vendredi 18 mars 2011

Histoire et mémoire - Remettre en cause notre "ordinaire" ?

En cette journée du 27 janvier, je vous propose un extrait de l'excellent livre d'Enzo Traverso intitulé Le passé, modes d'emploi. Histoire,Enzo Traversomémoire, politique, que j'ai lu il y a environ un mois.
” Penser le rapport d'Auschwitz à la modernité occidentale peut conduire à remettre en cause notre “ordinaire”. Les zones d'attente où sont retenus les étrangers en situation irrégulière et les demandeurs d'asile  - elles ont proliféré en Europe au cours de ces dernières années - ne sont certes pas comparables aux camps nazis. Elles possèdent néanmoins, au sein de nos sociétés démocratiques, certains traits essentiels qui définissent le paradigme du camp de concentration, c'est-à-dire, selon Giorgio Agamben, “un espace qui s'ouvre quand l'état d'exception commence à devenir la règle”. Elles sont en effet des espaces anomiques dans lesquels tout est possible, non parce qu'ils seraient conçus comme des lieux d'anéantissement mais parce qu'il s'agit de lieux de non-droit. Les personnes qui y sont internées correspondent à la définition du “paria” que donnait Hannah Arendt : un hors-la-loi, non pas parce qu'il aurait transgressé la loi, mais parce qu'il n'y a aucune loi qui puisse le reconnaître et le protéger. Des individus, ajoutait-elle en évoquant les apatrides, “superflus” aux yeux de la communauté des nations. Le Haut Commissariat  des Nations unies pour les réfugiés en dénombre cinquante millions dans le monde aujourd'hui. Plusieurs dizaine de milliers sont internés chaque année dans les pays de l'Union européenne, invisibles, comme des présences “métaphoriquement immatérielles”. Il y a un passage, dans Les Origines du totalitarisme, que nous ne pouvons pas lire aujourd'hui sans penser à l'actualité : “Avant de faire fonctionner les chambres à gaz, les nazis avaient soigneusement étudié la question et découvert à leur grande satisfaction qu'aucun pays n'allait réclamer ces gens-là. Ce qu'il faut bien savoir, c'est qu'une condition de complète privation des droits avait été créée bien avant que le droit de vivre ne soit contesté.” p. 84-85

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