Il existe des
découvertes littéraires qui déclenchent de durables « passions
littéraires ». Ainsi, après avoir dévoré À l’angle du renard (quatrième ouvrage de Fabienne Juhel) j’ai lu
avec un enthousiasme toujours renouvelé l’ensemble de son œuvre (me reste
seulement à découvrir – il sommeille dans ma PAL – Damned, un épisode des enquêtes de Léo Tanguy que je classe un peu
à part). Alors, vous pensez bien que lorsque ce dernier roman a été dans les bacs
de nos chers libraires, je me suis précipitée… et je n’ai pas été déçue du
tout ! Un matin de grande marée d’équinoxe, un
« étrange étranger » arrive par voie de mer dans une station
balnéaire du littoral breton. Surgi de nulle part, son voyage s’est fait sur
une embarcation mystérieuse :
« Aucune armateur connu de
vos contrées ne fabrique cette coque qui m’amène jusqu’à vos rivages et dont il
ne reste rien, ou presque, à l’heure où je m’achemine jusqu’à vous. »
L’étranger s’appelle Julius et le roman s’ouvre sur son
enterrement. En sept stations qui mènent à la nécropole, le lecteur découvre à
côté de l’abbé Trémeur qui « porte la croix » une famille qui
accompagne le mort jusqu’à son lieu de repos. Il y a Léonie, la grand-mère,
Lola la fille simplette, Brian le fils, et les parents, Alban et Marie. Tous
ont aimé Julius et chacun va nous conter sa relation avec celui qui s’est
baptisé « L’Élu », de la rencontre à la mort.
Au travers des différents points de vue qui, alternés, tissent
un fil narratif aux couleurs multiples, le voile se lève sur cet homme à la
peau d’ébène au « patronyme surgi d’un livre d’histoire ». Homme noir
à la taille fine et aux traits féminins, il semble voué à renvoyer à chaque
personne qui le rencontre l’image que l’autre veut découvrir enfin. Sa voix
présente des inflexions douces, il paraît pouvoir être homme ou femme, frère ou
sœur, capable de se couler dans le désir de l’autre qui, sans le savoir,
contemple un mystère qui restera entier.
Une fois de plus, Fabienne Juhel nous captive en nous emmenant
dans un monde aux frontières de l’onirique et du magique. Dans une langue
poétique imprégnée de l’enfance et des contes, elle emporte le lecteur dans un
fantastique aux accents baroques, où la violence extrême peut côtoyer la
naïveté et la douceur. Les intersignes se mêlent aux rituels chrétiens et
ouvrent les chemins de traverse d’une réalité qui n’est jamais aussi figée
qu’elle en a l’air. J’avoue aussi aimer retrouver dans les ouvrages de cette
romancière, l’ancrage dans une terre qu’elle décrit à merveille, de
l’intérieur… j’y retrouve le goût du vent et du silence, les plages vides que
j’aime et l’odeur des genêts jaune vifs, j'y retrouve la présence des pierres levées au milieu de la lande oubliée des touristes, j'y retrouve la présence d'un lieu qui se découvre "hors saison".
Je retrouve enfin chez cette romancière le réalisme magique présent
dans les œuvres de Sylvie Germain ou de Carole Martinez. Voilà trois écrivaines qui
renouvellent avec brio la littérature française. À l’heure où tout est pesé à
l’aune de la valeur marchande, elles viennent nous rappeler avec majesté que
c’est parfois le mystère qui permet d’avancer. Chacune renoue, pour notre plus
grand plaisir de lecteur, avec l’amour de la narration. « Et qu’est-ce
qu’une histoire ? me demanderez-vous à la suite. La narration d’un
miracle. »
Extrait
« La mer nous apparaît immobile, silencieuse. Sous le soleil, elle devient matière en fusion, marbrée de miel et d’argent. Une carapace. Dans les images du bestiaire coloré des contes d’un autre continent, elle est cette tortue géante qui porte le monde sur son dos. De part et d’autre de la baie, les avancées des falaises forment ses pattes. Ses petites pelles d’ouvrière, couvertes d’écailles claires, ont creusé des dépressions, des failles ; elles ont sculpté ces paliers dans la pierre stratifiée. Elles ont fait de la falaise un totem. (…)
« La mer nous apparaît immobile, silencieuse. Sous le soleil, elle devient matière en fusion, marbrée de miel et d’argent. Une carapace. Dans les images du bestiaire coloré des contes d’un autre continent, elle est cette tortue géante qui porte le monde sur son dos. De part et d’autre de la baie, les avancées des falaises forment ses pattes. Ses petites pelles d’ouvrière, couvertes d’écailles claires, ont creusé des dépressions, des failles ; elles ont sculpté ces paliers dans la pierre stratifiée. Elles ont fait de la falaise un totem. (…)
Le chemin sent la terre bombardée de soleil, le sable poivré et la
fibre synthétique brûlante de nos vêtements de deuil. Les paillettes de mica
perdues dans le quartz agacent la rétine.
Une escadrille de martinets
criards venue des terres d’argile troue soudain le ciel. Leur aisance à glisser
sur les nuages pour se laisser porter par les courants d’air dans les couloirs
vertigineux d’un ciel sans mesure fait paraître bien ridicules nos
déhanchements d’hommes vers de terre.
Mais l’effort physique exigé
nous empêche de penser à Julius comme définitivement perdu.
Alors, nous nous réjouissons
d’échanger notre peine contre cette autre peine. Au bout de notre course, les
larmes se transformeront en perles de sueur. Ce sera un des miracles accomplis par Julius. » p. 28-29
Tout ce que tu dis de ce titre me parle et me plait "baroque, réalisme magique, langue poétique,Carole Martinez" .... Déjà enchantée par le seul roman que j'ai lu d'elle, tu confirmes un enthousiasme qui tient la longueur, c'est un bon signe !
RépondreSupprimer@Athalie : sur la longueur, tout à fait, c'est une écrivaine que je range maintenant parmi celles et ceux que je suis de très près... Bonne soirée à toi !
SupprimerC'est le premier billet sur ce titre qui me motive vraiment à lire ce livre ! Mais à part A l'angle du renard, j'ai encore tout à découvrir de Fabienne Juhel...
RépondreSupprimer@Anne : rien que pour cela, j'ai bien fait de l'écrire alors ;-) Si tu as tout à découvrir, tu as de la chance !!! Lis "Les hommes sirènes" : un régal ! Bonne soirée à toi.
SupprimerJe n'ai pas encore lu Fabienne Juhel et j'ai déjà noté celui-ci et les "hommes-sirènes", il va falloir que je me décide, ton billet m'y incite !!!
RépondreSupprimerBelle reprise !!!
Bises
@Enitram : commence peut-être par "Les hommes sirènes" pour entrer dans son univers. Bonne semaine !
SupprimerJe le lis en ce moment même. C'est un livre assez étrange, plus onirique que "A l'angle du renard". Au stade de ma lecture, je ne sais pas bien où on va. J'ai hâte d'en savoir plus.
RépondreSupprimer@Sylire : c'est vrai que l'on retrouve ici sa franche veine onirique, c'est ce que j'aime !
SupprimerUne auteure dont je n'ai encore rien lu, pourtant elle me tente ... mais quand ??
RépondreSupprimer@Aifelle : c'est un univers bien particulier, il faut trouver le moment adapté et ensuite... quel plaisir de lecture :-)
SupprimerJ'ai feuilleté ce roman à la bibli, ton billet confirme mon impression première (et même seconde) : je sens que ce ne sera pas pour moi! ^_^ Je suis rétive au réalisme magique, onirisme et tout ça.
RépondreSupprimer@Keisha : si tu n'aimes pas ce style, pour sûr, il faut aller voir ailleurs... Moi c'est le contraire, j'adore :-)
Supprimer(mais ne m'en veux pas... ^_^)
RépondreSupprimer@Keisha : comme le dit Mlle Margotte, t'inquiète ;-)
SupprimerJe n'ai pas encore lu cette auteure, je pense que ce roman pourrait me plaire...
RépondreSupprimer@Nadael : j'avais été moins convaincu par l'avant-dernier (je n'ai pas rédigé de billet d'ailleurs), mais celui-ci, je trouve que c'est un excellent cru ! Je pense en effet qu'il pourrait te plaire...
SupprimerToujours pas lu cette auteure, un jour peut-être...
RépondreSupprimer@Noukette : chouette ! tu as de belles heures de lecture devant toi ;-)
SupprimerJe me souviens encore de ma lecture de "A l'angle du renard". Une ambiance spéciale.
RépondreSupprimer@Alex : c'est depuis la lecture de ce roman que je suis fan ;-)
SupprimerAvec les comparaisons que vous citez, Germain, Martinez, je prends note de ce nom inconnu pour moi. Merci pour l'extrait !
RépondreSupprimer@Christw : si vous aimez ces deux écrivaines, Fabienne Juhel a tout pour vous plaire ! Bonne journée.
SupprimerJ'adore cette auteure et son univers !
RépondreSupprimer@Clara : je comprends ;-)
SupprimerPendant tout la lecture de ton billet je pensais à Carole Martinez, surtout pour le côté onirique et magique... Pour son univers aussi et voilà que tu cites son nom à la fin ;0) Et puis tes derniers mots : silence, vent, plage vide et l'odeur des genêts finissent de m'achever ;0) Me voilà bien accroché, je le note (déjà deux titres de cette auteure sur ma LAL, faudrait vraiment que je me décide à la découvrir !!) et je rajoute ton billet dans vos billets les plus inspirants !!
RépondreSupprimer@Lor : j'en ai de la chance, dans les billets les plus inspirants ! merci Lor :-))
SupprimerJe devrais le lire bientôt ;0)
Supprimer@Lor : super, je vais pouvoir lire ton avis ;-)
SupprimerJe ne sais pas si cela me conviendrait, d'autres blogueurs sont enthousiastes aussi mais, je n'arrive pas en entrer dans les romans de Germain, alors là j'ai le sentiment que je risque de rester au dehors....pourtant, la Bretagne, le littoral, le silence des plages, tout ça, ce sont des thèmes que j'affectionne....
RépondreSupprimer@Galéa : tu peux alors commencer par "A l'angle du renard" où l'aspect onirique est peu présent, celui-ci devrait te plaire je pense. De plus, il est publié maintenant en Babel poche ! Bon dimanche à toi.
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