mercredi 11 juin 2014

Enclave de Philippe Carrese

Philippe Carrese est un auteur marseillais. Né en 1956, il a déjà a son actif dix-neuf polars, souvent situés dans la cité phocéenne, et dont certains sont inspirés de faits réels (il faut avouer que dans ce domaine, la belle du Sud fournit de quoi…). Mais cet auteur se caractérise par sa polyvalence puisqu’il est également réalisateur, illustrateur, et documentariste (voir sont site, ICI).
C’est totalement par hasard que je suis tombée sur Enclave, ouvrage publié initialement en 2009 chez Plon, qui vient de ressortir en édition de poche aux éditions de l’Aube. Je précise immédiatement qu’il ne s’agit pas d’un polar mais bien d’un roman que je n’ose qualifier d’aventure en raison du contexte de l’histoire…
Janvier 1945 au nord de la Slovaquie. C’est la débâcle. Les Russes avancent. Le 17 janvier, ils sont en Pologne (fin janvier, ils franchiront l’Oder). L’occupant allemand commence à avoir froid aux fesses et dans le camp de travail de Medved’, il décide d’abandonner les lieux au hasard. Un hasard calculé toutefois puisque les nazillons, toujours créatifs, décident de couper les accès au camp qui se trouve dans un lieu particulièrement difficile d’accès. Tout d’abord sidérée, la communauté du camp de travail finit par réaliser que les Allemands sont partis. Passé le choc de cette incroyable libération, les résidents du camp s’organisent et mettent en place une nouvelle hiérarchie. Le camp pourra-t-il être évacué ? Les prisonniers pourront-ils fuir ce lieu où ils ont vécu l’horreur ? Les Allemands vont-ils revenir ? Qui va diriger la communauté et comment ? Voilà une partie des questions que l’on se pose en lisant fébrilement ce roman.
J’avoue avoir hésité beaucoup avant d’acheter ce livre. En effet, le romanesque associé à la thématique des camps de concentration me gêne souvent pour des questions d’éthique (oui, je sais, le terme est passé de mode mais j’assume mon côté vieille école). Enfin, le risque de complaisance morbide étant fort, il a fallu trois visites en librairie avant que je ne finisse par l’acheter, après avoir lu les premières pages… Et j’ai bien fait car non seulement Philippe Carrese évite la complaisance ou les effets faciles, mais il pose les bonnes questions. 
A travers les déboires de cette communauté oubliée de tous, il pose les éternelles questions du bien, du mal et des rapports de pouvoir entre les hommes (et les femmes…). Nous découvrons l’univers des prisonniers au travers du regard Eidesche, « le petit lézard », jeune garçon fluet utilisé par les nazis pour explorer des tunnels dans la montagne. On s’attache très vite à certains des personnages et on lit tout cela très vite car le suspense monte aussi vite que la température descend en Europe de l’Est l’hiver. J’ai souvent pensé à Tim Willocks qui ausculte lui aussi les comportements des hommes vivants en milieu clos. Alors je vous invite vraiment à découvrir ce roman. De mon côté, j'ai bien l'intention de découvrir les autres ouvrages de cet auteur !
 
Tatras, l'hiver, en Slovaquie
Extrait
Nous nous sommes rassemblés. Le peuple de Medved’, ou ce qu’il en restait, faisait corps. Le groupe compact s’est approché du gouffre. De la passerelle ferroviaire il ne restait que la poutre centrale tordue, qui n’arrivait même pas à rejoindre l’autre rive. Nous étions à jamais perdus sur ce bout de territoire, isolés du reste du monde. Dansko m’a dévisagé, silencieux. Il a regardé les femmes, les gamins, les survivants. Puis il est allé s’asseoir dans la neige au bord de la gorge, les jambes dans le vide. Il était tellement abattu qu’il en semblait serein. Un dernier éboulement résiduel, en face, est venu couper l’inutile route d’accès en épingle à cheveux. Le silence est revenu. Même le torrent, en contrebas, semblait rugir moins fort. Le faucon crécerelle est repassé, virevoltant à l’endroit où se dressait la passerelle, comme pour nous narguer. Ils sont partis ce matin. Et ne nous ont laissé aucune chance.


18 commentaires:

  1. J'ai eu à plusieurs reprises et dans des salons du livre de rencontrer cet auteur. Il déborde d'idées et de projets...

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    1. @Jeanmi : à voir sa productivité, cela ne m'étonne pas ;-)

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  2. Je découvre votre site, éminemment évocateur, poétique.
    J'y glane que vous aimez les haïkus.
    En voici un de ma plume:

    "Soleil et pluie
    Douceur jaune du coing
    Le cœur en gelée."

    Bien à vous,

    David

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    1. @Anonyme : merci pour les compliments, pour votre visite, et surtout, pour le haïku... En effet, j'aime beaucoup ce genre poétique. Bonne soirée à vous.

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    2. Est-ce que cela colle ou non
      à l'image que l'on se fait du poète?
      J'ai l'audace d'être récidiviste...
      Bien à vous et bonne journée.

      La nuit

      La nuit, toujours
      Ce fut l’absence
      La parole bruyante
      du silence
      le hurlement d’amour
      sans lèvres

      Le corps séparé de ses bras,
      la bouche éventrée de sa langue

      L’ombre d’une vitre
      posée sur le rectangle
      du drap

      La nuit, toujours
      Ce fut l’absence.
      comme une éternité en
      trop

      L’Éternité vidée
      du sang
      des hommes.

      David Mazhar

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    3. @David Mazhar : la récidive, dans le domaine de la poésie, ne me gêne aucunement. Vous me demandez si la création de haïku me paraît être de la poésie : oui, bien sûr. La poésie me paraît, plus qu'un genre, une manière d'être au monde qui passe, parfois, par l'utilisation des mots... Comme vous venez de le faire une deuxième fois.
      Mon blog ne peut que s'en réjouir.
      Bien à vous,
      Margotte

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  3. Un peu trop sombre pour moi en ce moment...

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    1. @Lor : oui, c'est très sombre mais aussi un très bon roman. Enfin, je comprends bien ton soucis, il y a des périodes où l'on évite certains livres ;-) Bonne soirée à toi !

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  4. J'ai ce livre dans ma PAL depuis sa sortie en grand format et je le découvre grâce à toi... tu me donnes envie de le lire.

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    1. @Sandrine : tu peux le sortir du fond de ta PAL, lecture fébrile garantie ;-)

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  5. Je n'ai jamais entendu parler de cet auteur .... Ta référence à Tim Willoks ne peut que retenir mon attention pour le découvrir....

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    1. @Athalie : je pense qu'il a tout pour te plaire... surtout si tu aimes Tim Willocks (d'ailleurs, son livre de lit. jeunesse Doglands vient de sortir en poche...).

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  6. Il est passionnant ton billet Margotte, je partage les mêmes craintes que toi sur l'éthique, et je déteste tout ce qui se complait dans le glauque...mais je note au moins le nom de l'auteur dont je n'avais jamais entendu parler...

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    1. @Galéa : merci pour tes compliments Galéa, c'est toujours agréable, après une petite période de sevrage numérique de revenir et de trouver des mots gentils sur mon blogounet ;-) Je n'avais jamais entendu parler de lui non plus, mais j'ai bien l'intention de trouver d'autres polars de cet auteur. Bonne soirée à toi.

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  7. le genre de roman que j'aurais laissé de côté sans ton avis du coup je le note car la région où cela se déroule m'est très chère

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    1. @Dominique : c'est une région très "typée", j'ai adoré les descriptions de la région en question. Ce roman a vraiment été un coup de cœur !

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