecte d'une tartine de beurre comme d'un homard grillé, si le beurre est fin et le pain bien pétri. Il y a beau temps que je n'ai plus chez moi de cuisinière experte... Mais je n'ai renoncé à rien de ce qui contente le palais, partant, le cerveau. En fait de "plats préférés", je préfère... tout ce qui est bon, tout ce qui fait, de l'heure des repas, une petite fête des papilles et de l'esprit."
Mais ces textes ne traitent pas seulement de la gourmandise liée aux aliments, ils évoquent aussi des souvenirs anciens, de la dernière chatte à Bette Davis... Parmi tous ces textes disparates, j'ai été très intéressée par Le silence des enfants (du 31 mars 1939), où Colette décrit deux phénomènes surprenants vus lors de la visite à la pouponnière du Camouflage du Dr Clotilde Mulon.
Dans certains d'entre eux, on retrouve bien sûr l'écriture poétique et sensuelle de l'écrivaine, comme dans le très beau texte L'année est un ruban. A savourer, donc, comme on déguste de jolis bonbons, chacun d'eux ayant un goût différent.
"En tant d'années je n'ai jamais renoncé à ce que la dernière heure de l'année suspendît dans l'air, en signe de prodige et de "temps arrêté", une fleur de givre dont notre seule imagination enfantine fixa, autrefois, le dessin simple et précis. Elle est pareille pour la corolle à une rosacée, soeur de l'églantier et de la fleur de pommier. Comme une sirène sur sa queue, elle se tient debout sur sa tige qui se retourne avec grâce, une seule grosse feuille latérale fait songer, large et charnue, à la langue du chien haletant, et toute la plante brille d'un feu non point fixe mais palpitant, blanc et émietté. Je ne compte pas sur des mots pauvres pour vous la rendre visible, aussi bien elle s'éteint avec la première minute de l'année nouvelle."