samedi 2 novembre 2013

Le Citron de Motojirô Kajii


     Si nous avons en France des auteurs qui savent parfaitement manier la prose poétique, rares sont ceux qui, comme les Japonais, peuvent y frôler la grâce. Ce recueil de nouvelles de Motojirô Kajii vient nous le rappeler avec éclat. 
L’auteur, troisième enfant d’une fratrie de six, né à Osaka à l’orée du XXe siècle (en 1901), décèdera à trente-quatre ans des suites d’une tuberculose. Trois autres enfants de la famille seront emportés des suites de cette maladie sans doute contractée auprès de la grand-mère paternelle qui en était elle-même atteinte. L’écrivain n’aura donc jamais le temps de rédiger des romans s’intégrant à une « nouvelle littérature prolétarienne japonaise », lui qui avait été bouleversé par la lecture de Marx. Son écriture n’aura pas eu le temps de se transformer… mais nous reste ces nouvelles imprégnées par l’aura de la maladie, où le souffle est précieux car chaque respiration est marquée par le temps gagné sur la mort.
Le recueil se compose de huit nouvelles de taille très variables mais toutes fortement teintées par la sensibilité. Tout vibre, chaque instant apporte son lot de changements subtils. J’avais l’impression, en lisant ces nouvelles de lire des haïkus développés sur plusieurs pages. Si vous choisissez d’ouvrir ce livre, n’espérez pas y trouver des personnages bien campés et une histoire qui se tisse pour vous tirer vers une fin attendue avec fébrilité. Ici, tout n’est que calme et volupté… et j’ai plusieurs fois pensé à Baudelaire, particulièrement en lisant Sous les cerisiers.
Sous les cerisiers sont enterrés des cadavres ! Ainsi s’ouvre cette nouvelle, ainsi le narrateur explique-t-il la beauté qui jaillit si splendidement lorsque arrive la floraison. Trop de beauté peut parfois virer au mystère, Motojirô Kajii, d’un trait de calligraphe, tente d’en saisir le dessin. Comme Baudelaire, il pétrit la boue, en fait de l’or, et ses nouvelles ne peuvent qu’évoquer une poésie qui sent la myrrhe et la charogne. Une découverte qui donne envie de se lancer dans de nouvelles lectures de littérature japonaise !
J’intègre ce recueil dans le challenge de Nadael car plusieurs nouvelles se teintent fortement des couleurs des saisons. Particulièrement Jours d’hiver qui commence ainsi :

« C’était peu avant le solstice d’hiver. De sa fenêtre, Takashi voyait les arbres, dans les jardins et devant le seuil des maisons du terrain en contrebas, perdre leurs feuilles chaque jour davantage. Les sésames desséchés étaient devenus semblables aux cheveux emmêlés d’une vieille ; les dernières feuilles de cerisier, joliment brûlées par le givre, avaient disparu ; les ormes du Caucase, chaque fois qu’ils frissonnaient et bruissaient au vent, laissaient entrevoir la partie cachée du paysage. 
Les pies-grièches ne venaient plus à l’aube. Puis, un jour, quelques centaines d’étourneaux, couleur de plomb, se posèrent sur la rangée de chênes formant paravent et, dès lors, les gelées se firent de plus en plus fortes. »

http://lesmotsdelafin.over-blog.com/article-challenge-des-quatre-saisons-89043693.html


24 commentaires:

  1. ce qui me semble surtout épatant, c'est le travail du traducteur... car la poésie, c'est lui qui doit réussir à la transposer, pas simple!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Adrienne : c'est vrai ! et l'on sait combien le même livre, selon la traduction, peut être bien différent... Bon we !

      Supprimer
  2. Ton billet est un bel hommage à cet auteur. La connaissance du contexte et de cette courte vie marquée par la maladie est sans doute indispensable pour s'imprégner parfaitement de ses mots et de sa poésie. Des haïku étirés en nouvelles, ça me tente bien!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Fransoaz : le contexte, en effet, aide à mieux saisir les enjeux de cette écriture (il y a une très bonne introduction à ces nouvelles au début du livre). Si comme moi tu aimes les haïkus, ce livre devrait te plaire. Bon dimanche !

      Supprimer
  3. une totale découverte comme je les aime ! j'aime la littérature et poésie Japonaise mais cet auteur m'était totalement inconnu merci merci

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Dominique : totale découverte aussi... dénichée dans la biblio de Mlle Margotte ;-)

      Supprimer
  4. livre indisponible pour le moment chez l'éditeur mais présent dans ma bibliothèque !!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Dominique : tu trouves des perles oubliées, dans ta bibliothèque ! Bonne lecture alors...

      Supprimer
  5. Oh, oh, pourquoi je ne le connais pas ? J'ai bien peur de ne pas l'avoir dans ma bibliothèque, j'attendrai sa réimpression.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Aifelle : si il est réimprimé ! Je vais dire à Mlle Margotte de bien le garder...

      Supprimer
  6. Mauvaise langue je suis ... il est à deux endroits où je n'aime pas aller, tant pis je ferai un effort :-))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Aifelle : c'est des coins dans ta maison où tu n'aimes pas aller ? ou en biblio ???

      Supprimer
    2. Je peux aller dans cinq bibliothèques de ma ville, il y en a deux que j'évite (quartiers excentrés, pas sympathiques du tout, mais quand c'est pour la bonne cause, j'y vais quand même. Par contre, je peux les rendre à la bibliothèque de mon quartier).

      Supprimer
    3. @Aifelle : ah oui, je comprends ! Il y a aussi des biblios que j'évite, en général, celles où l'on tolère le bruit... mais je les fréquente toutes, en grande amatrice que je suis ;-)

      Supprimer
  7. Découverte totale !
    Le citron, moi j'aime bien les citrons !!!!
    J'espère le trouver à la médiathèque comme Dominique !!!
    Bonne soirée !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Enitram : il peut peut-être se trouver aussi en librairie, dans les stocks... bonne soirée à toi aussi !

      Supprimer
  8. Bonjour Margotte, l'extrait que tu nous donnes est très beau. Merci et je note : un écrivain de plus à découvrir. Bonne fin d'après-midi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Dasola : j'ai pensé à toi ce soir à propos du film "Transperceneige", Le masque et la plume vient d'en parler ;-)

      Supprimer
  9. Tu as raison, les auteurs japonais ont une écriture très poétique.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Alex : oui, à tel point que je suis rarement déçue par la littérature japonaise ! même si j'en lis peu finalement, un tort... bonne soirée !

      Supprimer
  10. Réponses
    1. @Violette : un livre qui ne peut laisser indifférent je pense... bonne soirée !

      Supprimer
  11. Merci pour cette jolie découverte!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. @Nadael : de rien, une chouette découverte en effet :-) Bonne journée à toi !

      Supprimer