Les émissions littéraires ont du
bon. Et si je suis parfois critique à l’égard de La Grande Librairie, j’avoue que le choix fait par son animateur la
semaine dernière (émission du 9 avril) m’invite à plus d’égards. Inviter des gens qui pensent dans
une émission à grande écoute, ce n’est pas si courant, et à la télévision, cela
relève carrément de l’exploit. J’ai donc pris grand plaisir à écouter les
quatre invités et me suis précipitée dès le lendemain chez mon libraire afin
d’acheter le livre de Georges Picard publié aux éditions Corti.
C’est tout à fait le genre d’ouvrage que j’aurais pu acheter uniquement
en ayant lu le titre et vu la maison d’édition, mais ici, avoir en plus entendu
l’auteur m’a totalement convaincue. Et ce, même si ce n’est pas un grand
bavard, et encore moins le genre de gars à vous venter les mérites de son livre
comme s’il s’agissait du dernier Musso. Non non, il est plutôt du genre taiseux Georges
Picard, mais pour fréquenter un peu le fond des bois, je suis habituée au
silence et j’aime ça. En attendant, c’est moi qui
bavarde et je n’ai encore rien dit de ce fameux livre…
Court récit de 150 pages, il se
présente comme une lettre adressée à un certain Martinu. Le narrateur vient
d’apprendre que ce dernier habite à une soixantaine de kilomètres de chez lui
et se décide donc à lui écrire alors qu’ils se sont perdus de vue depuis des
années. Les deux amis ont vieillis et semblent tous deux affublés d’une
misanthropie tenace qui a le mérite de les inviter à réfléchir sur eux-mêmes.
La lettre va donc être l’occasion de dérouler un ensemble de réflexions
mosaïques sur le passé, l’avancée en âge et la manière dont on peut être (ou ne
pas être) soi-même :
« Si l’âge nous fait
avancer, c’est vers la perplexité, pas vers la connaissance de soi. Je ne suis
pas sûr qu’il faille le déplorer : après tout, quoi de plus excitant que
cette confrontation avec l’étranger confus qui nous habite ? »
L’ensemble propose une réflexion
jubilatoire sur la société d’aujourd’hui, et, entre autres, invite à se
questionner sur les médias et la pensée conforme qu’elle nous déverse à
longueur de journée, et toute l’année, sans férié. Une pensée en kit, prête à
l’utilisation en soirée, oubliée à peine formulée. Or, le narrateur est peu
soluble dans le prêt à penser : il doute. Et dans une société où chacun
est invité à avoir les dents blanches, le sourire carnassier et l’air sûr de
soi, voilà qui fait tache.
« Il paraît que la
conviction est une qualité très recherchée dans notre monde où la réflexion
tâtonnante est moins valorisée que la propension à affirmer n’importe quelle
ineptie sur le ton de la sincérité. »
Alors bien sûr, ce n’est pas un roman. Alors bien sûr, ce n’est pas
« optimiste ». Alors bien sûr, cela invite plus à penser qu’à
oublier. Et pourtant, ce livre devrait être diffusé à grande échelle, genre
distribution gratuite à la sortie du métro à la place des niaiseries que l’on
nous propose en guise d’outils « d’information ». Car non seulement
il n’invite pas à oublier, mais il serait plutôt là pour que l’on se souvienne
qu’un autre monde est possible (oui, je sais, cette phrase est totalement
utopique et déplacée en 2015, année de l’attentat anti-Charlie déjà presque
oublié). Le genre d’ouvrage qui invite à emprunter les chemins de traverse, à
jeter sa télévision (pour moi, c’est fait depuis longtemps), à écouter l’herbe pousser en regardant d’un œil amusé
ceux qui vous disent que c’est la crise et que, vraiment, il va falloir que
l’on travaille tous le dimanche afin que le monde aille mieux.
Donc merci M. Picard, vous m’avez
presque donné envie d’aller vivre en Beauce ! Et pourtant, chacun sait ici
combien j’aime mes bois… et l’air du grand large…
Je place ce titre en tête de mes coups de cœur littéraires de l’année, et j’ai déjà commandé un deuxième ouvrage de l’auteur (il a déjà plus de vingt ouvrages à son actif).
Je place ce titre en tête de mes coups de cœur littéraires de l’année, et j’ai déjà commandé un deuxième ouvrage de l’auteur (il a déjà plus de vingt ouvrages à son actif).
Extrait
« Je remercie les ambitieux
de s’occuper du monde à ma place. Ils prennent tous les risques, mais leurs
récompenses, l’argent, le pouvoir, la fierté d’avoir réalisé quelque chose de
positif, ne me paraissent pas suffisantes pour compenser l’aliénation du
sentiment intérieur. Affairés ou pas, nous avons une vie intérieure riche de
pensées et d’imaginations que les gens ambitieux finissent par simplifier en
évacuant ce qui semble inutile à la satisfaction de leur désir dominant. Ils
ont raison de le faire au profit de leur idéal. Ce qu’ils manquent est sans
importance ; il y a des types comme moi qui accordent de l’importance à
ces riens comme fond de pensée. »