mercredi 25 septembre 2013

Lectures de vacances # 4 - L’écume des jours de Boris Vian


L’avantage des vacances, c’est que cela permet de se lancer enfin dans des lectures que l’on envisageait depuis des lustres sans vraiment trop y croire… Lire enfin L’écume des jours était dans mes projets : voilà qui est fait, bien fait, et voilà qui devra être fait encore car j’ai adoré le côté fantasque de ce roman.
Voilà une histoire complètement foutraque : Chloé et Colin s’aiment d’amour. Ils ont horreur de travailler et préfèrent boire le breuvage d’un pianocktail qui a tout pour pimenter les soirées (garanti mieux que la TV). Malheureusement, alors qu’ils viennent de se marier, Chloé est atteinte par un mal étrange : un nénuphar lui pousse à la place du cœur et va bientôt l’étouffer.
Sur le canevas de ce drame étrange, Boris Vian brode une variation jazzy et déjantée. Il joue avec les mots en inventant des mots-valises ou en jouant sur le sens propre et le sens figuré. Ainsi, lors d’une rencontre entre les deux tourtereaux, ‘être sur son petit nuage’ s’incarne dans un nuage qui, véritablement, va les promener dans la ville.
J’ai aimé ce jeu permanent qui rappelle furieusement les inventions loufoques des surréalistes. Cela se termine mal parce que les belles histoires trop originales peuvent rarement durer longtemps tout en gardant leur primitive fraîcheur. C’est pour cela que ce roman garde sa force, par refus des concessions. L’image de l’île-cimetière finale reste dans ma mémoire, avec sa planche branlante et son eau saumâtre. Qu’en a fait le film sorti cette année ? Je préfère ne pas le savoir…
Je connaissais Vian par le biais de sa poésie et de son théâtre, ainsi que ses écrits signés Veron Sullivan. Je vais m’empresser de découvrir le romancier qui mérite aussi le détour !

« A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Seltz il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde la quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action de façon que la dose ne soit pas augmentée, ce qui donnerait un cocktail trop abondant, mais la teneur en alcool. (…)
Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible."

samedi 21 septembre 2013

Rentrée littéraire 2013 # 3 - Le don du passeur de Belinda Cannone


Vous vous souvenez peut-être de mon enthousiasme pour le journal "extime" publié par Belinda Cannone l'an dernier, La Chair du temps. Elle y suivait au jour le jour les effets produits sur elle par un drame personnel : le vol de deux malles dans lesquelles elle conservait tous ses écrits, lettres et photographies. Depuis cette lecture, j'ai découvert quelques romans de cette universitaire professeur de lettres à Caen, ainsi que ses essais (billet sur L'écriture du désir ICI). J'attendais bien sûr avec impatience son prochain ouvrage, tout en me demandant s'il serait encore marqué par le fameux vol. Ravie de découvrir, dans l'avalanche des 550 ouvrages de la rentrée, un nouveau récit de l'écrivaine, je n'ai pas été totalement surprise en découvrant un récit autobiographique, bel hommage à son père aujourd'hui disparu.

Le désir de ce livre est né en 2009, trois ans après la mort du père. Un petit essai Le Baiser peut-être, est venu retarder le moment de l'écriture avant que l'événement déjà évoqué ci-dessus, survenu le 7 mars 2011, vienne interrompre la rédaction du livre. Après avoir rédigé La Chair du temps, 15 mois se sont écoulés avant que Belinda Cannone reprenne l'idée de ce livre. Énième hommage vibrant au père me direz-vous... mais un peu plus pour moi, pour deux raisons.

Un père original qui tenait des carnets

"Incorrigible bavard", le père de Belinda Cannone déversait un tel flot de paroles quotidien qu'elle eut, enfant, des hallucinations hypnagogiques liées à ce déferlement verbal. C'était également un homme assez étrange qu'elle compare à L'Idiot de Dostoïevski. Quitté rapidement par sa femme (cette rupture sera le drame de sa vie), il aura peu d'amis. Son métier ne l'intéressait pas, pas plus que le fait de gagner de l'argent. Affublé d'une compassion extrême, il était prêt à tout pour éviter de blesser quelqu'un. L'ensemble de ses traits de caractère font dire à sa fille aînée qu'il eut une vie ratée mais qu'il était original (elle s'interroge même sur une éventuelle "folie"). Mais, surtout, il lui a transmis, comme un "passeur", le goût de penser par elle-même. Il faut avouer que c'est déjà un magnifique cadeau éducatif...

Assister à la composition d'un récit autobiographique

Si je n'ai pas particulièrement goûté le personnage du père ici décrit, j'ai aimé la démarche de l'écrivaine qui, comme dans son "journal extime", analyse le cheminement autobiographique tout en rédigeant son texte. Plus qu'un simple hommage au père, on assiste donc ici à la construction du récit qui semble se faire sous nos yeux : "Je crois que je vais souvent écrire "peut-être", et aussi mêler le Je et le Nous (les quatre enfants). Dans une fratrie, aucun n'a exactement le même père, mais mes frères et ma sœur reconnaîtront le nôtre. Il sont heureux que j'écrive ce livre (...)". 
En treize chapitres, elle compose donc un portrait tout en essayant de reconstituer ce qui lui fut transmis, sans vraiment savoir si elle arrive à ses fins. C'est que j'ai aimé, je crois, cette manière d'avancer sur le fil, sans certitudes, loin de tout effet de posture. J'irai donc acheter également le petit essai qui vient de paraître chez Folio, Petit éloge du désir.


Extrait

"Mon père ne souhaitait pas que je devienne écrivain. Une fois, alors que je publiais (sans succès) depuis une douzaine d'années, il m'a demandé pourquoi je n'attendais pas la retraite pour écrire et ne me faisais pas plutôt femme d'affaires (j'étais universitaire)... Je me souviens que ma soeur, ou ma mère, je ne sais plus, avait bondi en entendant l'anecdote : c'était tellement lui, ça ! Tellement lui : il pouvait parfois dire n'importe quoi, ce qui lui traversait l'esprit, lancer des idées comme un enfant des gestes désordonnées. Il était pourtant fier de moi (...). "

Interview très éclairante de l'auteur ICI
Article publié dans La Vie



mercredi 11 septembre 2013

Lecture de vacances # 3 - Prélude à l’aventure de Henri Vincenot


   Qui n’a pas rêvé un jour de partir vivre à la campagne, loin de la ville, du bruit et de la foule ? Henri Vincenot ne l’a pas seulement rêvé, il l’a fait, et pas à moitié… il est parti s’installer au fond d’une combe bourguignonne, dans une ferme sans aucun confort où la vie s’annonçait spartiate.
La franche urbaine que je suis a tout de suite été intriguée par cette aventure peu commune. Tout d’abord, elle se déroule en Bourgogne, région que j’affectionne. Mais surtout, il ne s’agissait pas ici de partir dans un pavillon situé dans un improbable lotissement loin de la ville, non. Vincenot est parti avec femme et enfants dans un lieu vraiment loin de tout, où il n’y avait pas de chauffage (et lorsque l’on connaît l’hiver bourguignon, on frissonne….) et où tout était à faire, y compris aller chercher l’eau au puits.
Non seulement on suit avec fébrilité les épisodes de l’aventure en question, mais on se délecte d’une écriture parfois poétique, toujours en phase avec le milieu décrit, et emprunte d’une douce philosophie de vie. Ecoutez :
« La vie des villes, si variée et si mouvementée, prend très vite une allure de routine. Une rencontre, répétée chaque jour, suffit à me la faire prendre en grippe. Ici, au contraire, le même spectacle, la même butte de terre, le même arbre mort que l’on retrouve, immobiles à la même place chaque matin, se parent à chaque fois d’un charme différent. »

Tableau de Henri Vincenot
 J’ai été séduite non seulement par la démarche, franche et joyeuse de l’auteur, mais aussi par sa sensibilité à l’environnement, qui n’est pas seulement celle d’un écolo qui prône le retour à la nature tout en vivant entouré de tout le confort de vie moderne. Henri Vincenot ne moralise pas, il vit et il profite de cette nature qui l’entoure car je crois que, profondément, il l’aime. Il suffit de partir avec lui dans ces grands espaces qu’offre la terre bourguignonne, de suivre les traces des animaux ou d’écouter la neige tomber afin de saisir « la minute rare qui, comme une perle, gît dans la coquille chaque journée. »
Après avoir refermé ce livre, je n’ai qu’une envie, savoir ce qui est advenu de « La Pourrie », nom du domaine acheté et défriché par l’auteur et sa famille. Ses trois enfants ont-ils gardé la demeure ? Est-ce que quelqu’un a continué ce rêve à la fois doux et rugueux ?
Sa fille Claudine, elle, s’occupe de l’œuvre de son père. Elle a préfacé ce récit proposé avec de très beaux dessins de son père. 

Extrait :
« J’élèverai mes enfants comme je pourrai. C’est le plus sage des partis.
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La lecture.
A seize ans, ils liront tous les produits de la littérature moderne. Non pas que je les aie encouragés dans ce sens, mais parce que je sais que, pratiquement, quoi qu’il arrive, ils agiront ainsi.
Aussi bien, de quoi ont servi, pour moi, les interdictions ?
En quelques jours de pluie, dans le grenier, on se prépare mieux pour la vie que dans dix mois de l’année scolaire sur les bancs de l’école. (Je ne suis pas forcément d’accord. Car 1. Encore faut-il avoir un grenier et pas une cave de cité et 2. Tout le monde n’a pas des parents ayant des livres, même relégués dans un coin… Mais j’apprécie quand même la démarche. Vous avez le droit de me trouver contradictoire…)
Au grenier je reléguerai les livres et je ne les défendrai pas à mes enfants. Je les écarterai simplement, jusqu’à ce que le temps, le hasard et la curiosité les leur fasse découvrir. » 
Un très beau récit donc, à lire, à relire, à méditer, et à emporter dans mon sac lors de ma prochaine visite en terre bourguignonne !

jeudi 5 septembre 2013

Rentrée littéraire 2013 # 2 - Le rire du grand blessé de Cécile Coulon

   Imaginez un monde où les livres ne portent pas de titre. Sans 1ère ni 4e de couverture, ils se distinguent uniquement par le sentiment dominant qu’ils sont censés produire sur les lecteurs. Produits en série par les « Maisons de Mots », ils diffusent à des milliers d’exemplaires les mêmes émotions pré-formatées à ceux qui savent lire. Les analphabètes, eux, le plus souvent élevés dans des campagnes désolées et laissées à l’abandon, deviennent parfois « agent » pour surveiller d’étranges manifestations de lecture où se déchaîne l’hystérie collective. Ces séances de défoulements évitent tout autre débordement qui pourrait remettre en cause un pouvoir de toute évidence totalitaire. C’est dans cet univers que l’Agent 1075, suite à un accident du travail, va faire une découverte qui va changer sa vie.
Je ne dis rien de plus concernant l’intrigue de ce troisième roman de Cécile Coulon. Après une incursion aux Etats-Unis, elle change de registre littéraire et s'invite dans le genre de l'anticipation. J’ai pensé plusieurs fois à Farenheint 451 dans une version modernisée et plus retorse. En effet, ici, les livres ne sont pas interdits, pire, ils sont formatés (ce qui n’est pas sans évoquer certains « produits » qui se consomment aujourd’hui à grande échelle. Dois-je vous donner des titres ? Je pense entre autres à une trilogie qui a beaucoup fait parler d’elle l’an dernier…).  Je suis entrée assez vite dans cet univers inquiétant et j’ai dévoré le roman dans la journée… Un livre qu’on lit avec plaisir et qui, en plus, fait réfléchir, il ne faut pas s’en priver.
Cécile Coulon montre ici une nouvelle facette de son talent. Dans Le Roi n’a pas sommeil, j’avais aimé l’écriture travaillée et imagée. Ici, j’ai goûté avec plaisir son sens du récit, son amour de la littérature qui transparaît à chaque page d’un roman qui plaide pour la polyphonie littéraire. Un seul bémol : j’ai trouvé que la psychologie des deux personnages principaux était un peu sommaire mais là n’était pas l’objectif de l’ouvrage je pense.
Enfin, je vais continuer à suivre avec attention le devenir de cette jeune écrivaine qui est encore étudiante (en lettres modernes…) et en attendant son prochain livre, me reste à découvrir son premier roman que je n’ai pas encore lu. Si cela vous intéresse, vous pouvez aussi écouter son « Manifeste des enfants sauvages ».

 Extrait
 
"L’Écriveur s’orientait vers sa catégorie de prédilection : de nombreux candidats pour les Livres Frissons, très peu pour les Livres Fous Rires. Les Livres Haine ameutaient ne palanquée de types capables de vomir sur commande un mépris abject, tandis que les Livres Tendresse étaient quasiment orphelins. Chaque exemplaire arborait sur sa couverture la catégorie émotionnelle à laquelle il appartenait, suivie d’un numéro correspondant à la date d’impression. Nul résumé, pas de biographie, ni de préface, encore moins de photo. Un texte seul. Les Maisons de Mots ne perdaient pas de temps à inventer des phrases alléchantes : la mention de la sensation convoitée suffisait à assurer des ventes astronomiques. (Alors ? toujours pas envie de le lire ?…)"


lundi 2 septembre 2013

Lectures de vacances # 2 - Les leçons du Mal de Thomas H. Cook


   Vous vous souvenez peut-être d’un billet rédigé il y peu où j’évoquais un véritable coup de cœur pour un roman de Thomas H. Cook, Au lieu-dit Noir Etang. Après avoir refermé ce livre, je m’étais promis de lire d’autres ouvrages de cet auteur. J’ai donc continué mon exploration de l’œuvre de cet écrivain (qui dépasse de loin la simple étiquette toujours réductrice « d’auteur de polars… ») avec Les leçons du Mal emprunté à la bibliothèque.
Nous voilà en plein cœur du Mississipi, en 1954, dans un pays encore très marqué par son histoire liée à la guerre de Sécession vieille de seulement un siècle. Le cœur du Vieux Sud bat encore ici et les milieux sociaux portent encore les stigmates de l’ancienne ségrégation. Jack Branch, jeune professeur, illustre bien ce passé qui fut glorieux : fils d’une illustre famille, il porte le lustre de la grandeur passée qui s’incarne dans le domaine encore habité par son père, Great Oaks. Pétri d’idéaux de grandeur et de rédemption, il s’investit avec enthousiasme dans son métier d’enseignant au lycée de Lakeland.
Il décide un jour de lancer un travail sur le Mal qu’il illustre pour ses élèves à partir d’exemples pris dans l’Histoire, de l’Antiquité à aujourd’hui (exemples qui ne manquent pas, du radeau de la Méduse au « cheval espagnol » de l’Inquisition). Il lance alors ses élèves sur un travail individuel de recherche et va inviter un jeune garçon jusque là plutôt effacé à creuser l’histoire de son père baptisé le « Tueur de l’étudiante » suite à un meurtre perpétré alors que son fils était âgé de cinq ans.
Sans le savoir, il a déclenché une série d’événements qui ne prendront pas vraiment la tournure prévue au départ… On retrouve donc dans ce roman tout ce qui faisait le charme romanesque du Lieu-dit Noir Etang, à savoir les conséquences inattendues des idéaux maniés avec une ferveur inconsidérée. Le passé, ici aussi, pèse un poids qui ne cesse de malmener des hommes en proie à la culpabilité. Le lien à la terre, d’une force peu commune, enracine les hommes en les empêchant d’imaginer un devenir ailleurs. Une fois encore, je suis tombée complètement sous le charme d’une écriture ciselée et d’une construction narrative complexe, ici aussi basée sur les allers-retours entre passé et présent : de la belle ouvrage bien difficile à réduire à un « genre » romanesque !

 
Extrait :
« Tous enseignaient la littérature au lycée flambant neuf et dernier cri de Lakeland, mais leur discussion ne portait absolument pas sur les livres, ni les idées ni aucune réflexion philosophique. En les écoutant, je compris qu’ils pratiquaient un enseignement commun afin d’avoir moins de travail, et que, d’une année sur l’autre, ils donnaient à lire les mêmes livres parce que eux-mêmes les avaient déjà lus. Le pire, ainsi que le démontrait sans conteste leur conversation, était qu’ils organisaient la projection d’adaptations cinématographiques de ces œuvres, puis faisaient une interrogation écrite constituée de questions auxquelles leurs élèves pouvaient répondre en ayant seulement vu le film. L’un d’eux sortit le devoir d’un de ses élèves et, franchement hilare, en lut la première phrase : « Gatsby le Magnifique raconte comment Robert Redford, qui en pince pour Mia Farrow, paye les conséquences à sa place quand elle écrase l’autre actrice que je connais pas. » J’imaginais difficilement mon père en pareille compagnie, ou membre d’une profession tombée si bas. »