Lire un « classique »,
c’est souvent l’occasion de plonger dans un monde qui laisse ensuite sa trace
dans notre parcours de lecteur. De plus, comme tout lecteur assidu a
« entendu parler » de la plupart des auteurs ou des ouvrages qui
portent la marque « classique », cela se transforme vite en jeu.
Lecteur peut s’amuser à retrouver ce qu’il attendait et avait l’impression de
déjà connaître. Mais surtout, une fois le livre refermé, Lecteur peut lister ce
qui explique que ce livre soit encore lu aujourd’hui ; lu, parfois étudié,
souvent relu et apprécié par les connaisseurs, comme l’amateur de vin reconnaît
un bon cru. Dans la série de mes nombreuses lacunes se trouvait l’œuvre de
Nerval et c’est grâce à sa mise au programme des prépas scientifiques 2014 que
je me suis lancée dans cette lecture. Une réédition à un prix très abordable,
en évidence chez mon libraire, m’a donné l’occasion de me lancer. Mais je
m’égare…
Tout commence pendant la nuit. Un
jeune parisien sort d’un théâtre où il est venu admirer une actrice dont
il est follement amoureux. Il vit dans cette époque « étrange » qui a
succédé à la Révolution (sans doute la monarchie de Juillet d’après les
notes de l’ouvrage).
« L’homme matériel aspirait au bouquet
de roses qui devait le régénérer par les mains de la belle Isis ; la
déesse éternellement jeune et pure nous apparaissait dans les nuits, et nous
faisait honte de nos heures de jour perdues. L’ambition n’était cependant pas
de notre âge, et l’avide curée qui se faisait alors des positions et des
honneurs nous éloignait des sphères d’activité possibles. »
Nerval |
Nous voilà donc auprès de cette
génération pâle et maladive si bien décrite par Musset. Génération rêveuse… et
c’est bien un rêve que poursuit notre narrateur au travers de la femme aimée.
Or, en rentrant de sa soirée au théâtre, il passe devant une salle de lecture,
regarde le journal et les cours de la Bourse. Des titres qu’ils possèdent
viennent d’être cotés très haut, ce qui le rend riche. Mais cette nouvelle qui
devrait l’enthousiasmer s’efface devant deux autres lignes du journal :
« Fête du Bouquet provincial. –
Demain, les archers de Senlis doivent rendre le bouquet à ceux de Loisy. »
Ces deux phrases éveillent alors de lointains échos où résonnent des sons de
cor, des chants des jeunes filles et où volent des rubans colorés. Rentré chez
lui, ne narrateur ne peut trouver le repos et, dans son lit, voit toute sa
jeunesse s’inviter dans ses songes.
« La belle devait chanter pour avoir
le droit de rentrer dans la danse. On s’assit autour d’elle, et aussitôt, d’une
voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celles des filles de ce
pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie
et d’amour, qui racontent toujours les malheurs d’une princesse enfermée dans
sa tour par la volonté d’un père qui la punit d’avoir aimé. »
Une magnifique nouvelle, du genre
de celle que l’on relit à peine le livre refermé car on ne veut pas laisser
s’échapper les nombreuses fragrances qui s’en dégagent. Tout, dans ce texte,
est volatile comme la trace d’un parfum ou d’un songe. Sa force réside dans une
alliance subtile entre le rêve et la réalité, dans la rencontre entre
différents temporalités, celle d’aujourd’hui, celle des songes, celle du
souvenir. « Considéré comme un récit qui annonce la déstructuration
romanesque des années 50, Sylvie fascina bien des auteurs du XXe siècle, au
premier rang desquels Marcel Proust ». C’est ce que j’ai aimé aussi dans
cette lecture, cette impression de mise en abyme de la lecture, les
réminiscences du narrateur se superposant à celles du lecteur qui, tout en
découvrant ce récit, se remémore celui de Proust…
Je vous conseille cette édition de Garnier-Flammarion car, en plus du
dossier établit par Sylvain Léda (spécialiste, entre autres, de Musset), elle
propose des documents iconographiques.
Catégorie classiques français |