vendredi 6 mai 2011

La présence de Pierre Jourde

Je ne connaissais de Pierre Jourde que les essais. La littérature sans estomac avait été l'occasion de bien des rires chez moi, et je me souvenais avec enthousiasme de Petit déjeuner chez tyrannie. Ce livre m'a permis de découvrir le romancier qui vaut le détour...
 Il nous convie ici à un étrange retour au monde de l'enfance et de l'adolescence. Une nuit d'insomnie angoissée dans une maison pourtant familière embraye le processus mémoriel qui va engendrer l'inflation de l'imaginaire.
"L'angoisse qui me travaille à présent, je la connais bien, mais il y a des années que je ne l'ai plus éprouvée. Peut-être ai-je fait en sorte de ne pas avoir à m'y confronter de nouveau. J'ai voulu croire, en entrant ici, qu'elle ne reviendrait pas, comme on se persuade d'avoir triomphé de ses terreurs enfantines, de ses vieilles faiblesses. Mais la voici, elle n'a pas changé, elle me relie immédiatement au monde perdu de l'enfance et de l'adolescence." 
La géographie nocturne des lieux du passé devient l'occasion de se perdre dans les méandres de la mémoire, de retrouver les sensations associées à certains instants perdus et si vite retrouvés. On pense à Proust bien sûr... mais d'un milieu fort différent. La mémoire ici trouve sa source dans l'imaginaire paysan et l'Auvergne sert de cadre au récit. La forêt et les bêtes nourrissent les souvenirs ainsi que certains lieux mystérieux comme Neracombe, la combe noire.
 
Si certains partent à la campagne pour se ressourcer, le narrateur, lui, cherche à se "vautrer" dans l'imaginaire... au risque de réveiller de bien sombres monstres qui sommeillent dans la "chambre du fond", lieu de tous les possibles, lieu de l'inhumain en devenir. Car cette présence qui donne son titre au recueil, c'est celle d'un étrange personnage au faciès de clown, mais qui peut aussi porter bien d'autres masques. C'est que dans chaque recoin d'alcôve de ces maisons vides sommeille des "cruautés d'Atrides. Chaque personne, chaque maison, chaque famille, chaque hameau est une inépuisable matrice d'histoires, qui s'entremêlant, se multipliant, se contredisant, finissent par former le vrai corps de ce pays, sa chair de songe frémissante.".
 

Ce très beau texte inaugure une nouvelle collection de la maison d'édition Les Allusifs, Les Peurs. Dans un court texte, un auteur doit évoquer l'une de ses peurs. Ici, Pierre Jourde évoque celle des maisons vides. Le récit est émaillé d'instants aux frontières du fantastique. La terreur irrationnelle qui habite l'écrivain se développe à la nuit tombée, ce qui teinte l'ensemble d'un onirisme certain. Il sait à merveille faire parler les rais de lumière, les grains de poussière et les traces du temps jadis. Il se livre ici avec pudeur, dans un texte à l'écriture fort littéraire, comme je les aime...

6 commentaires:

  1. je crois aussi que "Chaque personne, chaque maison, chaque famille, chaque hameau est une inépuisable matrice d'histoires" mais comme tu dis, il faut avoir l'art et la manière de les raconter... une fois de plus, tu me tentes ;-)

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  2. @Adrienne : Margotte vile tentatrice... l'image me plaît assez ;-) Bonne journée Adrienne !

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  3. A ne pas lire si tu dois te retrouver le soir toute seule dans une grande maison isolée !

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  4. Tu décris très bien ce court texte ! Moi aussi, ce genre de texte très littéraire, je ne m'en lasse pas

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  5. @Aifelle : c'est sûr ! Je l'ai lu tranquillement lovée dans mon nid douillet, en appartement ;-)

    @Delphine : c'est loin des textes "formatés" et cela fait du bien...

    Bon dimanche à vous deux

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  6. @Hazel : dès que j'ai du temps disponible, je vais visiter votre site... Bonne journée à vous

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