dimanche 29 juin 2014

Sylvie de Nerval


   
   Lire un « classique », c’est souvent l’occasion de plonger dans un monde qui laisse ensuite sa trace dans notre parcours de lecteur. De plus, comme tout lecteur assidu a « entendu parler » de la plupart des auteurs ou des ouvrages qui portent la marque « classique », cela se transforme vite en jeu. Lecteur peut s’amuser à retrouver ce qu’il attendait et avait l’impression de déjà connaître. Mais surtout, une fois le livre refermé, Lecteur peut lister ce qui explique que ce livre soit encore lu aujourd’hui ; lu, parfois étudié, souvent relu et apprécié par les connaisseurs, comme l’amateur de vin reconnaît un bon cru. Dans la série de mes nombreuses lacunes se trouvait l’œuvre de Nerval et c’est grâce à sa mise au programme des prépas scientifiques 2014 que je me suis lancée dans cette lecture. Une réédition à un prix très abordable, en évidence chez mon libraire, m’a donné l’occasion de me lancer. Mais je m’égare…
Tout commence pendant la nuit. Un jeune parisien sort d’un théâtre où il est venu admirer une actrice dont il est follement amoureux. Il vit dans cette époque « étrange » qui a succédé à la Révolution (sans doute la monarchie de Juillet d’après les notes de l’ouvrage). 
« L’homme matériel aspirait au bouquet de roses qui devait le régénérer par les mains de la belle Isis ; la déesse éternellement jeune et pure nous apparaissait dans les nuits, et nous faisait honte de nos heures de jour perdues. L’ambition n’était cependant pas de notre âge, et l’avide curée qui se faisait alors des positions et des honneurs nous éloignait des sphères d’activité possibles. » 
 
Nerval
   Nous voilà donc auprès de cette génération pâle et maladive si bien décrite par Musset. Génération rêveuse… et c’est bien un rêve que poursuit notre narrateur au travers de la femme aimée. Or, en rentrant de sa soirée au théâtre, il passe devant une salle de lecture, regarde le journal et les cours de la Bourse. Des titres qu’ils possèdent viennent d’être cotés très haut, ce qui le rend riche. Mais cette nouvelle qui devrait l’enthousiasmer s’efface devant deux autres lignes du journal : « Fête du Bouquet provincial. – Demain, les archers de Senlis doivent rendre le bouquet à ceux de Loisy. » Ces deux phrases éveillent alors de lointains échos où résonnent des sons de cor, des chants des jeunes filles et où volent des rubans colorés. Rentré chez lui, ne narrateur ne peut trouver le repos et, dans son lit, voit toute sa jeunesse s’inviter dans ses songes. 
« La belle devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s’assit autour d’elle, et aussitôt, d’une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celles des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimé. » 
Une magnifique nouvelle, du genre de celle que l’on relit à peine le livre refermé car on ne veut pas laisser s’échapper les nombreuses fragrances qui s’en dégagent. Tout, dans ce texte, est volatile comme la trace d’un parfum ou d’un songe. Sa force réside dans une alliance subtile entre le rêve et la réalité, dans la rencontre entre différents temporalités, celle d’aujourd’hui, celle des songes, celle du souvenir. « Considéré comme un récit qui annonce la déstructuration romanesque des années 50, Sylvie fascina bien des auteurs du XXe siècle, au premier rang desquels Marcel Proust ». C’est ce que j’ai aimé aussi dans cette lecture, cette impression de mise en abyme de la lecture, les réminiscences du narrateur se superposant à celles du lecteur qui, tout en découvrant ce récit, se remémore celui de Proust… Je vous conseille cette édition de Garnier-Flammarion car, en plus du dossier établit par Sylvain Léda (spécialiste, entre autres, de Musset), elle propose des documents iconographiques. 
 
Catégorie classiques français
 

jeudi 26 juin 2014

Les vivants de Matt de la Peña


À neurones fatigués, écriture simplifiée… Voilà la maxime de la fin du mois de juin qui m’a poussée vers ce livre judicieusement placé sur le présentoir des nouveautés de la bibliothèque près de chez moi. Et je n’ai pas été déçue par cette lecture car il faut avouer qu’à défaut de trouver un quelconque style (que je n’attendais pas…) j’ai trouvé une histoire bien prenante, même si elle est un peu longue à l’allumage.
Tout commence sur un bateau. Pincemi… Shy, un jeune mexicain embauché par la Compagnie Paradis, finance en partie ses études grâce à un job d’été. Garçon de piscine le jour, il s’occupe des nantis qui passent, eux, leur été à soigner leur bronzage. La nuit, il se transforme en porteur d’eau. Il en pince pour Carmen, une belle amazone qui vient du même quartier que lui mais qui est promise à un étudiant en droit (mais bien sûr, elle n’est pas sûre des sentiments qu’elle éprouve pour son futur mari, et encore moins de ceux qu’elle ressent peut-être pour son « ami » Shy…). Comme vous pouvez le constater, le premier tiers du livre surfe sur un mélange des Feux de l’amour mâtiné de La croisière s’amuse. J’avoue avoir songé à refermer rageusement l’ouvrage plusieurs fois. Mais, n’ayant rien d’autre à lire d’adapté à l’état de ma petite cervelle, j’ai persisté : bonne pioche !  
Le roman est divisé en huit jours et à partir du deuxième, l’ambiance est moins mièvre. Pour tout dire, on se rapprocherait plutôt d’un remake de War World Z. En effet, un tremblement de terre qui dépasse l’échelle de Richter touche la Californie et un tsunami va bientôt venir troubler la quiétude de la croisière… Mais ce n’est pas tout, une étrange maladie qui a déjà touché la famille de Shy, la maladie de Roméro, se répand parmi la population.
Alors, vous vous en doutez, Shy aura besoin de puiser au plus profond de ses ressources pour faire face à un destin qui lui réserve de bien sombres surprises… brrrrrrrr. Et moi, je n’ai pas eu besoin de puiser au plus profond de mes faibles réserves du moment pour me laisser emporter par cette histoire dont le deuxième tome sortira en novembre 2014. Et oui ! il s’agit d’un diptyque alors attention, ceux qui s’y laissent prendre devront attendre, comme moi, la suite des aventures de leurs héros. 
Roman publié dans la collection « R » de Robert Laffont, Les vivants, sous-titré « Vous regretterez d’avoir survécu » (re-brrrrrr) caractérise bien la production qui peut être celle des auteurs diplômés de « Creative Writing » : un produit bien formaté qui se consomme comme un bon McD. un jour de flemme intense. Si on se laisse prendre au jeu, on ne peut que regretter toutefois le manque de subtilité de l’ensemble. Les personnages sont très stéréotypés et on frôle l’overdose d’idées reçues. M’enfin, parfois, j’aime bien manger des frites avec de la mayonnaise… OK, la comparaison est un peu grasse, mais assez adaptée, la preuve :
« Rodney remercie ses amis en se penchant par-dessus la table pour les serrer dans ses bras, manquant d’écraser les pizzas au passage. Puis il se sert une première part. Bientôt suivie d’une deuxième, et d’une troisième.
L’odeur de fromage et de pepperoni fait tellement saliver Shy qu’il prend à peine le temps d’admirer Carmen (la belle amazone…). Son estomac gronde. Il saisit une part, tamponne l’excès de graisse avec une serviette en papier, et la replie comme il peut avant de mordre dedans. »
Encore une part ? 
Attention, cet extrait se situe dans le premier tiers du livre… sachez que les six jours qui suivent vous réservent bien des frayeurs !...

Catégorie SF

mercredi 18 juin 2014

Folles nuits de Joyce Carol Oates




   Il semblerait que je commence une nouvelle période Joyce Carol Oates… Il faut dire que son œuvre permet de nombreux allers-retours puisque l'on trouve aujourd’hui presque 70 livres traduits en français…
Celui que je vais vous présenter dans ce billet est vraiment original, une « brillante récréation d’écrivain » nous dit le Magazine littéraire, ce que je confirme. La romancière, dans ces cinq nouvelles – publiées  entre 2004 et 2007 dans des revues ou des ouvrages – imagine la fin de vie de cinq géants de la littérature : Edgar Alan Poe, Emily Dickson, Mark Twain, Henry James et Hemingway.
Ainsi, dans Poe Posthume ; ou Le Phare, Edgar Alan Poe se retrouve gardien de phare. La nouvelle s’inspire d’un manuscrit d’une page retrouvé dans les documents de l’auteur après sa mort en 1849, Le Phare. Le récit se déroule sous la forme d’un journal qui n’est pas sans évoquer Le Horla.
Cela commence ainsi :
7 octobre 1849. Ah ! réveil – l’âme gonflée d’espoir ! en ce jour, mon premier dans le Phare légendaire de Viña del Mar – c’est avec émotion que je trace les premiers mots de mon journal comme convenu avec mon mécène, le Dr Bertram Shaw.
Mais vous l’imaginez, ce séjour va se révéler plus angoissant qu’une simple sinécure… car très vite, sommeil perturbé et illusions morbides vont venir troubler le quotidien de cet isolement…. qui va vite devenir l’antichambre de la folie, dans une ambiance qui oscille entre l’univers de Poe et celui de Lovecraft.
Edgar Alan Poe
   Emily Dickson, elle, dans EdicksonRépliLuxe, se réincarne sous la forme d’un androïde d’à peine un mètre cinquante qui va être acheté par un couple n’ayant sans doute pas pesé toutes les conséquences de la présence de la réplique de la poétesse chez eux.
   Quel plaisir de lecture ! et quel talent ! L’écrivaine mélange ici plusieurs exercices. Tout d’abord, elle propose des nouvelles qui se dévorent sans faim, la tension narrative nous poussant vers la chute de manière inexorable. Ensuite, elle utilise avec brio la biographie des cinq écrivains pour nous plonger dans leur univers personnel, ce qui bien sûr amuse follement tout amateur de littérature. Enfin – et là, je m’incline avec respect – elle joue avec les codes narratifs propres à chacun de ces auteurs. Comme je l’ai déjà dit pour la nouvelle qui concerne Poe, on se retrouve plongé dans l’univers de ses nouvelles, mais il en est de même pour les autres.
   Pour conclure, on se trouve ici devant une « récréation » d’une écrivaine à la fois brillante et rompue à son art. Elle est capable de se fondre non seulement dans la peau d’un personnage, mais en plus d’y ajouter des contraintes qui rendent l’exercice plus piquant. Elle s’amuse mais nous aussi, et franchement, on en redemande. 
Joyce Carol Oates

 Extrait (incipit de Papa à Ketchum, 1961)
Il (Hemingway) voulait mourir. Il chargea le fusil. Deux cartouches. C’était forcément une joke, une blague. Deux cartouches. Il était un homme doué d’humour, un joker. Impossible de se fier à un homme comme ça, le joker du paquet de cartes, la quantité inconnue. Il rit. Sauf que ses mains tremblaient et que c’était honteux. Sa tête s’était encore remplie de pus. Il fallait faire le ménage. Sa tête avait des fuites. Et ça sentait : un pus verdâtre. Son cerveau était enflammé, enflé. Il était sournois. Il se mouvait sans bruit. Pieds nus dans l’escalier. Ce devait être le petit matin. Il s’était levé et était descendu. La femme croirait qu’il était allé aux toilettes dans le noir. Il avait repéré la clé sur le rebord de fenêtre de la cuisine. Il avait le fusil maintenant. (…) 
 
Catégorie recueil de nouvelles
http://leslivresdegeorgesandetmoi.wordpress.com/2010/02/17/et-un-challenge-un/


mercredi 11 juin 2014

Enclave de Philippe Carrese

Philippe Carrese est un auteur marseillais. Né en 1956, il a déjà a son actif dix-neuf polars, souvent situés dans la cité phocéenne, et dont certains sont inspirés de faits réels (il faut avouer que dans ce domaine, la belle du Sud fournit de quoi…). Mais cet auteur se caractérise par sa polyvalence puisqu’il est également réalisateur, illustrateur, et documentariste (voir sont site, ICI).
C’est totalement par hasard que je suis tombée sur Enclave, ouvrage publié initialement en 2009 chez Plon, qui vient de ressortir en édition de poche aux éditions de l’Aube. Je précise immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un polar mais bien d’un roman que je n’ose qualifier d’aventure en raison du contexte de l’histoire…
Janvier 1945 au nord de la Slovaquie. C’est la débâcle. Les Russes avancent. Le 17 janvier, ils sont en Pologne (fin janvier, ils franchiront l’Oder). L’occupant allemand commence à avoir froid aux fesses et dans le camp de travail de Medved’, il décide d’abandonner les lieux au hasard. Un hasard calculé toutefois puisque les nazillons, toujours créatifs, décident de couper les accès au camp qui se trouve dans un lieu particulièrement difficile d’accès. Tout d’abord sidérée, la communauté du camp de travail finit par réaliser que les Allemands sont partis. Passé le choc de cette incroyable libération, les résidents du camp s’organisent et mettent en place une nouvelle hiérarchie. Le camp pourra-t-il être évacué ? Les prisonniers pourront-ils fuir ce lieu où ils ont vécu l’horreur ? Les Allemands vont-ils revenir ? Qui va diriger la communauté et comment ? Voilà une partie des questions que l’on se pose en lisant fébrilement ce roman.
J’avoue avoir hésité beaucoup avant d’acheter ce livre. En effet, le romanesque associé à la thématique des camps de concentration me gêne souvent pour des questions d’éthique (oui, je sais, le terme est passé de mode mais j’assume mon côté vieille école). Enfin, le risque de complaisance morbide étant fort, il a fallu trois visites en librairie avant que je ne finisse par l’acheter, après avoir lu les premières pages… Et j’ai bien fait car non seulement Philippe Carrese évite la complaisance ou les effets faciles, mais il pose les bonnes questions. 
A travers les déboires de cette communauté oubliée de tous, il pose les éternelles questions du bien, du mal et des rapports de pouvoir entre les hommes (et les femmes…). Nous découvrons l’univers des prisonniers au travers du regard Eidesche, « le petit lézard », jeune garçon fluet utilisé par les nazis pour explorer des tunnels dans la montagne. On s’attache très vite à certains des personnages et on lit tout cela très vite car le suspense monte aussi vite que la température descend en Europe de l’Est l’hiver. J’ai souvent pensé à Tim Willocks qui ausculte lui aussi les comportements des hommes vivants en milieu clos. Alors je vous invite vraiment à découvrir ce roman. De mon côté, j'ai bien l'intention de découvrir les autres ouvrages de cet auteur !
 
Tatras, l'hiver, en Slovaquie
Extrait
Nous nous sommes rassemblés. Le peuple de Medved’, ou ce qu’il en restait, faisait corps. Le groupe compact s’est approché du gouffre. De la passerelle ferroviaire il ne restait que la poutre centrale tordue, qui n’arrivait même pas à rejoindre l’autre rive. Nous étions à jamais perdus sur ce bout de territoire, isolés du reste du monde. Dansko m’a dévisagé, silencieux. Il a regardé les femmes, les gamins, les survivants. Puis il est allé s’asseoir dans la neige au bord de la gorge, les jambes dans le vide. Il était tellement abattu qu’il en semblait serein. Un dernier éboulement résiduel, en face, est venu couper l’inutile route d’accès en épingle à cheveux. Le silence est revenu. Même le torrent, en contrebas, semblait rugir moins fort. Le faucon crécerelle est repassé, virevoltant à l’endroit où se dressait la passerelle, comme pour nous narguer. Ils sont partis ce matin. Et ne nous ont laissé aucune chance.


dimanche 8 juin 2014

Suis-je snob ? de Virginia Woolf


Cet essai de Virginia Woolf se compose de sept textes, dont le premier donne son titre au recueil. S’ils peuvent sembler disparates, ils ont en commun une réflexion sur l’aristocratie et le « beau », y compris dans le chapitre supprimé de Mrs. Dalloway « Un soir dans le Sussex ». 
Le premier, « Suis-je snob ? », est la transcription d’une conférence prononcée par Virginia Woolf pendant l’hiver 1936-1937 pour faire rire ses amis. Le sujet peut paraître désuet, la notion de snobisme ayant sombré dans les deux guerres qui ont embrasé le monde. Le terme désignait alors « la fascination des bourgeois pour la noblesse au sens strict » (définition donnée par Maxime Rovere dans l’introduction). Or, plus que les biens matériels dont elle ne manque pas, ou les titres, ce qui fascine Virginia Woolf dans la noblesse, c’est la « position assurée dans le monde. Le miracle de cette certitude lui paraît, pour ainsi dire, inhumain. » La réflexion qu’elle mène dans ce premier texte dépasse donc de loin la simple description des différentes classes sociales de l’Angleterre du début du XXe siècle, avec ses us et coutumes. 
Ce qui m’a intéressée dans cet ouvrage, c’est de découvrir un monde en voie de disparition. J’avais l’impression d’avoir devant les yeux les reliquats d’un monde agitant ses derniers feux avant liquidation. La vrai question qui surplombe cet essai étant : « L’art d’une époque véritablement démocratique sera – quoi ? » (question, soit dit en passant, que l'on devrait se poser régulièrement...).
J’avoue ne pas avoir été enthousiasmée par les questionnements sur l’apparence ni par l’heure du lever de la duchesse, préoccupations qui ne sont pas forcément des interrogations qui agitent ma petite cervelle, mais cela permet de mieux comprendre une époque et certains écrits. En effet, Proust, Henry James, Jane Austen et d’autres sont sans doute mieux compris après avoir lu cet essai qui a le mérite, en plus, d’être fort bien écrit.
Deuxième participation au mois anglais
Extrait

Malheureusement, la vie est ainsi faite que le succès littéraire signifie invariablement que l’on s’élève, jamais que l’on chute et rarement, ce qui serait beaucoup plus souhaitable, que l’on se diffuse dans l’échelle sociale. Le romancier en vue n’est jamais harcelé d’invitations à prendre un gin et des bigorneaux avec le plombier et sa femme. Ses livres ne le mettent jamais en contact avec le boucher ambulant, il n’entame jamais une correspondance avec la vieille dame qui vend des lacets et des allumettes à la porte du British Museum. Il devient riche, il devient respectable ; il s’achète un costume du soir et dîne avec ses pairs.(…) De l’autre côté, le vieux chasseur de rats et les palefreniers du temps de Shakespeare sont tous rejetés hors de scène, ou deviennent, ce qui est beaucoup plus offensant, des objets de pitié ou de curiosité. Ils servent à faire voir la richesse. Ils servent à souligner les maux du système social. 

Et un essai, un !

 

mercredi 4 juin 2014

Ecoute la pluie de Michèle Lesbre


La sortie en poche de ce livre a été l’occasion de découvrir une écrivaine que j’envisageais de lire depuis un certain temps. Ce court roman – 98 pages – est une invitation à parcourir le reste d’une œuvre qui comporte déjà 16 ouvrages, dont un en collaboration avec Sylvie Granotier. 
L’histoire en elle-même n’a rien de particulièrement original, en dehors du fait divers qui l’ouvre. Une femme que l’on imagine entre deux âges quitte son travail pour se rendre à l’hôtel des Embruns où elle doit retrouver un homme. Elle habite Paris, lui Nantes. Alors qu’elle prend le métro pour se rendre à la gare, un homme sur le quai la regarde avant de se jeter sous la rame du métro qui entre dans la station. Mais avant de plonger sous la rame, il lui a adressé un sourire « limpide ». Cette triste aventure va plonger la narratrice dans un bouleversement tel qu’elle ne se rend pas à son rendez-vous amoureux. 
Le deuxième chapitre la présente empruntant un « itinéraire de hasard », s’enfonçant « dans la ville comme dans une terre inconnue ». Pas de train donc, mais un vertige, un naufrage qui l’emporte dans ses souvenirs liés à cet homme de l’hôtel des Embruns, un photographe avec lequel elle entretient une relation épisodique.
Alors qu’il se met à pleuvoir sur la capitale, la narratrice se souvient et erre dans Paris sans trouver de solution à sa démission sentimentale de la veille.  L’intérêt du livre ne tient donc pas dans « l’intrigue » ici fort mince, mais dans le trajet mental parcouru par cette femme, dont les déambulations urbaines se calquent sur ses errances psychologiques :
« C’est ainsi que je me suis perdue, en m’abandonnant à une douce impuissance, naufragée en quelque sorte, tandis que tu étais peut-être à l’abri dans le décor de la chambre qui était devenue nôtre. » 
L’écriture, douce et poétique, s’écoule comme cette pluie qui très vite impose l’écoulement comme dominante à cette histoire où « Il pleut, obstinément » et où l’on fond en larmes dans les soirées frivoles où d’habitude on pavoise.
J’ai aimé cette écriture proche du tremblement et qui se place sous l’égide de Duras. Une « histoire d’eau » et d’amour, une histoire de désir et de sensations, peu de mots mais une lecture intense. Là est peut-être la clé de ce roman, l’insuffisance des mots. Insuffisance qui nous invite à photographier, à peindre… où à écrire ce qui ne peut se dire.


« Tu ignores les photographies de toi que j’ai prises à ton insu, depuis le début, où ta silhouette s’inscrit dans différents paysages, souvent de dos, comme si tu n’en finissais pas de partir, mais aussi dans ton sommeil, où ton visage détendu semble retenir quelque chose de l’enfance, ou encore en conversation avec d’autres. (…)
Peut-être ne te les montrerai-je jamais, elles se faufilent entre les mots manquants, elles sont mon intime regard sur toi, sur nous car, sans être présente sur ces clichés, je m’y vois parfaitement, je me souviens des moments qu’ils évoquent et j’essaie parfois de les relier à ce que nous sommes devenus. »

dimanche 1 juin 2014

Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll


Est-il besoin de résumer le conte de Lewis Carroll ? Alice, une petite fille, se trouve près de sa sœur sur le gazon. Alors qu’elle s’ennuie et se demande si la confection d’une couronne de marguerites vaut la peine de se lever, une torpeur l’envahit et tout à coup… un lapin blanc aux yeux roses passe près d’elle. Et devinez quoi ? le lapin parle et se met à courir. Elle le suit lorsqu’il entre dans ce qui ressemble à un terrier, et plonge alors dans un univers absurde et onirique. Dans ce monde étrange, elle rencontre de bien drôles de créatures comme la vilaine dame de cœur qui aime à faire tomber des têtes, qu’elles soient couronnées ou non.
L’avantage du mois anglais de Lou…, c’est qu’il permet de (re-)découvrir des classiques. Je connaissais les personnages bien sûr, ainsi que les épisodes majeurs de l’histoire, mais je n’avais lu entièrement le texte d’Alice au pays des merveilles. Voilà qui est fait et j’avoue que la question qui m’est souvent venue à l’esprit était la suivante : qu’avait donc consommé Lewis Carroll pour écrire un texte aussi allumé loufoque ? Car franchement, ce qui me restera de cette lecture, ce sont toutes ces images poétiques tout autant que bizarres. Dans mon trio de tête : 
1. La chenille qui fume son houka et qui propose à Alice de manger des champignons (aujourd’hui, une œuvre pareille ne serait pas éditée mais censurée pour incitation à la débauche envers mineurs de moins de quinze ans…).
Illustration d'Adrienne Segur
2. Le Grimaçon qui m’a évoqué le joker dans Batman, géniale trouvaille de cet auteur au sens de l’humour décapant.  
3. Le Loir qui dort dans toutes les situations, même lorsque deux personnes en appui sur lui conversent.
Illustration d'Adrienne Segur
 Mention spéciale pour les cours suivis par la Fausse-Tortue (extrait) « Alice ne se sentit pas encouragée à faire de nouvelles questions là-dessus, elle se tourna donc vers la Fausse-Tortue et lui dit : « Qu’appreniez vous encore ? » 
« Et bien, il y avait le Grimoire, répondit la Fausse-Tortue en comptant sur ses battoirs ; le Grimoire ancien et moderne, avec la Mérographie, et puis le Dédain ; le maître de Dédain était un vieux congre qui venait  une fois par semaine ; il nous enseignait à Dédaigner, à Esquiver et à Feindre de l’huître. (…)
« Combien d’heures de leçons aviez-vous par jour ? » dit Alice vivement, pour changer la conversation. 
« Dix heures le premier, dit la Fausse-Tortue ; neuf heures le deuxième, et ainsi de suite.
« Quelle singulière méthode ! » s’écria Alice. 
« C’est pour cela qu’on les appelle ‘leçons’, dit le Griffon, parce que nous les laissons peu à peu. »

http://cryssilda.canalblog.com/archives/2014/05/03/29792151.html
 
Merci donc aux éditions Magnard pour cet envoi qui ne pouvait mieux tomber ! Dans l’appareil pédagogique proposé avec cette édition, j’ai aimé les deux rabats. Le premier propose deux illustrations de John Tenniel qui accompagnaient l’édition de 1865. Le deuxième propose une frise historique et culturelle illustrée ainsi qu’un tableau synoptique des lieux et personnages.

http://leslecturesdeleo.blogspot.fr/2014/02/challenge-le-melange-des-genres.html

Et voilà une première participation au challenge de Miss Léo en catégorie littérature jeunesse !