jeudi 31 mars 2011

Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard

   Etrange impression à la fermeture de ce livre… L’impression de sortir d’un songe rempli d’images orientales. Car ce roman, finalement, n’est-il pas construit comme un rêve, mosaïque d’éléments épars qui compose un tout lumineux et précieux ?

   Dois-je évoquer l’intrigue ? Elle a déjà été longuement commentée sur la blogosphère… Michel Ange, déçu par le Pape Jules II, décide de répondre favorablement au sultan Bayazid qui le mande dans la belle Constantinople. Celui-ci veut lui faire réaliser les plans d’un pont qui permettrait de relier les deux rives de la Corne d’Or. Michel Ange part, mais sur place, l’inspiration ne vient pas, pas plus que les sommes promises par le sultan. L’inspiration défaillante, c’est dans les tavernes cosmopolites de la ville que l'artiste la trouvera, dans les songes d'un Orient qui toujours lui échappe.
   Lettres, rêves et chapitres narratifs s’entrecroisent ici comme les cultures dans l’ancienne Constantinople. Le temps, comme dans les songes, devient décousu. Seules les images orientales restent : celle d’une femme nue aux cinq bracelets qui teintent, celle des poignards ouvragés et recourbés… celles d’un beau mirage oriental. Dois-je vous préciser que j’ai été conquise ?

Michel Ange, détail
 « A voguer ainsi sur les eaux calmes du Bosphore, Michel-Ange se rappelle la traversée qui sépare Mestre de Venise, où il s’est rendu dans sa jeunesse ; il n’est pas étonnant qu’il y ait tant de Vénitiens ici, songe-t-il. Cette ville ressemble à la Sérénissime, mais dans des proportions fabuleuses, où tout serait multiplié par cent. Une Venise envahie par les sept collines et la puissance de Rome. »


mercredi 30 mars 2011

Plumes et tableaux (2) - Oeuvres d'art


"Combien faudra-t-il d'oeuvres d'art pour mettre la beauté dans le monde ?"
Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants
Tableau : Biblis (1884) de W. A. Bouguereau



L'ours. Histoire d'un roi déchu de Michel Pastoureau



Les habitué(e)s de ce blog connaissent mon goût pour les œuvres de Michel Pastoureau, historien médiéviste. J'ai rédigé il y a peu un billet à propos de son dernier ouvrage, Histoire des couleurs. Dans ce volume paru aux éditions du Seuil en 2007, il explore l'histoire d'un animal : l'ours. Il se place ainsi dans la lignée des quelques historiens qui ont osé se lancer sur l'histoire de l'animal, à l'image d'un Robert Delort ayant publié la somme intitulée Les animaux ont une histoire.
L'ouvrage se veut d'abord un livre d'histoire « construit autour d'un plan chronologique et insistant sur les périodes de mutation, notamment le Moyen Âge central (XI-XIIIe siècle). Mutation des relations entre l'homme et l'ours, mais aussi mutation de tous les systèmes de valeurs et faits de sensibilité articulés autour du monde animal. » Après avoir replacé l'historien face à l'animal, Pastoureau déroule son histoire de l'ours du paléolithique à l'époque contemporaine. La première partie, « L'ours vénéré », couvre une période qui s'étend du paléolithique à l'époque féodale. Nous parcourons alors les grottes préhistoriques, et partons sur les traces de l'art pariétal tout en nous interrogeant sur d'éventuels « cultes de l'ours », à l'image de ceux que pratiquent les Inuits, peuple premier.
Ours - Grotte Chauvet

La période du Haut Moyen Âge, riche en cultes de l'ours, est l'occasion d'anecdotes savoureuses et d'un parcours dans les lettres de l'époque (Légende dorée de Voragine, Tristan et Iseult…) où l'ours se taille souvent « la part du lion »… Mais l'Église va tout faire pour supprimer des cultes liés à cet animal, et jugés barbares. Ainsi, l'époque suivante verra l'ours chassé.
La deuxième partie, l'ours combattu. De Charlemagne à Saint Louis. Le Moyen Age chrétien place l'ours sur le devant de la scène, mais pour mieux le détruire. Massacres en masse, surtout au nord de l'Europe. L'animal présenté humilié et domestiqué, est rangé dans le bestiaire satanique. Après l'an 1000, il est montré comme une bête de foire. Ainsi, tout est prêt pour le faire descendre de son trône et le remplacer par le roi des animaux venu de l'Orient : le lion. Avec ce transfert, il s'agit d'en finir avec les rituels de types animistes qui s'associaient au culte des sources, des arbres… 
Suit une partie sur l'ours détrôné, de la fin du Moyen Âge à l'époque contemporaine, puis le livre se clôt sur la “revanche de l'ours”. J'ai pris grand plaisir à lire cet ouvrage tout à fait passionnant. Comme toujours avec Michel Pastoureau, l'Histoire s'associe à de nombreuses anecdotes savoureuses. L'écriture est à la fois simple et érudite, elle emporte le lecteur dans les tourbillons de l'Histoire médiévale tout en le faisant réfléchir à notre rapport actuel avec le monde animal. Un excellent livre !

Les 7 livres de l'été - Le chat qui courait sur les toits d'Hausman et Rodrigue


“Il était une fois un jeune prince qui vivait dans un royaume lointain et merveilleux. Chaque fois que son regard croisait celui d'un animal, il en prenait les traits, tout en conservant son corps d'humain. Effrayés par ce phénomène, le roi et la reine décidèrent de le cacher et de l'enfermer dans une chambre du palais.” (Quatrième de couverture)

Mais un jour, bien sûr, le jeune prince auquel on a interdit les miroirs découvre son vrai visage. Il décide alors de s'enfuir… Une très belle bande-dessinée, aux graphismes délicats agrémentés de couleurs pastels. A lire de 7 à 77 ans !

Juste pour le plaisir : la première planche, ainsi qu'un extrait des pages qui suivent….







mardi 29 mars 2011

L’odyssée d’Alizée de Gisèle Pineau

Gisèle Pineau propose une œuvre tissée entre la métropole et les Antilles.  Son premier roman, publié en 1993, La grande drive des esprits, a reçu le Grand Prix des lectrices de Elle en 1994 et le prix Carbet de la Caraïbe. Dans cet ouvrage de littérature jeunesse, elle raconte l’histoire d’Alizée, petite fille adoptée en Haïti. A treize ans, influencée par sa meilleure amie Jasmine, adoptée aussi mais au Vietnam, elle demande à ses parents de retourner en Haïti. Elle rêve de retrouver les sensations de son île natale, et pourquoi pas la mémoire du créole qu’elle parlait lors de son adoption, à deux ans. La famille décide alors de partir en Guadeloupe et de faire un voyage sur l’île devenue proche.
Extrait

« Des épreuves ne cesseraient de se dresser sur sa route tout au long de son séjour… " Mais tu sortiras victorieuse, ma fi… Pa désespéré ! Après le passage du grand vent qui chavire la terre dans un seul souffle, tu voleras dans le ciel comme l’oiseau de la liberté. (…) Un jardin t’attend de l’autre côté de la mer. Tu auras le droit de cueillir une fleur de ce jardin. Un seule ! Fais-le sans crainte. Les dieux sont avec toi… " L’aïeule avait dévisagé Sarah avec intensité. Bien qu’attaqués par la cataracte et tout bleutés, ses yeux étaient perçants. Elle portait un fichu blanc sur la tête. Sa peau noire craquelait sur ses bras et ses jambes. (…) Avant de disparaître derrière une colonne du patio, elle détacha un hibiscus rouge de sa branche et l’offrit à Sarah."Prends cette fleur-là en attendant l’autre… ". »


   Voilà un livre à la fois pudique et fort réussi sur les problèmes liés à l’adoption lointaine. Gisèle Pineau nous transmet les interrogations qui peuvent devenir celles de ces enfants et imagine différentes manières d’y répondre au travers des choix faits par les familles dans ce roman. Elle réussit bien à décrire le « parcours du combattant » que les parents doivent effectuer pour arriver au bout de cette démarche… Le livre est tout a fait adapté au public adolescent. La prose, simple, devient parfois poétique lorsque l’écrivaine évoque les sensations liées à son île papillon, la Guadeloupe. Un très bon moment de lecture, à conseiller de 7 à 77 ans.


lundi 28 mars 2011

C'est lundi, que lisons-nous ? (2)



Lu durant la semaine du 21 au 27 mars
-          Robert le Diable. Roman du XIIe siècle


-          Tête d’Or de Paul Claudel. Lu par nécessité et seulement jusqu’à la moitié… L’introduction, conséquente, m’a déjà bien renseignée mais cela ne remplace pas le texte qui est "dense" ! Tenue par le temps, je passe à autre chose avec regrets, en me disant qu’il faudra y revenir. A suivre…


-          L’Odyssé d’Alizée de Gisèle Pineau (billet suivra)



-          Marion, Pierre et Loiseau de Serge Kribus (billet suivra)


-          Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants de Mathias Enard. Enfin ! Quel livre ! Billet suivra bien sûr...


- Le voyage de Sparte de Maurice Barrès. Là, cela devient compliqué... Billet suivra, j'ai bien des choses à dire... Lecture commencée il y a près d'un mois. La lecture a traîné car vraiment, les relents de nationalisme, cela ne passe pas.


Mes lectures en cours
-         L’Enfant Méduse de Sylvie Germain (billet en cours…)
-         Les vagues de Virginia Woolf


Ce que je vais lire cette semaine…

Ce qui est commencé... Et vais aller consulter les lectures des copinautes inscrits chez Galleane.


Et vous, que lisez-vous ????





dimanche 27 mars 2011

Les dimanches en photo (1) - Lire à Saint-Malo

Que fait Margotte lorsqu'elle se déplace ? Elle écume les librairies... L'avantage, à Saint-Malo, c'est qu'il y a le choix... Pour inaugurer ma participation aux dimanches en photo initiés par Liyah, je vous propose donc de partir à la découverte de La droguerie de marine.


Située à Saint Servan, en dehors des remparts, elle offre un excellent choix de livres liés au monde de la mer (ben oui, nous sommes en pays de marins !). L'intérieur, que le libraire m'a autorisé à vous faire découvrir, respire les embruns... Que vous regardiez à tribord ou à bâbord, livres et bateaux cohabitent dans une ambiance fort sympathique.



J'ai bien aimé aussi le petit coin pour les enfants :




Voilà un endroit où l'on a envie de s'arrêter... et de revenir ! Et encore, je n'ai pas photographié les confortables fauteuils proposés aux lecteurs flâneurs. Vous pouvez les voir sur le site de la librairie, ICI. Avis à ceux et celles qui viennent par ici cet été (je sais qu'il y en a parmi vous...). 

Alors bien sûr, vous devez vous demander ce que j'ai bien pu acheter dans cet antre livresque ?... Un titre s'imposait :


Avant d'aller voir les vraies... 



Les autres dimanches en photo sont ici :

Au piquet !

Les écrivains ne sont pas les seuls à être victimes de plagiat. En effet, depuis hier, de nombreux billets circulent sur la blogosphère concernant le pillage dont ont été victimes Clara, Dominique et Kenza (et peut-être d'autres...), de la part d'une certaine Diptyque dont l'imagination s'arrête au copier-coller. Le blog incriminé a bloqué les commentaires. Mais je pense qu'il vaut mieux éviter d'y aller, afin de ne pas faire de publicité à la dame... a qui j'offre le bonnet ci-dessous :


Un message peut être envoyé à l'hébergeur du "blog" concerné. Vous le trouverez sur le billet de Dominique intitulé Du pillage suite et fin. Je pense que nous sommes tous concernés par le problème... et que le manque de délicatesse de la dite personne se doit d'être amplement connu. Bon dimanche à tous.



samedi 26 mars 2011

Fantaisie photographique (1)


Je pars à Saint-Malo tout à l'heure, souhaitons que le voyage se fasse dans de meilleurs conditions... Quelques photographies suivront bien sûr ! Bon we à tous.
Photographie de Jean-Marc Godès.


 

vendredi 25 mars 2011

Le rideau de Milan Kundera


Dans ce livre sous-titré "essai en sept parties", Kundera survole le genre romanesque et nous invite à redécouvrir certains de ses grands représentants. Il en profite pour s'interroger - entre autres - sur l'art, le plaisir esthétique, et surtout sur les ruptures ayant marqué l'histoire littéraire.
"Rabelais et Cervantes. Que l'encyclopédiste ne les ait pas nommés n'est nullement scandaleux ; Rabelais se souciait peu d'être romancier ou non et Cervantes pensait écrire un épilogue sarcastique à la littérature fantastique de l'époque précédente ; ne l'un ni l'autre ne se tenaient pour des "fondateurs". Ce n'est qu'à posteriori, progressivement, que la pratique de l'art du roman leur a attribué ce statut." (1ère partie, "Conscience de la continuité", p. 18).

Dans la deuxième partie, "Die weltlitteratur", Kundera amorce une réflexion sur le rapport entre nation et littérature et pose quelques bonnes questions... Par exemple : si Kafka avait été tchèque, le connaîtrions-nous aujourd'hui ? Le question, non seulement mérite d'être posée mais surtout, les tentatives de réponse interrogent... 

Kafka par B. Lacombe
Dans le chapitre "Le rideau déchiré", l'auteur imagine un "rideau magique, tissé de légendes", suspendu devant le monde. Cervantes se présente comme celui qui aurait, le premier, déchiré ce rideau. "Le monde s'ouvrit devant le chevalier errant dans toute la nudité comique de sa prose. Et c'est "en déchirant le rideau de la préinterprétation que Cervantes a mis en route cet art nouveau ; son geste destructeur se reflète et se prolonge dans chaque roman digne de ce nom ; c'est le signe d'identité de l'art du roman".

J'ai particulièrement goûté cette sixième et avant-dernière partie de l'essai qui donne son titre à l'ouvrage. Le chapitre où Kundera nous présente la fée à l'oeuvre dans les livres de Flaubert, à savoir la bêtise, est réjouissant. Homais ou Bouvard et Pécuchet se sont alors rappelés à mon bon souvenir... Un essai stimulant, à lire, à relire, qui invite à se (re)plonger dans quelques "classiques".


jeudi 24 mars 2011

Plumes et tableaux (1) - Lyrisme astral

"Puis sont venus les matins de printemps, avec un goût de sucre et de fraîcheur sur les lèvres des deux enfants devenus tout à fait babillards. Lucie, dont l'unique lecture était celles des contes et des légendes, saoulait son compagnon d'histoires invraisemblables peuplées de fées, de loups, de feux follets pleins de malice, de sylphes et de fantômes. Louis-Félix donnait libre cours à son lyrisme astral. L'imaginaire de l'une coloriait et avivait les connaissances de l'autre ; les fades et les sorciers transhumaient de la terre vers le ciel, allaient à la rencontre des divinités échouées sur les lointaines planètes."  
Sylvie Germain, L'Enfant Méduse
Illustration de July Tistory

mardi 22 mars 2011

Robert le diable. Roman du XIIe siècle


« Ecoutez à présent, grands et petits ! Il y avait aux temps anciens un duc de Normandie dont je dois vous parler. C’était un homme de bien, de haut lignage, avec de nombreux vassaux. C’était un homme de très haute noblesse, fort brave, un guerrier chevaleresque. Quand il fut à la fleur de l’âge, les seigneurs de son duché, comme ses chevaliers, lui conseillèrent de prendre femme et le duc y consentit de bon cœur. Ils se mirent donc en quête. »

  Le duc trouve une fort belle femme mais ils n’arrivent point à concevoir d’enfant ensemble. La dame, excédée par cette situation, finit par faire appel au diable. Elle conçoit alors un enfant, Robert…. Ainsi débutent les mésaventures de Robert le Diable, roman du XIIe siècle. Alors bien sûr, cet enfant, voué au mal, est odieux. Il mord tant ses nourrices, encore nouveau-né, que l’on est obligé de leur fabriquer un cornet afin qu’elles puissent donner le sein à l’enfançon. A quatorze ans, le voilà devenu tyrannique mais d’une beauté à se pâmer. Il tue, frappe et blesse tout ce qui passe devant lui. A vingt ans, « aucun être au monde n’atteignait sa force ». Excommunié par le pape, renvoyé par son père, il se réfugie dans la forêt avec une bande de brigands, compagnons de méfaits, jusqu’au jour où…..
                                                         
 Gustave Courbet, L. Gueymard dans le rôle de Robert le Diable
       
Enfin un roman où, comme le disait si bien Flaubert, les hommes « pleurent comme des urnes »… Je lis peu, trop peu, de littérature du Moyen Âge. Mais voilà un bon début avec ce court récit fort bien trempé. On bataille contre les mécréants, bannière royale au dragon en avant, on prie, on aime enfin, des femmes aux joues vermeilles comme les roses, le tout sur fond de loyauté à toute épreuve… On a décidément changé d’époque !

lundi 21 mars 2011

C’est lundi, que lisons-nous ? (1)

À nouveau blog, nouveautés bien sûr… Je n’avais pas encore participé à un quelconque rendez-vous hebdomadaire jusqu’à ce que je tombe là-dessus :



 Le genre de chose qui éveille curiosité et étranges pensées chez toute lectrice compulsive… Je me suis donc inscrite chez Galleane, grande prêtresse du culte nouveau.

Lu durant la semaine du 14 au 20 mars

Dialogues de Bêtes de Colette (où l’on remarque que les anciennes couvertures du Livre de poche sont parfois beaucoup plus sympathiques que les nouvelles).
« C’est cela que je nomme le frôlement du bonheur. Le frôlement du bonheur… caresse impalpable qui creuse le long de mon dos un sillon velouté, comme le bout d’une aile creuse l’onde… » Colette (désolée de vous décevoir, ce n’est pas de moi…)











Le rideau de Milan Kundera (un billet suivra...)


L'île Panorama de Renpo Edogawa et Suehiro Maruo 

Oyez ! Oyez ! Si vous aimez les mangas... procurez-vous ce petit bijou, adaptation d'un maître du polar japonais (Ranpo Edogawa) dont j'ai déjà chroniqué ICI le roman adapté par Suehiro Maruo. Comme je ne pense pas avoir le temps de rédiger un billet, voilà un aperçu ci-dessous. Vous pouvez  aussi trouver un billet détaillé chez Choco.



Mes lectures en cours
-         Le voyage à Sparte de Maurice Barrès (dans le cadre d'un partenariat avec BOB). L'idéologie du Sieur Barrès m'insupporte, je vais avoir du mal à aller au bout...
-        Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard
-        Robert le Diable, roman du XIIe siècle 


Ce que je vais lire cette semaine…
Ce qui est en cours va déjà bien m'occuper... 

Et vous, que lisez-vous ????



dimanche 20 mars 2011

Le jour du printemps

Me voilà bien installée... et même si tout n'est pas encore parfait, je vous accueille aujourd'hui dans la nouvelle demeure du monde de Margotte. Je n'ai su résister à ce premier jour du printemps... et pour vous souhaiter la bienvenue, je vous offre quelques clichés tirés des beaux jours naissants :















Ouragan de Laurent Gaudé

« Moi, Josephine Linc. Steelson, négresse depuis presque cent ans, j'ai ouvert la fenêtre ce matin, à l'heure ou les autres dorment encore, j'ai humé l'air et j'ai dit ; « Ça sent la chienne. » Dieu sait que j'en ai vu des petites et des vicieuses, mais celle-là, j'ai dit, elle dépasse toutes les autres, c'est une sacrée garce qui vient et les bayous vont bientôt se mettre à clapoter comme des flaques d'eau à l'approche du train. C'était bien avant qu'ils n'en parlent à la télévision, bien avant que les culs blancs ne nous disent à nous, vieilles négresses fatiguées, comment nous devions agir. ».
Avec un incipit pareil, vous pourriez résister à cette lecture vous ? Margotte, non… Laurent Gaudé compose ici une fresque polyphonique aux accents tragiques. Tout commence à La Nouvelle-Orléans : alors qu'une terrible tempête est annoncée, les habitants fuient la ville comme ils peuvent, pour se regrouper dans un vaste stade où les secours écopent tant bien que mal les conséquences de la catastrophe en cours. Pendant ce temps là, dehors, la nature reprend ses droits et chacun se retrouve face à lui même, ou face à de bien étranges personnages surgis des tréfonds de la ville. C'est dans un décor apocalyptique (hélas d'actualité au Japon…) que l'écrivain met en scène une série de personnages, tous attachants, de Josephine la vieille négresse à un groupe de prisonniers évadés à qui, tout à coup, la ville ouvre les bras…

Mon avis : J'ai adoré ce roman dans lequel j'ai plongé avec enthousiasme (et parfois avec effroi). Le mélange des voix narratives, ainsi que les différentes histoires qui s'entremêlent, rendent la lecture captivante. Les multiples points de vue offrent tous un ode à cette ville que chacun aime à sa manière. On se prend à vouloir découvrir ce paysage de bayous, et surtout, on se prend à aimer Josephine, pour sa rage de vivre et son désir de finir debout. Un grand roman !

Rennes connection de Joseph Alessi

C'est parce qu'il se déroule principalement dans la capitale bretonne que j'ai lu ce roman policier, dans le cadre d'un partenariat entre Coëtquen éditions et Blog-O-Book. Enfin, cela fut l'occasion d'une lecture agréable, même si non inoubliable. J'avoue que le plaisir pour moi fut surtout de m'amuser à retrouver des lieux connus, ainsi que les événements qui, même inventés, pourraient fort se dérouler dans la capitale régionale… On sait combien la réalité dépasse parfois la fiction… Mais je m'éloigne de mon sujet. Un vendredi 11 septembre, cela ne s'invente pas, Fatos Lako, un albanais clandestin, chef de clan au pays, retrouve Ismail et Genc, deux compatriotes qui supervisent une petite communauté, et surveillent de près leurs revendeurs de drogue. L'heure est aux règlements de comptes puisque l'un d'entre eux, une petite frappe, un certain Denis, leur doit 5 000 euros. Ils décident donc d'enlever le petit dealer et de frapper fort, afin de laisser un message clair aux autres. Voilà donc le message que reçoit Denis, frère aîné de la victime :
« Nous avons ton frère. Il nous doit 5 000 euros. Mais avec les pénalités de retard, la dette atteint maintenant 20 000 euros. Tu as jusqu'à demain dimanche à 12 heures, pour déposer cette somme derrière l'abribus qui se trouve devant le restaurant universitaire Beaulieu, avenue des Buttes de Coësmes. Lorsque nous aurons l'argent, ton frère sera relâché.. Chaque heure de retard entraînera une pénalité : Denis sera découpé en petits morceaux. A toi de voir dans quel état tu tiens à le récupérer. ».
Place Ste Anne - Rennes
Vous l'avez compris, ce ne sont pas de petits plaisantins… Et la police rennaise va avoir fort à faire, d'autant que les cadavres vont se mettre à tomber. C'est une guerre sans merci que la brigade des stups va devoir livrer aux revendeurs rennais, mais aussi nantais, parisiens, et albanais. Jacques Bodin, maire de la ville, va devoir mouiller sa chemise avec la police, dans un contexte d'autant plus difficile pour lui qu'on essaie de saboter son mandat…

Colette buissonnière


Dans le cadre d'une exposition Colette, Les Champs Libres, à Rennes, proposent une série de conférences sur l'écrivaine… N'ai-je pas de la chance ? Au menu, hier soir : Colette, mère et fille. Marie-Françoise Berthu-Courtivron nous a parlé des rapports Sido-Colette et de leur représentation dans l'œuvre, puis Francine Dugast a enchaîné sur les rapports entre Colette de Jouvenel (Bel-Gazou) et sa mère, la romancière. Les deux conférencières, enseignantes à Rennes II sont spécialistes de Colette : un régal ! Entre lectures d'extraits fort bien choisis et éclairages des écrits, un très bon moment, qui bien sûr ne va pas calmer ma frénésie coletienne… d'autant qu'une prochaine conférence m'attend la semaine prochaine… sans parler de l'exposition qui me tend les bras…
Colette et Bel Gazou
Si certains d'entre-vous passent à Rennes, le programme, c'est ICI.

La vagabonde de Colette

Dans ce roman écrit en 1910, Colette se met en scène à l'époque où elle exerçait ses talents de pantomime au théâtre de la Gaîté-Rochechouart, appelé l'Empyrée-Clichy dans le texte. Divisé en trois parties semblables à des actes au théâtre, le récit propose une variation sur la solitude, thème omniprésent dans la première partie et qui fait retour dans la dernière.
“- Si tu vis toute seule, m'a dit Brague, c'est parce que tu le veux bien, n'est-ce pas ?
Certes, je le veux “bien”, et même je le veux, tout court. Seulement voilà… il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d'autres jours où c'est un tonique amer, et d'autres jours où c'est un poison qui vous jette la tête aux murs.”
Alors que s'ouvre le récit, “femme de lettres qui a mal tourné”, Renée Néré-Colette vit seule à Paris après son divorce avec Willy surnommé ici Adolphe Taillandy, et présenté sous les traits d'un pastelliste. L'histoire commence au moment où, mise à la porte de chez elle sans une once de courtoisie, afin que le seigneur des lieux puisse courtiser à sa guise, elle ne rentre pas. La deuxième partie du roman propose au lecteur une description passionnante du Paris interlope de la Belle époque :
“L'espèce n'est pas rare, en ce pays montmartrois, de ces filles qui crèvent de misère et d'orgueil, belles de leur dénuement éclatant. Je les rencontre, ici et là, traînant leur nippes légères de table en table aux soupers de la Butte, gaies, saoules, rageuses, la dent prête, jamais douces, jamais tendres, boudant au métier, et “travaillant” tout de même. Les hommes les appellent “sacrées petites charognes” avec un rire de mépris complaisant, parce qu'elles sont de la race qui ne cède pas, qui n'avoue ni la faim, ni le froid, ni l'amour, qui meurt en disant : “Je ne suis pas malade”, qui saigne sous les coups, mais les rend.”
Georges Stein - Marché aux fleurs
Roman qualifié de “cantique pur et triste” par Michel del Castillo, il nous conte l'adieu à l'amour d'une femme que l'expérience a durcie. J'ai aimé la nostalgie qui teinte l'ensemble du texte, et j'ai pris grand plaisir à découvrir les dessous des milieux artistiques de l'entre-deux guerres. L'Entrave se présente comme la suite de ce texte… ce sera peut-être pour ma prochaine lecture coletienne.

Les reliques de Jeanne Benameur

Trois hommes ont été déposés aux abords d'un village par une caravane de cirque. On les a laissé là, entre la décharge et le village, loin des hommes, avec pour seul abri une cabane. Hesior, le magicien, Zeppo le clown et Nabaltar le soigneur de fauves partagent un amour commun, celui qu'il portaient à Mina la trapéziste. Celle-ci aujourd'hui morte, le cirque ne veut plus s'encombrer de ces trois vieillards remplis de souvenirs. Ce passé qui les unit va les amener à fabriquer d'étranges reliques…
Je n'en raconte pas plus concernant ce court récit afin de ne pas vous dévoiler l'intrigue. Comme la plupart des œuvres de Jeanne Benameur, c'est un roman tissé sur des silences. Les mots y puisent leur force, et chacun d'entre eux, pesé, se leste du poids de la parole enfin advenue. J'aime beaucoup cette romancière qui construit une œuvre exigeante, loin des effets de battage médiatique… Et si ce récit n'est pas mon préféré de cette romancière, ce fut tout de même un très bon moment de lecture.
 
Extrait
« Mira était une femme de l'air. Faite pour s'envoler. Depuis toute petite, Mira au cirque n'avait d'yeux que pour les trapèzes. Ce fut la plus extraordinaire trapéziste que le cirque connût. Seule. Toujours seule. Là-haut, elle avait réussi à devenir un souffle qui passe. Quand elle redescendait, elle n'avait plus de visage. Juste un corps. Mais elle n'habitait plus rien. Elle n'habitait plus sa peau. Arrêtée. Comme la montre d'Hesior : un désaccord. Vivant. »
À l'occasion de la sortie de son dernier roman paru chez Actes Sud, Les insurrections singulières, le mensuel Le Matricule des anges propose un dossier sur la romancière, également auteure des Demeurées et de Laver les ombres, livre que j'ai déjà chroniqué sur ce blog. Outre que l'on découvre dans ce numéro une partie de la biographie de l'écrivaine, il éclaire bien sûr les écrits… On y trouve également une interview passionnante de J. Benameur :
« La littérature est vraiment au cœur de ce qui peut nous faire bouger. C'est mon travail : faire que ce soit juste pour toucher la vraie question au cœur de celui qui lit. Et le faire réfléchir. Moi, je veux que le lecteur réfléchisse, pas qu'il s'apitoie. La déploration, ça m'ennuie. J'aurais pu en écrire des tonnes sur les ouvriers que j'ai rencontrés. Comme lorsque j'ai écrit Présent ? : pendant vingt-cinq ans, j'ai vu des mômes laminés par l'Éducation nationale, alors de la déploration il y aurait pu en avoir. Mais ce qui m'intéresse, c'est comment on s'en sort. ».

La naissance du jour de Colette, lu par Michèle Morgan

Maintenant que j'ai découvert les livres audio, je continue mon exploration de l'œuvre de Colette en version CD… Je suis particulièrement bien tombée pour cette lecture de La Naissance du jour. La voix de Michèle Morgan s'adapte parfaitement à ce récit de la maturité de la romancière. Le texte date de 1928, Colette a alors 55 ans. Dans la période qui s'étend de 1925 à 1939, elle continue ses activités de journaliste tout en publiant de nombreux ouvrages.  
Laure Barontini - Plénitude                                                                                                                Le roman s'ouvre sur la lecture d'une lettre de Sido, et d'autres viendront ponctuer le récit. L'histoire se déroule à Saint-Tropez, dans une maison que l'on ne peut qu'associer à La treille muscate. La narratrice évoque son passé, ses amours, son rapport aux hommes, aux bêtes et aux plantes. L'intrigue se résume à l'évocation des visites de son jeune voisin, Vial, visiblement amoureux d'elle. Le récit propose un parcours intérieur plus qu'une suite d'aventures ou d'actions. S'il pourrait être écrit sous la forme d'un long monologue intérieur, Colette a choisi de varier les techniques narratives, et c'est en écrivaine avertie qu'elle utilise toutes ses ressources : essai, poème en prose, monologue intérieur… La variation des types narratifs dynamise un texte où le “je” se construit par le biais d'un dialogue avec la mère. 
L'enchantement opère à plein dans ce récit pleinement maîtrisé. Chaque chapitre, brossé comme un tableau, pourrait se lire de manière indépendante. L'ensemble déroule une prose souvent poétique, à la force évocatoire certaine. Colette ici dit “je”, tout en mettant le lecteur en garde : “Imaginez-vous, à me lire, que je fais mon portrait ? Patience ; c'est seulement mon modèle.”.

Extrait 
“J'ai le souvenir très net d'avoir été moins chérie de mes bêtes, quand je souffrais d'une trahison amoureuse. Elles flairaient sur moi la grande déchéance : la douleur. J'ai vu, à une belle chienne de qualité, un regard inoubliable, généreux encore, mais mesuré, ennuyé avec cérémonie, parce qu'elle n'aimait plus autant la signification de tout mon être, - un regard d'homme, le regard d'un certain homme. La sympathie de l'animal pour l'homme malheureux… on n'arrivera donc jamais à faire justice de ce lieu commun, d'une bêtise purement humaine ? L'animal aime presque autant que nous le bonheur. Une crise de larmes l'inquiète, il imite parfois le sanglot, il réfléchit passagèrement notre tristesse. Mais il fuit le malheur comme il fuit la fièvre, et je le crois capable, à la longue, de le bannir…” 

Aquarelles de Laure Barontini (site ICI)